Il est le match le plus chaud d’Angleterre pour certains. Il ne s’agit pas de Liverpool-Manchester United mais de Tottenham-Arsenal surnommé le North London derby. Cependant, il fut un temps où Arsenal et Tottenham n’étaient pas rivaux tout simplement car ils n’étaient même pas voisins. Voici le récit de la genèse de cette rivalité ancrée dans le football outre-manche.
Si vous avez l’oeil, vous remarquerez que le logo d’Arsenal est un canon de guerre. La raison est simple : le club a été fondé par des ouvriers qui travaillaient dans une usine d’armement, la Royal Arsenal, qui se trouvait à Woolwich en banlieue londonienne. D’où le surnom « Gooner » qui signifie canonier. Arsenal joue son premier match en 1886 (sous le nom de Woolwich Arsenal) et son premier contre Tottenham en 1887. C’était un derby, mais pas de la même nature. Plus les années passent, et plus le développement du football est difficile dans une zone industrielle comme Woolwich, fréquentée uniquement par les travailleurs et très difficile d’accès. Arsenal tombe en déclin sportif, économique et doit vendre ses meilleurs joueurs (tels que Tim Coleman ou encore Bert Freeman) pour survivre.
Henry Norris, l’homme de la situation
En 1910, l’homme qui placera Arsenal dans l’élite rachète le club : il s’agit du politicien et homme d’affaires Henry Norris, également président de Fulham. Il a tout d’abord une idée qui aurait pu changer le cours de l’histoire telle qu’on la connait aujourd’hui. Pour relever Arsenal, il propose de fusionner son club de Fulham avec le club de Woolwich Arsenal. Une demande qui a immédiatement été rejetée par la ligue. Il ne reste alors qu’une option : fuir la zone industrielle peu propice au développement d’un football de haut niveau, et déménager. Malgré les contestations des fans, habitants de Woolwich et des supporters de Tottenham, le déplacement est acté. En 1913, les Gunners quittent leur foyer historique de Woolwich et atterrissent à Highbury, situé à quelques kilomètres du stade des Spurs, White Hart Lane. Le club change de nom et devient « The Arsenal ».
Si aujourd’hui vous êtes propriétaire d’un commerce et qu’un nouveau propriétaire d’un commerce similaire débarque dans la rue d’à côté, vous n’allez pas lui serrer la main tous les jours. Et bien Spurs et Gunners ne se sont pas souvent salués de bon matin. Voilà donc l’origine et l’une des raisons qui font qu’Arsenal et Tottenham sont des rivaux. Mais si ce match est considéré comme le match le plus chaud d’Angleterre, il n’y a pas qu’une raison géographique.
Une histoire de relégation…
Si aujourd’hui Tottenham et Arsenal se battent pour savoir qui accèdera à la Ligue des champions, il fût un temps où ils étaient en compétition pour rester en première division.
Un an après le déménagement d’Arsenal à Highbury, les Gunners évoluent en seconde division anglaise. Le néo-rival, Tottenham, est lui en première division affrontant des équipes telles que Newcastle, Blackburn ou encore Bolton. A l’issue de la saison 1914/1915, Arsenal termine 6e de sa division, et Tottenham 20e. Les Spurs sont donc censés être relégués. Or il y aura une pause des championnats de 4 ans en raison de la Première Guerre mondiale et le championnat ne reprend qu’en 1919. Après le « break militaire » il a été convenu d’agrandir la première division de deux équipes. Les deux premiers clubs de deuxième division montent donc en première, et si on suit cette logique, les deux derniers de première division conservent leur place dans l’élite. Mais c’est finalement un troisième club de deuxième division qui accède à la division du dessus.
…qui profite à Arsenal
C’est là que les choses se compliquent. Le 20e de première division cette saison là se prénomme Tottenham. Les 3e et 4e de deuxième division sont Barnsley et Wolverhamton. Mais c’est Arsenal (6e de deuxième division) qui accède à la ligue du dessus. Oui, ça sent un peu l’injustice. En 1919, un vote est organisé pour déterminer lesquels des clubs de Tottenham, Chelsea, Barnsley, Wolverhampton et Arsenal doivent accéder à l’élite. Henry Norris avance des arguments ventant le prestige et l’aide apportée par Arsenal dans le football anglais depuis sa création. Des arguments de poids qui, vraisemblablement, séduisent la ligue. Grâce à un score de 18 voix contre 8 pour Tottenham, Arsenal est propulsé en première division. Le deuxième spot est accordé à Chelsea, 19e de première division, qui avait subit une injustice de calendrier en fin de championnat. Frustrés, les Spurs tentent d’accuser Norris et la ligue de corruption, mais rien ne sera jamais prouvé. Si l’année d’après Tottenham remporte la deuxième division, cette histoire est considérée comme un second acte fondateur.
