Cuisine, agriculture, aviation… Aujourd’hui, presque chaque domaine de la société a été adapté en jeu vidéo. Le sport n’a donc pas pu échapper à cette tendance et le football, le plus populaire de tous, a depuis longtemps fait sa transition dans le monde virtuel. Retour sur les premières heures du jeu de foot.
En 1972, le jeu vidéo connaît l’un de ses premiers succès auprès d’un large public avec PONG, commercialisé par la société Atari. Le concept, conformément aux moyens technologiques à la disposition des développeurs, est simpliste : les joueurs contrôlent un bâton représentant une raquette virtuelle et le but est de mettre la balle hors de portée de son adversaire pour remporter un point. Un an plus tard, la société Taito, rivale d’Atari, adapte le jeu pour une édition football avec Soccer. Cette fois, chaque joueur contrôle deux bâtons, l’un représentant un attaquant et l’autre un gardien de but. On est donc bien loin des 22 joueurs, du terrain, des cages et du stade propres au match de foot. On vit alors les premières heures du jeu vidéo, mais la question de la difficulté de réaliser un jeu de football réaliste avec les moyens à disposition est déjà posée.
Les premières heures : une adaptation à l’épreuve des limites technologiques
Après Soccer en 1973, il faut attendre les années 1980 pour voir le monde du jeu vidéo s’intéresser de nouveau au football. La tendance change alors du tout-au-tout : après le calme des années 1970, la décennie suivante offre une incroyable diversité de titres portant sur le football. Dès 1980, Atari lance sur arcade un premier jeu qui met réellement en scène des joueurs sur un terrain : appelé en toute originalité Soccer, le titre permet de jouer à quatre joueurs, chacun contrôlant un footballeur dans une équipe de deux. Soccer illustre cependant bien la difficulté de retranscrire un vrai match de football en jeu vidéo : l’intelligence artificielle d’alors ne peut pas générer 22 joueurs, les limites du terrain sont comme des « murs » sur lesquels le ballon rebondit et les graphismes sont évidemment loin de pouvoir retranscrire le football tel qu’on le voit à la télévision. Le premier jeu sur console, Championship Soccer sur Atari 2600, paru la même année, est confronté aux mêmes difficultés. Ici, chaque joueur contrôle simultanément les 3 coéquipiers qui composent son équipe et font exactement les mêmes mouvements. La première vraie innovation vient de NASL Soccer sur Intellivision, qui tente de contourner les limites technologiques par une ingénieuse méthode : lorsqu’un joueur disparaît d’un côté du terrain car plus dans le champ de la caméra, un autre apparaît de l’autre côté pour donner l’illusion que l’équipe est bien composée de 11 joueurs sans avoir à gérer autant d’intelligence artificielle. Aussi, les touches et les six-mètres font enfin leur apparition, on peut donc pour la première fois considérer qu’un réel match de foot est retranscrit en jeu vidéo.
En 1983, on peut cependant craindre que l’essor du football dans les jeux-vidéos soit brusquement freiné par la crise touchant l’industrie aux États-Unis, faute à un marché qui s’est saturé après le succès des Pong, Pac-Man ou Space Invader. Mais plutôt que de ralentir, la dynamique va se déplacer vers les développeurs européens et japonais. En Europe, ce sont les micro-ordinateurs personnels qui deviendront les principaux supports de jeux vidéos, notamment via l’Amstrad CPC, lancé par la société Britannique Amstrad, qui voit la naissance de titres comme World Cup Carnaval ou Soccer 86. Au Japon, Nintendo, qui connaîtra bientôt un grand succès avec Super Mario Bros, s’essaie aussi au football avec un énième titre nommé Soccer. Mais ces trois jeux, plus ambitieux que leur prédécesseurs, souffrent toujours d’une intelligence artificielle défaillante, plombant toute tentative d’action collective. C’est finalement sur arcade qu’une première adaptation du football réaliste voit le jour en 1985 via Tehkan World Cup. Pour la première fois, ce sont des équipes de 11 joueurs qui s’affrontent et le résultat n’en souffre pas. Autre première, le jeu permet de savoir où se situe chaque joueur grâce à un petit radar à droite de l’écran, innovation qui trouve sa place dans chaque titre à succès, aujourd’hui encore. Ainsi, 12 ans après le Soccer de Taito, il semble possible de proposer un jeu de foot réaliste.
