Légendaires sont les joueurs qui, par leur talent et leurs qualités techniques, ont contribué à faire du football un art. Même s’il reste méconnu, le Tchécoslovaque Josef Masopust est de ceux-là. Vice-champion du monde 1962 face au Brésil de Pelé, il devient, la même année, le premier joueur de l’Est à remporter le Ballon d’Or. (Re)découverte d’un artiste érigé en statue, devant son stade, à Prague.
17 juin 1962. Estadio Nacional de Santiago du Chili. 15e minute de cette finale de la Coupe du monde. Devant les 69 000 spectateurs qui s’attendent à une victoire du grand Brésil de Pelé, c’est pourtant le milieu tchécoslovaque Josef Masopust qui s’illustre. Qui lance un magnifique appel dans le dos de la défense auriverde. Puis, après cette fulgurante course témoignant d’une parfaite lecture du jeu, qui ajuste Gilmar pour donner l’avantage aux siens et se placer en pleine lumière. 1-0 pour la Tchécoslovaquie.
Les grands joueurs se reconnaissent au fait qu’ils sont présents lors des grandes occasions. Josef Masopust est de ceux-là. Né en 1931 au Nord de la Bohême d’un père mineur et d’une mère au foyer, il est l’aîné de six enfants. Après avoir fait ses classes au FC Teplice, il intègre dès 1952 les rangs du Dukla Prague, le club de l’armée. Au sein de la meilleure formation tchécoslovaque de l’époque, Masopust se fait rapidement une place de choix. Il y restera jusqu’en 1968.
Il aurait pourtant eu le talent pour rejoindre n’importe quelle grande équipe du vieux continent. Mais à cette époque de la Guerre Froide où l’Europe est barrée par un immense rideau de fer qui la sépare en deux blocs quasi imperméables, il n’en eut pas la possibilité avant. C’est donc bloqué en Tchécoslovaquie communiste que ce meneur de jeu élégant et technique fait l’essentielle de sa carrière. À notre époque de la médiatisation et de la mondialisation du football, nulle doute que le talent rare de Josef Masopust lui aurait offert une carrière plus éclatante encore.
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Josef Masopust, un artiste capable de « faire du violon comme de faire la vaisselle »
Voilà une affirmation qui en dit long sur la virtuosité comme l’efficacité dont savait faire preuve Josef Masopust. Ce dernier n’est pas un athlète disposant de qualités physiques exceptionnelles, tels Pelé ou Eusebio. Ni un finisseur clinique comme Di Stefano ou Puskas. Mais il compense sa relative faiblesse physique par sa grande capacité à reproduire les efforts au milieu de terrain. Ainsi que par une aisance technique au-dessus de la moyenne et un sens du placement et de la passe juste exceptionnels.
Durant les seize années durant lesquelles Masopust évolue au Dukla Prague, il règne sur le football tchécoslovaque comme peu l’avaient fait avant lui. Il remporte d’ailleurs le titre de champion dès sa première saison, en 1953. Sept autres titres suivront (1956, 1958, 1961, 1962, 1963, 1964, 1966). Il gagne également 3 Coupes de Tchécoslovaquie en 1961, 1965 et 1966.
Josef Masopust est un footballeur complet, total, capable de ratisser les ballons, de lancer des contre-attaques ou encore de se montrer parfait dans le dernier geste, que ce soit une passe décisive ou une frappe. Sa conduite et sa protection de balle sont remarquables. Il sait aussi quand il doit porter le ballon ou quand il doit le lâcher. Sa prestance et ses formidables facultés lui permettraient de briller davantage, en agissant tel un soliste ? Josef Masopust n’est pas comme cela. Son jeu est un hymne au collectif, à la simplicité et à l’efficacité. Dans la plus pure tradition du jeu collectif tchécoslovaque.
