« Sur le deuxième ballon ils sont là, avec Chalmé, avec Gourcuff, oh deux fois, EXCEPTIONNEL, EXCEPTIONNEL », treize ans après, ces mots continuent de résonner dans les têtes de nombreux enfants des années 2000. À raison, car en ce 11 janvier 2009, Yoann Gourcuff marche sur l’eau, le PSG, et la Ligue 1. À 22 ans, Gourcuff est le présent et le futur du football français. Cependant, plus d’une décennie plus tard, ce chef d’œuvre est peut-être le dernier frisson de la carrière du « Successeur » comme aimaient à l’appeler les médias français.
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La carrière de Yoann Gourcuff, c’est l’histoire d’un gamin avec de l’or dans des pieds en cristal, un gamin dont tout le monde voulait faire une star, sauf lui. Un gamin doué, dans tout ce qu’il fait. En 1998, encore partagé entre football et tennis, dans lesquels il excelle, il participe à l’un des plus grands tournois internationaux de jeunes joueurs de tennis, l’Open Super 12 d’Auray, à quelques kilomètres de chez lui. Tandis qu’un certain Rafael Nadal y remporte son premier trophée international, Yoann est éliminé au premier tour. À douze ans, il est temps de faire un choix entre le ballon rond et la balle jaune. Peut-être découragé par le Taureau de Manacor, le Breton fait le sien. Ce sera le football, pour notre plus grand bonheur. Pour le sien ? C’est moins évident.
Les débuts à Rennes puis à l’AC Milan
Pré-formé à Lorient, le jeune Yoann Gourcuff quitte les Merlus à quinze ans en 2001 pour intégrer le Stade Rennais, dans les bagages de son père Christian, où il finit de faire ses classes. Le meneur de jeu signe son premier contrat professionnel avec les Rouge et Noir en 2003 et profite des saisons 2003-2004 et 2004-2005 pour faire ses débuts chez les grands. Puis, pour gagner une place importante dans la rotation de László Bölöni. Après deux saisons à neuf puis vingt-et-une apparitions en équipe première, le natif de Ploëmeur devient un titulaire aux yeux de l’entraineur roumain pour l’exercice 2005-2006. Six buts, trois passes décisives, et un coup d’éclat face à l’Olympique Lyonnais le 25 février 2006. Face au quadruple champion de France en titre, le numéro 10 rennais offre deux caviars à John Utaka et inscrit un but à Grégory Coupet. Il se révèle aux yeux du monde, et en particulier ceux de Jean-Michel Aulas qui tente de l’attirer une première fois à la fin de la saison. Sans succès. En effet, Gourcuff cède aux sirènes de l’étranger et du grand Milan qui sort d’une saison marquée par l’affaire des matchs truqués en Serie A. Malgré un retrait de trente points au classement, l’équipe de Carlo Ancelotti termine la saison sur la troisième marche du podium et permettra au Breton de goûter à la Ligue des Champions la saison suivante.
Le 22 juin 2006, le transfert de la pépite du Stade Rennais est confirmé. Yoann Gourcuff rejoint les Rossoneri pour près de cinq millions d’euros et côtoiera des joueurs comme Paolo Maldini, Pippo Inzaghi, ou encore Kaká, sous la houlette du Mister. Une opportunité aussi exceptionnelle que risquée pour un joueur qui arrive sur ses vingt ans. À Milanello, Gourcuff partage certes les terrains d’entraînement avec des joueurs de classe mondiale, mais encore faut-il partager la pelouse de San Siro le week-end. Joueur important du Stade Rennais la saison précédente, le Français devient un joueur de rotation chez les Rossoneri. En phase d’intégration, il alterne entre titularisations et entrées en jeu durant une saison qui voit le Milan d’Ancelotti prendre sa revanche face à Liverpool en finale de la Ligue des Champions. Beaucoup utilisé en phase de groupe, Gourcuff perd logiquement sa place lors des matchs à élimination directe et n’est pas dans le groupe pour la finale. En Serie A, le milieu offensif se contente d’une dizaine de titularisations et à peine plus d’entrées en jeu. Après une saison d’apprentissage, l’exercice 2007-2008 doit être celui de l’éclosion. Malheureusement, Gourcuff ne prend jamais son envol. Quatre titularisations en championnat, aucune en Europe, le milieu n’a ni sa chance, ni la cote en Italie. Son talent n’est pas remis en cause, en revanche, un manque d’investissement et quelques retards sont remarqués : une très mauvaise idée au pays de la rigueur défensive.