Les sources convergent : lors de la décennie qui a suivi l’épisode de 1919, les affrontements entre les deux équipes sont bouillants et la ligue est forcée de menacer de huis clos en raisons des fortes altercations. Ironie du sort, Highbury est bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale et Tottenham est obligé de partager White Hart Lane avec Arsenal le temps des réparations. Au total, les Gunners disputent 133 matches dans l’antre des Spurs. Mais cette cohabitation n’a pas atténué la rivalité entre les deux clubs. Il faudrait faire un livre pour rendre compte du mieux possible de l’évolution de cette rivalité. C’est pourquoi Le Corner vous propose de la parcourir en 6 dates clés.
Le North London derby en 6 dates
1971 : champion chez l’ennemi
Les deux équipes évoluent en première division. Tottenham n’est plus dans la course au titre. Mais c’est la dernière journée, et Arsenal doit impérativement s’imposer pour priver Leeds du titre et s’en emparer. Et c’est à White Hart Lane que les Gunners sont censés accomplir cette mission. Dominants dans le match, les Gunners n’arrivent pas à marquer et tombent sur un Pat Jennings des grands soirs dans les buts. ( Pat Jennings qui rejoindra Arsenal en 1977). Mais à deux minutes de la fin, le jeune Ray Kennedy, 20 ans, future légende des Gunners et des Reds de Liverpool, marque de la tête un but synonyme de titre de champion. Arsenal est sacré chez son rival pour la première fois.
1991 : St Hotspur Day
Nous sommes le 14 avril, Arsenal est déjà assuré d’être champion d’Angleterre et se déplace à Wembley pour la demi-finale de la FA Cup face à Tottenham. C’est l’occasion pour Tottenham de priver son rival du doublé. Tottenham avait terminé 10e à 34 points des Gunners en championnat. Pour des équipes comme Tottenham, Arsenal, Liverpool ou Manchester United, le simple fait de battre l’ennemi lors de la saison est un accomplissement significatif. Et ce match est ce qui sauve la saison des supporters de Tottenham. Grâce à un doublé de l’inévitable Gary Lineker et un but de Paul Gascoigne, Tottenham s’impose 3-1 pour s’offrir une place en finale. Ce jour sera renommé St Hotspur Day par les supporters des Spurs, pour avoir empêché Arsenal de faire le doublé.
25 avril 2004 : LE match
Arsenal est invaincu et n’a besoin que d’un point pour être sacré champion d’Angleterre pour la 3e fois en 7 ans. Comme en 1971, c’est sur la pelouse de Tottenham que les Gunners doivent aller chercher leur titre. L’entame de match est idéale puisque Patrick Vieira et Robert Pirès, les deux frenchies, permettent aux hommes d’Arsène Wenger de mener 2-0 après 35 minutes de jeu. Mais les Spurs, grâce à Redknapp et Keane, reviennent à 2-2. Si la fin de match est tendue, le score en reste là et 33 ans après, Arsenal est de nouveau champion sur la pelouse de son rival. Plus que le match, c’est l’atmosphère autour qui est marquante. Avant la rencontre, des membres de la sécurité sont allés voir Thierry Henry pour lui suggérer de ne pas trop célébrer en cas de titre pour éviter de provoquer les supporters de Tottenham et de créer des débordements. Henry n’était pas de cet avis. Surtout lorsqu’il s’est rendu compte que les fans ennemis célébraient le nul alors qu’il donnait quand même le titre aux Gunners.
13 novembre 2004 : 9 buts
Quelques mois après le sacre des invincible, les deux rivaux se retrouvent à White Hart Lane pour s’affronter en Premier League. Ce que les joueurs ne savent pas avant le match, c’est que cette rencontre sera la plus prolifique de l’histoire entre ces deux clubs. Si ce sont les Spurs qui ouvrent le score, ils sont rapidement repris puis dépassés. Gunners et Spurs vont s’échanger les buts mais c’est au final Arsenal qui s’impose en terre ennemie sur le score de… 5-4.
20 novembre 2010
2 mois avant cette date, Arsenal s’imposait 4-1 après prolongation sur la pelouse de Tottenham pour éliminer les Spurs de la Carling Cup. A l’Emirates Stadium, les hommes d’Harry Redknapp vont rendre la pareille aux Gunners. A la pause, Arsenal se balade et a même fait le break grâce à Samir Nasri puis Marouane Chamakh. Mais au retour des vestiaires Bale et ses camarades reviennent avec des intentions totalement différentes. C’est d’ailleurs le Gallois qui réduit l’écart avant que Van der Vaart ne l’imite et que Younes Kaboul ne scelle la victoire de Tottenham à la 86e minute. C’est la première fois que Tottenham s’impose chez le rival depuis 17 ans.
2017 : fin de l’hégémonie
Chaque année depuis 22 ans les fans d’Arsenal célébraient le St. Totterhingam’s Day. C’est le jour dans la saison où Arsenal est mathématiquement assuré de terminer devant Tottenham au classement. Mais le 30 avril 2017, Tottenham bat Arsenal 2-0 et met fin à cette domination. Arsenal n’a jamais terminé devant les Spurs depuis cette année là. Depuis cette date et avec la récente finale de Ligue des champions disputée par les Spurs (perdue 2-0 contre Liverpool), la rivalité a clairement pris un tournant.
Crédit photos : Iconsport