Le meilleur joueur tchèque de l’histoire
Un jeu et un talent qui vont porter le Dukla Prague très haut. Car ces années 1960 coïncident aussi avec l’expansion du football de club au niveau continental. En tant que champions de leur pays, Masopust et les siens participent donc régulièrement à la toute récente Coupe d’Europe des Clubs Champions. Durant trois années consécutives, en 1962, 1963 et 1964, le Dukla atteint les quarts de finale de la compétition, preuve d’une belle constance au plus haut niveau. En 1962, les Tchécoslovaques sont sortis par Tottenham. Puis par le Benfica d’Eusebio, tenant du titre, en 1963 et le Borussia Dortmund en 1964. Enfin, lors de l’édition 1966-1967, le club de l’armée parvient à se hisser jusqu’aux portes de la finale. Après avoir éliminé Anderlecht puis l’Ajax Amsterdam, les Tchécoslovaques tombent face au Celtic Glasgow en demi, futur vainqueur de l’épreuve.
L’année suivante, celui qui sera élu meilleur joueur tchèque du XXe siècle en 2000 obtient enfin le droit de quitter la Tchécoslovaquie. Nous sommes en 1968 et les grandes heures de la carrière de Josef Masopust sont derrière lui. À 37 ans, il la termine dans la modeste équipe belge de Molenbeek, jusqu’en 1970.
Les crampons raccrochés, Masopust devient entraîneur. Il remporte un titre de champion de Tchécoslovaquie (avec Brno en 1978) et dirige aussi l’équipe nationale de Tchécoslovaquie, sans grand succès. Pourtant, malgré les années, personne à Prague n’oublie son formidable talent et son génie balle au pied. Preuve en est, Masopust est l’un des rares footballeurs à avoir une statue à son effigie. Érigée devant le Stade Juliska de Prague en 2012, elle fête les 50 ans de cette formidable année 1962. Et rappelle à quel point Josef Masopust a marqué l’histoire du football tchécoslovaque et du Dukla Prague.
Le « chevalier du football » à l’assaut des sommets internationaux
Dans le sillage de ce technicien hors pair, le football tchécoslovaque traverse l’un des plus beaux âges de son histoire. Devenu international en 1954, Josef Masopust participe à la Coupe du monde 1958 en Suède, où la Tchécoslovaquie est éliminée dès le premier tour. En 1960, elle dispute aussi la première Coupe d’Europe des Nations. Mieux même : après des victoires contre l’Irlande, le Danemark puis la Roumanie, la Tchécoslovaquie se qualifie pour les demi-finales de ce qui est en fait le premier Euro de l’histoire, organisé en France. Pour cette phase finale, les coéquipiers de Masopust ne peuvent empêcher la défaite sèche en demi face à l’URSS de Yachine (3-0), futur vainqueur. Mais la Tchécoslovaquie s’adjuge quand même la troisième place après une victoire 2-0 au Vélodrome de Marseille face à l’équipe de France. À jamais, Masopust et les siens resteront sur le podium du premier Euro de l’histoire.
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Mais le meilleur est encore à venir. Car la Tchécoslovaquie est donc du voyage vers l’Amérique du Sud et le Chili où se déroule la Coupe du monde 1962. C’est d’ailleurs à cette occasion que Masopust hérite de son surnom de « chevalier du football » qui ne le quittera plus. Surnom qui s’explique par son élégance balle au pied, certes, mais aussi et surtout par son remarquable fair-play.
Le Roi Pelé serait-il d’ailleurs celui qui aurait appelé Masopust comme cela pour la première fois ? C’est possible. Car c’est après le match de poule opposant la Tchécoslovaquie et le Brésil que l’on commence à appeler Masopust le « chevalier du football ». La raison ? Durant cette rencontre, Pelé se blesse, ce qui lui fera d’ailleurs manquer tout le reste de la Coupe du monde. Mais pas de remplacement à l’époque, le roi doit donc rester sur le terrain. Et c’est Masopust qui doit en assurer le marquage. Il refuse alors, par fair-play, de défendre sur le Roi ainsi diminué. Une attitude classe qui ne passe pas inaperçue.
« C’était émouvant de voir un tel respect, pas uniquement envers Pelé, mais vis-à-vis de toute l’équipe. Nous avions affaire à un grand joueur et, surtout, à un gentleman », Djalma Santos, joueur du Brésil en 1962.
Malgré une défaite 3-1 contre le Mexique, ce match nul face aux champions en titre, conjugué à une victoire inaugurale 1-0 contre l’Espagne, permet aux Tchécoslovaques de se qualifier.
