Ayant pour but de vous faire revivre l’histoire du football à travers notre site, nous avons pu dresser le portrait de joueurs, entraîneurs et arbitres ayant changé l’histoire du ballon rond. Loin des terrains, d’autres acteurs permettent de nous faire vivre ce merveilleux sport : commentateurs, journalistes et, plus récemment YouTubers. Ce lundi 3 février, nous avons eu la chance d’interviewer Wiloo, détenteur d’une chaîne YouTube à travers laquelle il analyse le football avec davantage de nuance que ce qui se fait dans les médias classiques. But en or, joueurs préférés, talents gâchés, moments marquants… il revient, pour nous, sur les différents épisodes qui ont marqué sa vie de fan de football.
Serais-tu capable de nous donner une définition de légende du football ?
C’est difficile de répondre. Derrière le terme, il y a une forme d’objectivité : une légende l’est pour tous. Mais le foot est un sport profondément subjectif, où le club que l’on supporte et le pays d’où on vient guident notre regard.
La légende va donc résoudre cette tension, en mettant tout le monde d’accord. Le débat footballistique de notre siècle a sans doute été celui opposant Cristiano Ronaldo à Lionel Messi, mais les subjectivités commencent à s’estomper, et tous ou presque sont unanimes pour dire que la comparaison est inutile.
Est-ce qu’il y a un joueur que tu n’as pas pu voir jouer, mais que tu aurais vraiment voulu regarder ?
Si je ne devais en choisir qu’un, et si j’exclue les compilations YouTube, je dirais Cruyff dont je connais mieux les mots que les images. On peut être éduqué sur Cruyff, le penseur, mais j’aimerais l’être davantage à propos de Cruyff, le joueur.
De ton vivant, quelle est l’équipe qui t’a le plus impressionnée ?
Sans doute le Barça de Guardiola. Les souvenirs d’enfance sont souvent les plus forts, et c’était la première fois que je voyais une équipe être aussi dominatrice, aussi différente, et en même temps aussi proche du foot qu’on pouvait pratiquer sur console.
Personne ne trouvait la réponse face quelque chose qui semblait pourtant si simple : passes courtes, finitions à ras de terre, récupération dès la perte de balle… Aujourd’hui, je ne suis pas un dogmatique du jeu de position et j’aime le football sous toutes ses formes, mais je regarde quand même souvent des compils de l’époque : c’est un régal.
Quel est ton poste préféré, et quel joueur préfères-tu à ce poste ?
Je n’ai pas vraiment de poste préféré, mais il y en a un qui me passionne peut-être plus que les autres, c’est celui de milieu reculé. La décennie passée a été particulièrement marquée par l’importance de la relance et le 6 moderne y a joué un rôle primordial. On pense bien sûr à Busquets, mais j’aime beaucoup ce que fait Pjanic aussi. Prendre l’information en continu, voir les zones à exploiter, et tout ça dans un objectif foncièrement collectif, je trouve qu’on se rapproche là de l’essence même du football. Un sport joué avec la tête, et avec les autres.
Selon toi, quel est le plus grand exploit de l’histoire du foot ? Un match, une saison…
Il y en a trop, et je préfère parler d’un que j’ai vécu : la finale de la Ligue des Champions 2005. Revenir de 3-0 à 3-3 en six minutes, alors que tu rentres à la mi-temps la tête sous l’eau, face à un Milan superbe, qui a livré un récital de football… J’ai été particulièrement marqué par ce match parce que c’est le premier renversement de situation extraordinaire que j’ai vécu, et il a ouvert dans mon esprit d’enfant la possibilité d’un football magique. On sait que la rencontre n’est pas jouée avant le coup de sifflet final, et on le sait aujourd’hui mieux que jamais, mais à l’époque cette phrase était simplement une maxime d’entraîneur, ou de commentateur, jamais vérifiée… jusqu’à cette folle nuit d’Istanbul.
Regrettes-tu la règle du but en or ?
La dimension théâtrale du but en or est exceptionnelle, et on a eu la chance en France d’en vivre deux majeurs (Laurent Blanc vs Paraguay 1998, David Trezeguet vs Italie 2000). Récemment j’ai évoqué en vidéo celui de la Turquie contre le Sénégal en 2002… Ce sont des moments extraordinaires qui peuvent rendre nostalgiques. Mais je ne suis pas sûr que la règle serait appropriée aujourd’hui, et je ne suis même pas sûr qu’elle l’ait été à l’époque. Les buts qu’on a cités sont davantage une exception, et la peur de se livrer a offert de nombreuses prolongations stériles… Le but en or n’allait donc pas dans le sens du jeu, alors qu’il avait probablement été créé pour ça.