Kick-off, premier mastodonte du marché
Encore faut-il réussir à exporter ce succès ailleurs que sur arcade. C’est l’ambition que veut donner Dino Dini, développeur amateur Britannique, à son Kick-off en 1989. Le pari est largement réussi puisque Kick-off va s’imposer très vite comme le meilleur jeu de football de l’époque. Outre des innovations secondaires, c’est le gameplay qui est purement révolutionné dans la création de Dino Dini : alors que jusqu’ici, dans tout jeu de football, le ballon « collait » au pied du joueur, Kick-off fait de la balle une entité à part entière, qu’il faut maîtriser à chaque touche de balle pour ne pas risquer de le perdre. Si Kick-off va donc s’imposer qualitativement comme le meilleur jeu de football, il faut attendre sa suite, l’année suivante, pour voir le titre rafler les succès commerciaux qu’il mérite. Avec Kick-Off 2, Dino Dini frappe donc très fort en reprenant ce qui a fait le succès du premier et en y ajoutant quelques nouveautés : un mode « ligue » où s’affrontent des équipes aux styles de jeux différents voit le jour, tout comme un mode de tournoi de tirs au buts. Parus sur Amiga et Atari ST, les Kick-Off vont ainsi écraser la concurrence pour devenir le premier jeu de foot à véritablement dominer le marché, des années avant FIFA et PES.
Si beaucoup de développeurs tenteront des jeux dans la veine de Kick-Off, ceux qui tirent leur épingle du jeu et se démarquent de l’emprise du mastodonte de Dino Dini sont ceux qui quittent ouvertement la voie du réalisme pour se tourner vers des jeux plus divertissants. C’est dans cette veine que Nintendo se lance à nouveau dans le football avec Nintendo World Cup, qui propose des matchs sans véritable règle et où le joueur dispose de « super-frappes » surpuissantes pour faire la différence. Dans la même veine, Taito tente Football Champ en 1990. Ici, si le jeu peut paraître plus réaliste au premier abord, il prend une tournure fantaisiste lorsque l’arbitre sort du champ de l’écran ou est sonné par un ballon reçu dans la figure : il est alors possible de récupérer la balle par tous les moyens, allant du classique tacle par derrière au plus original coup de genou dans le nez. On peut voir dans ses jeux mettant de côté la volonté de représenter un football se rapprochant de la réalité les ancêtres des tentatives modernes comme Mario Strikers Charged Football (2005) ou des jeux mobiles qui pullulent aujourd’hui en misant sur l’originalité du concept (avec, parmi les exemples les plus connus, la série des Head Soccer).
Si le jeu de football a rencontré des difficultés à ses débuts dus aux limites technologiques des années 1970, le formidable dynamisme connu dans les années 1980 a fini par déboucher sur un titre qui mettra tous les fans de foot d’accord : Kick-off. Face au succès de ce-dernier, les éditeurs doivent redoubler d’imagination pour tirer leur épingle du jeu. Ensuite, les années 1990 verront l’émergence de FIFA et International Superstar Soccer, ancêtre de Pro Evolution Soccer, qui transformeront profondément le marché.
Crédit photos : Iconsport
Sources :
Chronique : Le krach du jeu vidéo de 1983 : https://www.youtube.com/watch?v=3p0IGB3YV8c
De Kick-off à Fifa, l’histoire du foot en jeu vidéo : https://www.ouest-france.fr/sport/football/lhistoire-du-football-en-jeu-video-4518297
- History of football games : https://www.molagames.com/en/2015/12/history-of-soccer-games/
« Kick Off », « Sensible Soccer », « Italy 90 »… L’antiquité glorieuse des jeux vidéo de football : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/10/15/kick-off-sensible-soccer-italy-90-l-antiquite-glorieuse-des-jeux-video-de-football_4790367_4408996.html
L’histoire du jeu de foot : https://www.youtube.com/watch?v=GBXi8ivRrDg