Le football en Espagne est un sujet sacro-saint. Il transcende les âges et milieux sociaux. On en parle à chaque coin de rue, dans chaque café ou terrasse ensoleillée. Presque élevée au rang de religion, la Liga est l’un des championnats les plus prestigieux d’Europe, qui, contrairement à la Ligue 1 ou encore la Bundesliga, présente en sa première division plusieurs équipes provenant de la même ville (Madrid, Barcelone ou encore Séville). Entre volontés indépendantistes et nationalisme catalan affirmés, le langage universel du ballon rond ne peut que rapprocher.
Le supportérisme en Espagne peut – disons le clairement – être extrême. On parle même d’Aficiòn, c’est à dire le fait de supporter une équipe jusqu’à l’excès, jusqu’à l’acharnement. Quel que soit le classement et le niveau du jeu proposé, les stades affichent quasiment toujours complets et l’amour des supporters pour leur équipe locale se manifeste à toute heure et en tout lieu.
Tel est notamment le cas à Séville, au stade Ramón Sánchez Pizjuán où les supporters du Sevilla FC entonnent avec toujours autant de passion l’himno centenario depuis maintenant 15 ans. Toutefois, il n’est pas le premier hymne officiel à habiter les gradins du stade. Revenons sur ces deux hymnes qui nous plongent au cœur d’événements qui ont façonnés ce club historique.
Des origines aux années 2000
Grand rival du Real Betis, le Sevilla FC nait officiellement en 1905, bien que ses origines remontent aux années 1880. C’est en effet sous l’impulsion d’un groupe de fils d’anciens immigrants anglais qu’est créée la première société de football en Espagne : le Sevilla Fùtbal Club. De fil en anguille et de matchs amicaux en négociations, l’équipe rouge et blanche est finalement fondée le 14 octobre 1905 pour devenir un club qui unit, un club où – d’après un discours de José Luis Gallegos, son premier président – « tous les hommes de n’importe quel niveau social, idées religieuses ou politiques pourront venir».
Ainsi, bien que né en 1905, ce n’est qu’en 1983 que le Sevilla FC officialise son premier hymne. Les paroles écrites par Ángel Luís Osquiguilea prennent vie sous la voix grave de Manuel Osquiguilea. Son titre « Himno official » ne pourrait être plus simple à retenir. Il reste toutefois aujourd’hui trompeur, puisqu’il a rapidement été remplacé.
Ràmon Sànchez Pizjuàn, un personnage emblématique.
Les paroles nous apprennent peu de choses sur l’histoire – à proprement parler – du club, si ce n’est que ses couleurs traditionnelles sont le rouge et le blanc et que son stade est le Ràmon Sànchez Pizjuàn. En réalité, ce n’est que depuis 1958 que le stade accueille l’équipe andalouse, en l’honneur de l’avocat espagnol qui présida le club entre 1932 et 1942 puis entre 1948 et 1956.
A Séville, il semblerait que tout le monde s’accorde sur le fait que Ràmon Sànchez Pizjuàn fut le président le plus charismatique et emblématique que le club ait eu. En effet, à son arrivée, en 1932, le Sevilla FC est en deuxième division et présente des résultats médiocres. Toutefois, les choix stratégiques de son président le propulsent rapidement en première division. En 1935, il gagne même sa première Copa del Presidente de la República – nom donné à l’actuelle Coupe d’Espagne en 1931, à la chute de la monarchie.
En 1936, la guerre d’Espagne éclate et une nouvelle Coupe – la Copa de la España Libre – voit le jour. Toutefois, sa légitimité est (encore aujourd’hui) contestée. En effet, comment prendre au sérieux une Coupe où la moitié des équipes en compétition proviennent de régions en guerre ?
En 1939, alors que la guerre prend fin avec la victoire du « nationalisme » franquiste, un nouveau championnat national est mis en place – el Trofeo de S.E. El Generalísimo, rapidement renommé Copa de S.E. El Generalísimo. A l’issue de la compétition, Franco remet lui même en mains propres la Coupe à l’équipe victorieuse. Et en 1939, cette équipe n’est autre que le Sevilla FC, après avoir infligé le score de 6-2 au Racing de Ferrol. Encore aujourd’hui, il s’agit d’un des scores les plus élevés dans l’histoire des finales de Coupe d’Espagne.
Ainsi, bien que le bon déroulement des compétitions ait été perturbé par le conflit qui faisait rage dans la péninsule, le football a conservé une place importante, si ce n’est primordiale en Espagne durant la Guerre civile. Et ce, tant pour les républicains qui en font une activité centrale pour oublier l’infortune que pour le régime franquiste qui en fait un élément de propagande majeur, notamment par la mise en place dès 1938 de nouvelles institutions sportives (ex : le Conseil national des Sport ou encore le Comité olympique espagnol).
En 1941, une opportunité du régime franquiste s’offre à Ràmon Sánchez-Pizjuán. Fier de ses accomplissements pour le club, il accepte la position de vice-président du corps fédératif dans l’optique de propulser son club vers de plus hauts sommets et en faire le club le plus prestigieux d’Andalousie.