Durant toute la compétition, Masopust fait des merveilles. Il éblouit les spectateurs et ses adversaires par sa virtuosité, sa technique étincelante et son sens du jeu. Cet état de grâce permet à son équipe de venir à bout de la Hongrie en quart de finale (1-0). Puis, en demi-finale, c’est la Yougoslavie, vice-championne d’Europe, qui est battue 3 buts à 1. À la surprise générale, la Tchécoslovaquie se hisse donc en finale du Mondial chilien. Où elle retrouve le Brésil de Pelé. Qui assiste au match, blessé, sur le banc.
« Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas un Européen, ce n’est pas un Tchèque. C’est un Brésilien ! Pourquoi il n’est pas des nôtres comme Didi, comme Garrincha ? » Pelé, en parlant de Masopust.
À la 15e minute d’une partie équilibrée, Masopust se lance donc dans l’espace laissé libre par la défense brésilienne. Parfaitement servi, il trompe alors Gilmar d’une frappe du droit. La Tchécoslovaquie prend l’avantage ! Le Brésil, privé de Pelé mais où jouent de merveilleux artistes tels Garrincha, Didi, Vava, Zagallo ou Amarildo, est bousculé. Car s’il égalise rapidement, il faut attendre le dernier tiers de la seconde mi-temps pour que les Auriverde renversent l’obstacle tchèque. Le Brésil remporte sa deuxième Coupe du Monde (3-1). Masopust, lui, la reconnaissance du monde du football.
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Josef Masopust, le premier Ballon d’Or d’Europe de l’Est
Point d’orgue de cette formidable et méritée reconnaissance née de ses exploits chiliens, Josef Masopust est sacré Ballon d’Or à la fin de l’année 1962. Cette récompense est historique, à plus d’un titre. En effet, à l’exception du premier lauréat de 1956, l’Anglais Stanley Matthews, c’est la première fois que ce prix n’est pas décerné à un joueur d’un pays latin. Josef Masopust est donc le premier joueur d’Europe de l’Est à remporter cette prestigieuse distinction individuelle. Ce qui en dit long sur la place qui est la sienne dans le gotha des meilleurs footballeurs du monde.
Ensuite, son sacre est historique car, à la différence de ses prédécesseurs, il n’est ni un attaquant, ni un buteur clinique et individualiste. Il n’est ni Di Stefano, ni Suarez ou Sivori, primés avant lui. Ni Puskas, qui lui ne gagnera jamais le Ballon d’Or. L’élection de Masopust ressemble plus à celle de Kopa en 1958. Elle honore un milieu de terrain, créatif et collectif. Ce Ballon d’Or, c’est un hymne au jeu. C’est récompenser l’un de ses rouages qui, avec brio, talent et intelligence, lui donne vie. Josef Masopust remporte d’ailleurs la palme assez largement, devançant le Portugais Eusebio et l’Allemand Schnellinger.
Récompense ultime pour le « chevalier du football » qui distingue une carrière exceptionnelle et un talent rare. De 1954 à 1966, Josef Masopust porte la tunique tchécoslovaque à 63 reprises pour 10 buts marqués. En club, il cumule 712 matchs et 229 buts. Beau bilan pour un milieu de terrain.
À n’en point douter, Josef Masopust est l’un des tous meilleurs joueurs et milieux de terrain de l’histoire du jeu. D’une aisance technique éblouissante, il était d’une élégance rare et capable de tout faire sur un terrain. Après une longue maladie, il décède en juin 2015, à l’âge de 84 ans. Mais sa statue devant le Stade Juliska de Prague rappelle éternellement à quel point son talent a fait briller le football.
Sources :
- Jean-Philippe Réthacker, « Palmarès Ballon d’Or, 1962 – Josef Masopust », Francefootball.fr
- Sébastien Coca, « Qui était Josef Masopust, le Ballon d’Or 1962 décédé ? », tf1info.fr
- « Josef Masopust est mort », Sofoot.com
- « Josef Masopust », football-the-story.com
- Fiche de Josef Masopust, Lequipe.fr
Crédits photos : Icon Sport