Alors je ne suis pas un grand fan de tirs au but, je trouve que peu de choses ne ressemblent plus à une séance de tirs aux buts qu’une autre séance de tirs aux buts, en tout cas dans les livres d’Histoire, et je préfère un but en prolongations : Iniesta en 2010, Götze en 2014. Mais je ne suis pas particulièrement nostalgique du but en or. On en a peut-être eu sa version ultime grâce à Trezeguet, et ça me suffit.
Nombreux sont les personnes qui pensent que le football était mieux avant. D’autres préfèrent simplement dire qu’il évolue. Que penses-tu de ce débat ?
Comme partout, il faut se méfier du mythe de l’âge d’or. Avant, les arbitres étaient aussi très permissifs, les joueurs très exposés, des carrières ont été brisés sur un tacle, il y avait moins de créativité car les défenses étaient moins sanctionnées… Je pense qu’aujourd’hui, on a la version la plus spectaculaire du foot, et même avec des individus extraordinaires, on a aussi avancé dans la réflexion collective, pour arriver à ce qui est sûrement sa forme la plus aboutie. Evidemment, la progression dans le domaine athlétique est un point fondamental, mais chaque génération de joueur est aussi en moyenne plus douée techniquement que la précédente. Aujourd’hui, on voit même émerger des profils qui hier auraient été impensable : un joueur grand mais extrêmement mobile et technique, comme Erling Haaland.
Après, si on parle du football en général, beaucoup de choses entrent en compte : l’ambiance en tribunes, la répression des supporters, la manière dont les règles du jeu évoluent… Le tableau global est plus difficile à définir, mais en matière de jeu le football des dernières années est -je pense- imbattable.
Penses-tu que le VAR fasse avancer le foot dans la bonne direction, ou qu’à l’inverse cela nous prive de ce qui nous faisait aimer ce sport ?
Ce que je regrette le plus, c’est de sacrifier l’émotion d’un but. Je suis allé au stade récemment, mon équipe a marqué, mais l’appel était à la limite du hors-jeu et je n’ai célébré qu’à moitié, avec de la retenue. Il n’y a plus de sentiment de finalité, et la réinterprétation potentielle de ce qu’on vient de vivre se marie mal au football. Certains estiment que l’on vit grâce aux VAR d’autres émotions, comme le plaisir de voir un but encaissé être annulé, mais je ne souhaite pas vivre le football comme une expérience comptable. Sans instantanéité, le football perd de son essence.
La beauté de notre sport est aussi liée à sa fluidité. Quand on voit que certains réfléchissent à monétiser les temps de VAR, à fragmenter davantage le temps de jeu, c’est triste. La VAR prend le pari d’introduire davantage de justice dans un match, mais on peut imaginer que c’est une course perdue d’avance. Même si le volume total d’injustices baisse, la perception d’injustices demeure constante, car notre sensibilité à l’injustice augmente.
Coupe du Monde ou Ligue des Champions ?
Je préfère ne pas choisir, car je serais très triste de perdre l’une des deux compétitions !
La Ligue des Champions, c’est le plaisir de voir le meilleur football possible. Les clubs sont depuis plusieurs décennies maintenant les institutions footballistiques les plus puissantes, et leurs ressources -financières mais aussi temporelles- permettent un niveau de performance inégalable. Il y a des exceptions, mais l’équipe qui gagne la Ligue des Champions sera collectivement plus forte que celle qui remporte la Coupe du Monde.
Et puis au-delà de la suprématie du jeu, j’aime aussi beaucoup ce rendez-vous de milieu de semaine. J’adore les matchs le mardi et le mercredi soir : on y pense toute la journée en cours ou au travail, le soir on rentre, excité, pour vivre une super soirée, et le lendemain on en parle avec ses potes… il y a vraiment ce côté inscrit dans le quotidien, dans la routine, dans la « vraie vie », quelque part. Et j’y tiens énormément.
Après, la Coupe du Monde c’est la promesse de vivre un bel été. Trois ou quatre matches par jour, de nouveaux assemblages de joueurs, de nouvelles couleurs, les stades harmonisés qui mettent une ambiance sympa : c’est visuellement un beau tournoi, un tournoi confort – plaisir. Je préfère les matchs de poules : un Sénégal-Pologne de 15h, un Nigéria-Argentine de début de soirée, la liberté de l’été… c’est un sentiment particulier, même plus encore que le fait de voir l’Equipe de France, que je soutiens, mais n’a jamais été quelque chose de fondamental dans mon rapport au foot.
J’aimerais donc vraiment garder les deux compétitions sous leur forme actuelle : pas de Ligue fermée, et pas de Coupe du Monde en hiver au Qatar, avec 128 équipes dans vingt ans.
Nous remercions chaleureusement Wiloo pour sa disponibilité et ses réponses pertinentes.
Une interview réalisée par Adrien Roche et Samuel Zagury.