Qualifiée lors des cinq dernières éditions de la Coupe du Monde, la sélection japonaise est aujourd’hui prise au sérieux par tous ses adversaires. Pourtant, cette sélection revient de loin. Alors que la J-League Division 1 (J1 League) était encore connue sous le nom de Japan Soccer League (JSL), le pays ne disposait que de très peu de bons joueurs, et aucun d’entre eux ne souhaitait sortir du pays. Il fallait un pionnier pour prendre les devants, un joueur hors du commun et au talent exceptionnel pour séduire les coaches européens. Remontons 50 ans en arrière, alors que Yasuhiko Okudera foulait pour la première fois le rectangle vert de la JSL.
C’est au Fukurawa Electric – club de l’entreprise dans laquelle il travaillait et aujourd’hui renommé JEF United Chiba – que Yasuhiko entame sa carrière, en 1970. Âgé de seulement 24 ans, le club dispose déjà de trois Coupes de l’Empereur, plus vieille compétition du pays. Il reste sept ans dans son club de coeur, lui offrant un doublé championnat – Coupe de l’Empereur en 1976, ainsi qu’une Coupe du Japon un an plus tard, lors de sa dernière saison au club. Il revient finir sa carrière dans le club qui l’a lancé, mais est surtout connu pour son départ vers l’Europe en 1977 : il était le premier joueur japonais de l’histoire à s’aventurer sur le continent le plus exigeant. Ses 100 apparitions et ses 36 buts pour le Fukurawa lui ont valu beaucoup d’éloges à travers le monde, mais pas assez pour constituer le plus gros changement de sa carrière. C’est à Hennes Weisweiler qu’il doit cela. Alors que le club fait une tournée en Allemagne pour se mesurer à des équipes bien plus fortes, l’entraîneur du 1. FC Cologne repère immédiatement Yasuhiko, lui offrant un contrat avant même que ce dernier n’ait eu le temps de repartir. Naturellement, voyant là l’opportunité de sa vie, le Japonais accepte, supporté par son employeur actuel qui promet de le réembaucher s’il ne réussit pas en Allemagne. A travers cette décision, il devient le premier joueur de son pays à être footballeur professionnel, et le pionnier du football japonais en Europe.
« Je n’étais pas certain de réussir à m’imposer là-bas »
Les débuts d’Okudera sont compliqués. il est l’un des deux seuls joueurs de l’effectif à ne pas être allemand, et n’est pas du tout habitué à la rigueur et au travail du football professionnel. Finalement, le Japonais effectue ses débuts pour le club contre Duisburg le 22 octobre 1977, et Cologne remporte la rencontre 2-1. C’est une saison en dents de scie pour Okudera, qui a du mal à suivre le rythme, et est très irrégulier. Il obtient toutefois la confiance de son entraîneur et joue 24 matchs cette saison. Finalement, il devient le héros de tout un club. Alors que Cologne et le Borussia Mönchengladbach bataillent pour la première place du championnat, Okudera marque lors des deux dernières rencontres du club, lui permettant de remporter son premier titre de champion d’Allemagne depuis 14 ans, le troisième de son histoire.
« Je n’étais pas certain d’arriver à m’imposer là-bas. J’ai connu des moments difficiles pendant ma première année. Ce n’était pas tant le football qui posait problème que le choc culturel. Toutefois, à partir de la deuxième saison, j’ai senti que je commençais à maîtriser la situation. »
Cette deuxième saison fut un échec en Bundesliga, puisque le club ne finit que sixième et ne parvient pas à se qualifier au premier tour de la Coupe UEFA. C’est une saison sans trophée, mais pourtant l’une des plus grandes de l’histoire du club. En effet, le titre de l’année passée permet au club de participer à la Coupe d’Europe des clubs champions, notre Ligue des Champions actuelle.
C’est également une des années charnières de la carrière d’Okudera qui rencontre Pierre Littbarski, qui vient de signer à Cologne. L’Allemand devient alors un grand ami d’Okudera et l’aide à s’intégrer à l’équipe, pas une tâche facile lorsqu’on ne connaît ni la langue ni la culture européenne, même après un an. La C1 allait aider le Japonais à faire ses marques et à rentrer un peu plus dans la légende. Sur le terrain lors de chacune des rencontres de son club lors de la compétition, Okudera est passé de jeune prodige à titulaire incontesté. Cologne se défait facilement des Islandais de l’ÍA Akranes en les battant 5-2, avant de battre le Lokomotiv Sofia 5-0. En quarts de finale, ce sont les Rangers qui se mettent sur le chemin du club allemand, et c’est avec un seul but d’écart (2-1) que l’équipe d’Okudera parvient à se hisser en demi-finales.
Finalement, le Nottingham Forest de Brian Clough viendra mettre un terme à l’épopée du 1. FC Cologne. Pourtant, cette rencontre restera particulièrement gravée dans la mémoire de Yasuhiko, du football japonais et plus largement du football asiatique. Müller et Roger van Gool marquent dès le début de la rencontre et offre une solide avance aux Allemands, rapidement rattrapés et dépassés par les hommes de Clough. Birtles, Boywer et Robertson trouvent chacun leur tour le chemin des filets, permettant au club anglais de prendre les devants.
