Dans son poème L’héautontimorouménos, parlant de sa solitude et des douleurs qu’il s’inflige lui même, Charles Baudelaire en plein spleen écrit “Je te frapperai sans colère”. Cette phrase aurait pu être écrit par Xavi ou Iniesta, tant leur football était chirurgical et fatal pour l’adversaire, tout en étant toujours dans la douceur et la volonté de magnifier le jeu. Tels “la plaie et le couteau ; le soufflet et la joue” que Baudelaire associe, Xavier Hernández i Creus et Andrés Iniesta sont complémentaires et indissociables. Xavi et Iniesta, Iniesta et Xavi, un duo légendaire qui a dû faire face aux critiques des premiers jours avant de s’imposer aux yeux du monde entier comme une référence.
Âgé de 4 ans de plus que lui, Xavi se rappelle très bien de sa première rencontre avec Andrés Iniesta. Évoluant alors en Juvenil, l’équivalent des U19 pour nous, il entend parler d’un joueur issu lui aussi de La Masia qui fait forte impression avec les catégories inférieurs et qui lui ressemblerait beaucoup. Intrigué, il décide d’aller le voir jouer et il témoigne :
« C’est n’importe quoi ! Il ne me ressemble pas ! C’est n’importe quoi ! Il est différent ! Il ressort mieux le ballon que moi, il dribble mieux, il peut jouer sur le côté, il est capable de faire une croqueta… […] C’était un spectacle de le regarder jouer. Ce que vous pensiez à froid, il le faisait sur le terrain. »
Une association mal vue
La différence d’âge fait que les deux joueurs mettront quelques années avant de pouvoir enfin évoluer ensemble, en équipe première. La Máquina, surnom de Xavi, a fait ses débuts en 1998, lancé par Louis Van Gaal. Il s’impose petit à petit comme un membre important du XI type, au côté d’un certain Pep Guardiola, qu’il retrouvera plus tard. Iniesta débute lui en 2001 en Ligue des Champions mais il ne sera promu en équipe fanion que l’année suivante, lancé aussi par Van Gaal. Le jeune Andrés mettra plus de temps à devenir un membre important de sa formation. C’est seulement lors de la saison 2004-2005 qu’il devient un titulaire à part entière. Cet exercice coïncide avec son premier titre remporté, le championnat d’Espagne.
Cependant, bien que le génie des deux milieux de terrains ne soit pas contesté, l’opinion générale avance qu’ils ne peuvent pas évoluer ensemble sans que l’équipe se retrouve trop déséquilibrée. La presse s’en donnait à coeur joie de critiquer leur association, parlant de deux joueurs amusants avec le ballon, mais trop frêles, qu’on ne pouvait associer. Soit Xavi, soit Iniesta, mais rarement les deux. En décembre 2005, Xavi est victime d’une rupture du ligament antérieur droit et se retrouve sur la touche. Son remplaçant est tout trouvé et se nomme Iniesta. Cependant, ce dernier ne sera pas aligné pour affronter Arsenal en finale de Ligue des Champions 2006. Frank Rijkaard le fera rentrer à la mi-temps, se rendant sûrement compte de son erreur. Don Andrés permettra aux culés de reprendre le contrôle du jeu, et de remporter la compétition.
L’arrivé de Pep Guardiola et l’avènement du duo
L’ère Guardiola sera un bouleversement total dans l’idéologie du football pour le monde entier. Avec ses principes poussés à l’extrême mais toujours efficaces, il a fait renaître le tiki-taka barcelonais. Contrairement à ses prédécesseurs, il voit en Xavi et Iniesta un duo capable de garder le contrôle du ballon dans toutes les situations. Enfin associés pour de bon, la légende peut démarrer.
Les deux partenaires étaient la meilleure promotion possible pour le football imaginé par Pep. Regardez les jouer pendant un match et vous serez convaincu de la beauté, mais surtout de l’efficacité de leur jeu. Ensemble, ils sont le cerveau d’une des meilleures équipes de tous les temps, régnant en maître sur l’Europe deux fois, en 2009 et 2011, et remportant trois fois le championnat d’Espagne. Parallèlement, ce style est adopté par la sélection espagnole qui n’a d’autres choix que d’aligner sa paire de génies. Double championne d’Europe en 2008 et 2012 et surtout championne du monde en 2010, l’histoire donnera largement raison à Luis Aragonés puis Vicente del Bosque d’avoir fait confiance à ce duo venu tout droit de Catalogne. Au fil de leur carrière les distinctions ont continué à pleuvoir et le succès ne les a jamais quitté, mais l’âge d’or de ce duo Xaviniesta se situe entre 2008 et 2012.