Ainsi, bien que les paroles de l’Himno official se réfèrent au stade Ràmon Sànchez Pizjuàn, elles nous offrent l’opportunité d’en découvrir plus sur l’un des protagonistes majeurs de l’histoire du club blancorojo.
Austérité économique et anniversaire centenaire du club
L’hymne officiel de 1983 n’enchante pas autant que souhaité les supporters, qui considèrent l’hymne peu entraînant et terne. Toutefois, en 2005, année des cent ans du club, leurs désirs d’un chant à la hauteur sont exaucés puisqu’un des hymnes les plus poignants et émouvants est composé pour les Sevillistas et accompagnera l’équipe lors de belles et nombreuses victoires.
Pourtant, au début des années 2000, le club rencontre de profondes difficultés financières et échecs sportifs. Un nouveau président est nommé : Robert Alès. Ce dernier est contraint de mettre en place un plan drastique d’économie de guerre et de « méthode allemande » pour remettre en état le club andalou, qui a souffert des excès de ses dirigeants. Le club aurait alors été si endetté que les rumeurs racontent que Robert Alès aurait payé lui même les ballons destinés à l’entrainement.
Toutefois, les mesures draconiennes imposées au début du millénaire permettent progressivement au club de se relever et de revenir sur le devant de la scène. En effet, dès la saison 2004 / 2005 le Sevilla FC manque de peu l’accession à la Ligue des Champions. Terminant 6e de la Liga, le club andalou se qualifie pour le premier tour de la Ligue Europa (anciennement dénommée Coupe de l’UEFA). Et alors que le début du siècle n’était pas favorable au club, c’est dans un contexte de victoires, – essentiellement européennes – que naît l’hymne centenaire qui fait vibrer les Sevillanistas depuis maintenant 15 ans.
La naissance d’un hymne mythique
Ce que nous apprend la première phrase de l’hymne c’est que le club est né un 14 octobre.(« L’histoire raconte qu’un 14 octobre un rêve est né »). Cette naissance est qualifiée de rêve. Le rêve d’une ville toute entière. Pour les 100 ans du club ce nouveau chant est composé par Francisco Javier Labandón Pérez. Sans le savoir, cet homme aux airs de Jack Sparrow espagnol – plus connu sous le surnom « el arrebato »- pouvant être traduit littéralement par « l’explosion » vient de composer un hymne qui marquera à tout jamais l’histoire du club.
Ce nouvel hymne est une explosion au cœur du stade Sànchez-Pizjuàn. Une explosion de joie et de fierté. Pourtant, l’auteur de l’hymne ne s’attendait pas à un tel engouement de la part des supporters. Dans une interview il avoue même que, lors de sa composition, avoir pensé que « cela allait être quelque chose d’anecdotique, un truc de plus parmi les festivités des cent années du club. » C’était sans compter sur le succès rencontré par ce chant. Récemment, un sondage effectué par le site Marca le place, à la deuxième place des hymnes les plus exaltants du football, derrière celui de Persépolis, mais juste devant celui d’Anfield. En 2006, il est même le deuxième single le plus vendu d’Espagne.
L’hymne est donc très vite adopté par les supporters. Et comment ne pas l’apprécier. Son air engageant et ses paroles solennelles ne peuvent que réchauffer et faire vibrer le cœur de tout amoureux du ballon rond. Tel un chant de guerre, l’hymne est une déclaration d’amour et de soutien inconditionnel des supporters pour l’équipe andalouse, chantant à pleins poumons qu’ils seront sevillistas jusqu’à la mort.
En ce sens, Jorge Andújar Moreno, de son surnom « Coke », affirme que ce nouvel hymne est « de l’émotion pure avant les matchs » ou encore « un grand moment de communion » pour Kevin Gameiro, tous deux joueurs au Sevilla FC jusqu’en 2016.
Si cet hymne est musicalement – et en toute objectivité – une oeuvre d’art, il est aussi un chant historique puisqu’il nous plonge au cœur de l’histoire médiévale de la ville.
Une fenêtre ouverte sur le passé
Les paroles ne font pas directement référence aux événements qui ont marqué la ville de Séville mais attisent nécessairement l’intérêt des plus curieux d’entre nous. Ainsi, deux points importants sont évoqués : l’écusson du club (« Partageant la gloire de ton écusson, fierté footballistique de notre ville. ») et la fameuse Giralda de Seville (« La Giralda veille avec fierté sur Séville à Sánchez Pizjuán »).
Un bouclier pour écusson
Depuis 1921, le logo du Sevilla FC a peu évolué. Il représente un bouclier héraldique divisé en trois parties et affiche en son centre un ballon stylisé tel qu’il était au début du XXIème siècle.
La partie supérieure gauche est celle sur laquelle il convient de se concentrer puisqu’elle représente de grandes figures historiques qui ont marquées la ville de Séville : les Saints Isidoro et Leandro (ces derniers étant également présents sur l’emblème de la ville).