Heureusement, en Ligue 1, personne n’a oublié son talent, et quand l’opportunité se présente aux Girondins de Bordeaux de remplacer Johan Micoud par un prometteur meneur de jeu, les Bordelais n’hésitent pas. Dauphin de l’Olympique Lyonnais en 2005-2006 puis en 2007-2008, le club au Scapulaire veut passer un cap. Yoann Gourcuff rejoint Bordeaux en prêt avec option d’achat et forme avec Marouane Chamakh, Fernando, ou encore Souleymane Diawara, une armada prête à rivaliser avec l’ogre lyonnais.
L’apogée bordelaise
Au mois d’août 2008, les attentes du public de Chaban Delmas sont à la hauteur du talent de l’effectif bordelais. Le FCGB a échoué quelques mois auparavant à quatre longueurs de l’OL et compte sur la force offensive de Chamakh et Cavenaghi, épaulés par leur nouveau meneur de jeu, pour atteindre ses objectifs nationaux et européens. Objectifs accomplis, avec la manière. Les hommes de Laurent Blanc vont chercher le sixième titre de champion de France du club, ainsi qu’un sacre en Coupe de la Ligue. Un titre national acquis devant l’Olympique de Marseille, deuxième, et l’Olympique Lyonnais, septuple champion en titre, troisième. Après une superbe saison bordelaise, tant dans les résultats que dans le jeu, Gourcuff conclut sa saison en double-double avec douze buts et onze passes décisives, dont plusieurs au cœur de performances remarquables. S’il fallait n’en citer qu’une, comment ne pas choisir la démonstration des Girondins à Chaban Delmas face au Paris Saint-Germain ? Quatre buts à zéro, et une rencontre en forme d’œuvre d’art pour le numéro 8 bordelais. Une passe décisive sur coup franc à Souleymane Diawara pour l’ouverture du score, et un but tout simplement venu d’ailleurs. Roulette, double contact, finition, tout y est. Peut-être l’action la plus Zidanesque n’ayant jamais été faite par un autre que Zizou.
Si la saison 2008-2009 est celle de la révélation, jusqu’à terminer parmi les présélectionnés pour le Ballon d’Or, la suivante doit être celle de la confirmation. Malheureusement, quelques pépins physiques, et des Girondins qui ont complètement craqué en deuxième partie de saison, ne permettront pas au prodige de satisfaire les attentes. Un exercice décevant, terminé en dehors des places européennes, mais une opportunité en or pour les cadors d’arracher un joueur en soif de Ligue des Champions. Arsenal en Angleterre, mais surtout Lyon en France, montrent leur intérêt pour le milieu offensif. Les Rhodaniens, sevrés de sacre national depuis deux ans, cassent leur tirelire pour attirer le futur grand meneur de jeu du football français.
Vingt-deux millions d’euros, une présentation en grande pompe, et la mission de ramener l’OL en haut du football français. La chance parfaite de briller après une Coupe du Monde 2010 catastrophique sur tous les points ? Non, plutôt le début de la fin.
Un cap à passer à l’OL… Et des regrets
À l’Olympique Lyonnais, Gourcuff arrive dans une période post-domination rhodanienne sur le championnat de France. Alors que Lisandro López est arrivé une saison plus tôt en compagnie de Michel Bastos, et que le septuple champion de France compte aussi dans ses rangs des joueurs comme Miralem Pjanić ou Hugo Lloris, les ambitions sont toujours très hautes à Gerland. D’un point de vue collectif, la saison 2010-2011 lyonnaise est correcte, avec une troisième place au championnat et une élimination face au Real Madrid dans un huitième de finale de Ligue des Champions contre des Merengues revanchards. Personnellement, pour l’international français, malgré des statistiques acceptables avec trois buts et cinq passes décisives en vingt-sept rencontres de championnat, sa saison laisse un goût d’inachevé. Pourtant, l’ex-Bordelais n’atteindra même pas ce total de matchs toutes compétitions confondues la saison suivante. Il ne le dépassera d’ailleurs qu’une seule fois au cours des quatre années suivantes, avec trente apparitions en 2013-2014.