Si Iniesta et Xavi sont présentés comme deux joueurs aux caractéristiques similaires, il faut toutefois nuancer ces propos. Tout d’abord, bien qu’ils aient été associé de très nombreuses fois au milieu de terrain, Andrés Iniesta a fréquemment évolué dans le couloir, plus rapide que son partenaire et plus habile pour effectuer des courses en profondeur. Xavi est lui plutôt un métronome, adepte de la Pausa. Il était fait pour dicter le rythme du match, accélérer quand il fallait, et surtout, savoir conserver le ballon pour frustrer encore plus l’adversaire. César Luis Menotti a dit une fois “qu’une équipe de football est comme un orchestre”, alors, Xavi en est sans doute le chef. Il est l’ambassadeur même de la fameuse Pausa, une expression venue tout droit du fond de l’Argentine, traduisant une sorte de geste technique qui n’en est pas vraiment un. Elle consiste pour le joueur d’attendre, de conserver le ballon assez longtemps pour ensuite réaliser une passe idéale, dans le bon tempo, pour un partenaire.
Iniesta a lui un profil plus dribbleur, plus vif. Tout comme Xavi il était capable de distiller des passes avec perfection, mais il avait une arme secrète dans son arsenal : la Croqueta. Il s’agit d’un geste technique réalisé pour la première fois par Michael Laudrup, et ce n’est pas un hasard si Iniesta était un fan du danois qui a évolué sous le maillot catalan. La Croqueta consiste à faire rebondir le ballon sur son pied droit puis son pied gauche, ou inversement, de manière très rapide pour éliminer son vis-à-vis. De nombreux adversaires ont perdu un rein en essayant de suivre la vitesse du magicien Andrés.
Trois matchs marquants
Résumer l’immensité de deux carrières aussi accomplies demeure impossible. Toutefois, trois matchs en particuliers ressortent comme une vitrine de leurs exploits :
- Espagne 1 – 0 Pays Bas, Finale de la Coupe du Monde 2010
Gagner une Coupe du Monde constitue pour bien des joueurs le point d’orgue d’une carrière. Que dire d’en être le buteur décisif ? Tout commence assez tardivement, à la 109e minute quand, d’un une-deux avec Xavi, Iniesta part en profondeur et est accroché par John Heitinga, provoquant l’expulsion de celui-ci. Quelques minutes plus tard, Andrés persiste à prendre la profondeur et est servi par Cesc Fabregas, il envoie le cuir au fond des filets et permet à l’Espagne d’être enfin couronnée Championne du Monde. Dans sa lettre à Iniesta, Xavi s’interroge sur l’identité du sauveur :
« Pourquoi lui et pas un autre ? Mais pourquoi Andrés a marqué le but ? Parce qu’il devait le marquer. Ça ne pouvait pas être quelqu’un d’autre. Qui cela pourrait-il être à part lui ? Quelqu’un béni des Dieux.
Andrés Iniesta sera en toute logique nommé homme du match, avant d’être celui d’une autre finale, contre l’Italie en 2012 lors de l’Euro.
À voir aussi : Histoire bouleversante du but d’Andrés Iniesta
- Barcelone 5 – 0 Real Madrid, Championnat d’Espagne, 29 Novembre 2010
Pour beaucoup de barcelonais il peut s’agir du plus beau match réalisé par l’équipe, tant la domination était totale sur l’éternel rival de la capitale. En plein pendant l’opposition de style entre Guardiola et Mourinho, Xavi, Iniesta et leurs partenaires vont donner une leçon de football à leurs adversaires du soir. Le duo se distingue lors de l’ouverture du score. Iniesta reçoit une passe de Lionel Messi, gagne du terrain, fixe la défense madrilène qui continue de reculer puis envoie une passe laser dans un trou de souris entre 4 joueurs pour servir Xavi en profondeur. Celui-ci contrôle parfaitement le ballon et lobe Iker Casillas pour amorcer une soirée qui sera magique et légendaire.