Ville antique, Séville est un centre culturel rayonnant et essentiel de l’Al-Andalus. Lieu stratégique majeur d’un point de vue militaire, commercial et culturel de la péninsule Ibérique, Séville possède une histoire riche ; la ville passant successivement entre les mains des Phéniciens, des Grecs, des Carthaginois, des Romains, des Vandales puis des Wisigoths. Après une conquête de 15 ans (711-726) Séville tombe finalement sous la dépendance des troupes musulmanes du lieutenant Tarik.
Toutefois, en 1248, le roi Ferdinand de Castille – grande figure de la Reconquista et représenté au centre de l’écusson – après un siège de 16 mois, parvient à récupérer la ville face aux Almohades. En effet, après plusieurs mois de croisade, en 1230, Ferdinand III réunit de manière définitive les royaumes de Castille et de Léon. Figure de lutte et de vaillance par excellence, Ferdinand fut canonisé en 1671 et sa présence sur l’écusson du club n’est que l’expression d’une volonté du club de s’attribuer les qualités qu’il représentait.
Deux autres personnages encerclent Ferdinand de Castille : deux figures essentielles du christianisme en Espagne de la fin du VIe siècle au début du VIIe siècle- deux évêques de Séville – les frères, Saint Isidoro et Saint Leandro. En effet, dès la fin du VIe siècle, la ville devient un centre culturel et religieux de premier plan, se développant autour des figures de Leandro et d’Isidoro. Le premier d’entre eux joua un rôle majeur dans la conversion des Wisigoths au christianisme en 589. Le second, peut être plus connu (ou reconnu) lui succède et marque son épiscopat par un enrichissement sans précédent d’œuvres littéraires abordant des domaines variés. Des manuscrits venants de Rome ou même de Constantinople sont ajoutés à la bibliothèque épiscopale. Toutefois, les périodes épiscopat aussi bien de Leandro que d’Isidoro ne sont pas uniquement marquées par le développement culturel et religieux de la ville, mais représentent également une période de vives persécutions anti-juives et de conversions forcées, qui s’est amplifiée sous Isidoro, qui composa même vers 620 un traité De la foi catholique contre les juifs.
Quoiqu’il en soit, le choix de ces trois figures historiques peut largement être justifié en ce qu’elles représentent des symboles forts d’une ville ayant pour volonté d’affirmer son identité et ses origines ainsi que mettre en avant les qualités que le club veut matérialiser et partager : la bravoure, la combativité et un acharnement sans faille.
« La Giralda presume orgullosa de ver al Sevilla en el Sánchez Pizjuán »
Une seconde allusion est faite à l’histoire de la ville « La Giralda » de la Cathédrale de Notre-Dame du Siège de Séville. Revenons sur l’histoire particulière de celle-ci.
Symbole par excellence de la Reconquista, cet édifice démesuré – mais non moins fabuleux – n’est autre qu’une ancienne mosquée almohade datant de 1172 et construite sous le règne du Calife Abu Yaqud Yusuf. Lors de la reconquête de la ville par Ferdinand III, cette mosquée fut « christianisée ». Elle devint ainsi un lieu de culte chrétien, tout en conservant sa forme d’origine bien que quelques mineures modifications y furent apportées. Ce n’est toutefois, qu’entre le XVème et le XVIème siècle, qu’elle fut finalement rebâtie en cathédrale de style gothique.
Lors de la réunion précédant sa construction, un de ses architectes, Alonso Martinez se serait exclamé : « Construisons un temple si grand que ceux qui le verront terminé nous prendront pour des fous ! ». Et en effet, il s’agit encore aujourd’hui d’une des plus grande cathédrale du monde, ainsi qu’une des plus fastueuses et possède une collection de peintures et richesses en tous genres extrêmement importantes. On retrouve en son sein, les corps du roi Fernando III de Castille, ainsi que de Christophe Colomb. Enfin, la Giralda, ancien minaret de la mosquée est dès le XVIe siècle dominée par un beffroi. La statue qui s’y trouve en son sommet sera baptisée « El Giraldillo » lors de son installation, en 1586 et sera le parfait symbole de la victoire de la foi chrétienne sur l’Islam.
Les deux hymnes qui ont habité les gradins du stade Sanchez-Pizjuan nous permettent d’en apprendre un peu plus sur la ville, son histoire, ainsi que sur celle du club, qui sont inextricablement liées. Si le premier chant n’a pas fait l’unanimité auprès des supporters du club, l’himno centenario de 2005 est un véritable cri d’amour et de passion pour le club blancorojo. Il offre à toute oreille attentive un plaisir musical certain, une sensation d’exaltation et d’émotion intense. Toutefois, cet hymne ne nous procure pas uniquement un bonheur sur l’instant mais nous oblige à remonter le temps au cœur de l’histoire qui a façonné la ville et inévitablement celle du club. Des figures telles qu’Isidore, Leandro ou encore Ferdinand III, les saints patrons de la ville partageant les vertus que le club souhaite représenter.