Nous sommes à la 80ème minute, et Weisweiler fait entrer Okudera. Quelques secondes après son entrée, van Gool est lancé vers le but adverse, mais trop fatigué pour parvenir à semer la défense anglaise. La lumière viendra de sa gauche. Okudera n’a pas touché un seul ballon de la partie, et élimine instantanément un défenseur d’un dribble du pied gauche lorsqu’il le reçoit. Alors seul face au gardien, il décale le ballon sur son pied droit et le dépose dans les filets.
Un but comme un autre qui n’aidera pas son équipe à se qualifier à cause d’une défaite 1-0 au match retour, mais un but que l’on retrouve dans les livres d’histoire. Yasuhiko Okudera était devenu le premier joueur asiatique à marquer en Coupe d’Europe.
A la fin de la saison 1978-1979, Okudera compte 38 apparitions, mais seulement deux en Europe. Malgré ce but historique, sa saison et celle qui suivra sont en dents de scie, et lorsque Cologne reçoit une offre de prêt pour son joueur, le club accepte.
Une aventure allemande prolongée
C’est au Herta Berlin qu’Okudera va se relancer, alors que le club est en deuxième division. Après une saison flamboyante (25 apparitions, 8 buts et 7 passes décisives), Okudera va de nouveau changer de club. En effet, le Hertha Berlin manque les playoffs à un point, et doit rester en deuxième division. Un problème pour les finances du club, qui ne peut pas assurer son salaire. Alors qu’il est à peine rentré à Cologne, son club accepte l’offre du Werder Brême.
Le Japonais y écrira un peu plus sa légende. Il retrouve les sommets du football allemand pendant cinq ans. L’équipe, dirigé par un Otto Rehhagel encore nouveau dans la profession, impressionne toute l’Allemagne. Le jeu y est rapide, explosif et novateur. Rehhagel est grandement mis en avant côtoie le haut du tableau de Bundesliga, finissant vice-championne en 1983, 1985 et 1986. Lors de cette dernière saison justement, Okudera est titulaire lors de la très grande majorité des rencontres et offre alors son meilleur football, permettant au Werder Brême de croire au titre jusqu’au bout. Finalement, le Bayern l’emporte sur la différence de buts. Une cruelle fin de carrière pour Yasuhiko qui, âgé de 34 ans, fait ses adieux à l’Europe.
Okudera retourne au Furukawa Electric en tant que footballeur professionnel, le premier de l’histoire de son pays. Sa carrière fut l’une des plus belles du football japonais. Régulièrement appelé en sélection nationale, il ne parviendra cependant pas à la faire briller, étant l’un des seuls bons joueurs du groupe.
Son statut de pionnier lui vaudra une place au Hall of Fame du football japonais en 2012, puis à celui d’Asie en 2014, laissant une empreinte définitive dans l’histoire.
L’homme qui avait repéré Captain Tsubasa
C’est une anecdote relativement étonnante sur Yasuhiko Okudera. Aujourd’hui, le manga Captain Tsubasa (Olive et Tom) est connu à travers le monde et a, selon leurs dires, inspirés de nombreux footballeurs à se lancer : Messi, Del Piero, Iniesta, Neymar, Agüero… Cette oeuvre a été une source d’inspiration pour un très grand nombre de footballeur.
Dans une adaptation du manga de 1988, Okudera y figure. En effet, il prend alors le rôle de Hennes Weisweiler qui l’avait découvert à l’époque, et est celui qui découvre, le talent de Tsubasa, futur meilleur joueur du monde. Un hommage justement rendu par Yōichi Takahashi à l’homme qui a permis à son pays de tisser de profonds liens avec le monde du ballon rond.
Yasuhiko Okudera a été plus que le premier joueur japonais à s’aventurer en Europe. Il a été un pionnier pour tout son pays, un modèle. Aujourd’hui, tous les clubs de J1 League possèdent une académie et forment de très bons joueurs, que nous voyons de plus en plus en Europe, dans d’excellents clubs. Rien n’est dû au hasard. Premier joueur natif du Japon à avoir le statut de footballeur professionnel sur son territoire, Yasuhiko a indiqué la marche à suivre, inspirant alors tous les acteurs du football japonais à développer ce sport dans leur pays. Les clubs sont structurés de sorte à ce que les jeunes puissent rapidement s’épanouir ailleurs, et ils accueillent parfois de grandes stars venues terminer leurs carrières (Forlan, Zico, Lineker…). Le Japon est devenu un pays de football et continue de grandir très rapidement, grâce à Yasuhiko Okudera, modèle du football japonais en tant que joueur et en tant que président de plusieurs clubs japonais, notamment du Yokohama FC, qu’il a fait passer de la division la plus basse à la J1 League.
« Les clubs japonais ne doivent pas rester à la traîne des formations européennes. Certains joueurs, comme Makoto Hasebe, ont la chance d’évoluer en Allemagne, mais les dirigeants ont eux aussi beaucoup à apprendre. Je souhaite que davantage de Japonais s’intéressent au football et je veux contribuer à ouvrir le football japonais sur le reste du monde. »
Sources :
- Bundesliga.com, Meet the Bundesliga Legends
- Lucarne Opposée, Et si l’avenir du foot était au Japon ?
- These Football Times, Okudera: Japanese football’s first overseas pioneer
- Vice.com, Yasuhiko Okudera, le pionnier des footballeurs japonais en Europe
Crédit photos : IconSports