- Barcelone 3 – 1 Manchester United, Finale de la Ligue des Champions 2011
“Ce n’était pas vraiment Messi le problème, c’était Xavi et Iniesta. Ils ont gardé le ballon toute la soirée.” “C’est surement la meilleure équipe que j’ai rencontré tout au long de ma carrière”. Voila comment ont réagi respectivement Sir Alex Ferguson et Michael Carrick après leur défaite dans la plus belle des compétitions européennes. “Messi fait gagner les matchs, mais Xavi et Iniesta détruisent les adversaires” ajoute Wayne Rooney. Cette rencontre aura traumatisé sérieusement les Red Devils, défaits une seconde fois en 3 ans par les catalans au même stade de la compétition. Il faut dire que la performance des barcelonais aura été complète, maîtrisée à la perfection une nouvelle fois par le tandem Xavi et Iniesta. Les deux joueurs peuvent se targuer d’avoir toujours été au rendez-vous lors des grands matchs, et des finales européennes donc. Si Lionel Messi est élu homme du match lors de celle-ci, Xavi l’a été lors de la victoire en 2009 et Andrés Iniesta sera celui du sacre en 2015.
Une amitié sans faille
Leur entente sur le terrain vient-elle de leur amitié de la vie de tous les jours ? Ou est-ce l’inverse ? Une question à laquelle il est presque impossible de répondre, mais force est de constater que les deux sont de très bons amis. En témoigne le discours prononcé par Iniesta lors de l’ultime conférence de presse de la Máquina, celui ci ne pouvant retenir ses larmes.
“Je tiens à te remercier personnellement pour toutes ces années, pas seulement pour les moments magiques, mais aussi pour nos discussions en dehors du football. Nous avons la complicité d’un maître et d’un élève. En définitive, c’est un privilège d’être à tes côtés. Tu nous accompagneras toujours, ami.”
Xavi lui a rendu la pareille trois ans plus tard, quand son compère quittait lui aussi son club de toujours pour finir sa carrière au Japon. Vous pouvez lire cette lettre, véritable ode au football d’Iniesta et à son impact dans le beautiful game traduite ici : lettre de Xavi à Iniesta.
Leur aventure commune se terminera de la plus belle des façons possible, lors de la finale de la Ligue des Champions 2015 contre la Juventus. À la 78e minute, le panneau du 4e arbitre indique la sortie du numéro 8 pour la rentrée du numéro 6, un dernier passe d’arme entre Xavi et Iniesta.
Un héritage puissant
Combien de fois avons-nous entendu un commentateur dire “Xavi passe le ballon à Iniesta” ou bien l’inverse ? Au moins 486 fois ! En effet, club et sélection cumulés, ils ont été aligné ensemble pas moins de 486 fois, un chiffre colossal. Et que dire du palmarès qu’ils partagent. Une Coupe du Monde, deux Championnats d’Europe, quatre Ligue des Champions, neuf Championnats d’Espagne pour Andrés Iniesta, huit pour Xavi. Passons les coupes et supercoupes gagnées, cela serait bien trop long de les détailler tant il y en a. Il faut à cela ajouter les multiples distinctions individuelles glanées. Le point d’orgue sera leur double présence sur le podium du Ballon d’Or 2010, que remportera Lionel Messi. Il s’agit de la seule fois que les trois membres du podium étaient formés au sein du même club, et y jouait encore. Bien que les deux joueurs auraient mérité amplement de le gagner, ils n’ont pu que s’en approcher à plusieurs reprises, sans jamais le remporter. Toutefois on imagine bien sans mal que cela ne les a jamais affecté, tant ils ne vivaient que pour le collectif.
Le tandem aura participé à introduire une nouvelle manière de jouer au foot, ou du moins de la populariser. Ils ont fait rêver tous les catalans, les espagnols, et les fans de football en général. En prouvant que le physique n’était pas important pour un milieu de terrain, ils ont permis à de nombreux jeunes joueurs d’émerger sur la scène professionnelle. De ce duo génial ressortira une complicité sans équivalent, et un talent hors-norme, possédant un des plus beaux palmarès du football mondial. Désormais retraité, Xavi se rêve en futur entraîneur de son club, le FC Barcelone. Avec Iniesta à ses côtés ? Le principal intéressé a récemment déclaré “un tandem Xavi-Iniesta, ça sonne pas mal, mais ce n’est pas possible pour le moment”. Nul doute que les deux magiciens n’ont pas fini de nous faire rêver.