Le numéro 29 puis numéro 8 lyonnais manque un total de quatre-vingt-douze rencontres pour blessures en cinq saisons. Entre-temps, l’OL remporte un seul titre, la Coupe France 2012 face au petit poucet Quevilly. Coup de chance, Gourcuff est disponible pour la finale qu’il débute pour participer à l’obtention de son seul titre entre Rhône et Saône. La carrière lyonnaise de l’ancien Milanais ne démarre jamais, malgré des performances correctes voire bonnes lorsqu’il est disponible, le maestro est absent souvent, trop souvent.
Parti par la petite porte à l’issue de son contrat en 2015, Gourcuff tente de se relancer sur les terres de ses débuts, à Rennes, coaché par son père. Deux saisons et demi rythmées par des performances honorables, avec un pic à vingt-sept rencontres en Ligue 1 en 2016-2017, beaucoup pour Yoann Gourcuff, mais peu, bien trop peu, pour le « Successeur » qui n’a pas connu un adieu au ballon rond à la hauteur de son talent. Laissé libre par le Stade Rennais en 2018, il rejoint Dijon, récent dixième de Ligue 1 pour une dernière chance qui semble vouée à l’échec. Huit matchs, quinze minutes disputées par rencontre en moyenne, aucun but, aucune passe décisive. Le pari est perdu, et Yoann Gourcuff range les crampons définitivement. Terme d’un parcours très frustrant en club, et au moins autant en sélection.
L’aventure en bleu
Yoann Gourcuff, ce n’est pas seulement la gloire à Bordeaux, et un passage en dents de scies à l’Olympique Lyonnais, c’est aussi une histoire manquée avec le maillot bleu. Histoire débutée le 20 août 2008 lors d’un match face à la Suède alors qu’il est au cœur de son aventure girondine. Deux mois plus tard, Gourcuff offre un but à Franck Ribéry avant que Kaiser Franck ne permette à son jeune coéquipier d’ouvrir son compteur en Équipe de France d’une superbe barre rentrante de trente-cinq mètres. Comme en club, l’ascension bleue de Yoann Gourcuff atteint son point culminant avant même que l’on puisse en apercevoir le sommet.
Qualifié, de la manière que l’on connaît, au Mondial 2010 avec l’Équipe de France, Gourcuff vit le fiasco de Knysna en marge du groupe, et au cœur de supposés conflits avec des cadres comme Ribéry, Anelka, ou Evra. La Coupe du Monde en Afrique du Sud est la première et dernière compétition internationale du Breton, qui ne participera plus qu’à des matchs amicaux et des éliminatoires pour l’Euro 2012 avec les Bleus. Présent parmi les vingt-six présélectionnés pour la compétition, Laurent Blanc décide de le laisser à quai avant que Didier Deschamps ne lui donne que brièvement sa chance en 2013. Des adieux, là encore, bien en deçà des attentes placées en lui. Trente-deux sélections, quatre buts, une compétition internationale complètement ratée, et achevée sur un carton rouge plus qu’évitable. Il est peut-être là, le seul point commun entre l’ex-futur Zidane et son illustre prédécesseur sous le maillot bleu.
Yoann Gourcuff était l’un de ces joueurs pour qui le résultat n’est rien sans l’esthétisme, l’un de ces joueurs pour qui un enfant tombe amoureux du Beautiful Game, l’un de ces joueurs dont quelques buts auront suffi à marquer les mémoires, l’un de ces joueurs pour qui le football était un jeu, avant d’être un métier. Mais surtout, l’un de ces joueurs dont on ne devrait pas encore parler au passé.
Sources :
- Kevin Charnay, « Il y a dix ans naissait Yoann Gourcuff », So Foot.
- Maxime Brigand, « Tactique : Il était une fois Yoann Gourcuff, en 2009 », So Foot.
- Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger, « Gourcuff – Nadal, échange de balles », So Foot.
- Cyril Morin, « 11 janvier 2009, le jour où Gourcuff a mystifié le PSG pour devenir le « Successeur » de Zidane », Eurosport.
- Transfermarkt.
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