Si la dernière finale de la Coupe d’Italie ne fut pas grandement animée et agitée sur le terrain, elle le fut durant l’avant-match dans la rue. En effet, des heurts ont éclatés entre forces de l’ordre et supporters de la Lazio. Dans les pages de la Gazzetta dello Sport, on pouvait apercevoir des photos alliant rangs de fumée et voitures calcinées. En lieu et place de la simple et désuète condamnation, tâchons de comprendre pourquoi la violence est autant liée au football, que cela soit sur le terrain comme en dehors.
Pour Johan Huizinga, historien néerlandais, le jeu est un combat. Ce qui fait le jeu selon lui, est « toute lutte qui est soumise à des règles restrictives », ce qui s’apparente donc, déjà, à une certaine forme de violence. Cette violence se retrouve dans les jeux de ballons médiévaux en Angleterre. La violence est parfois telle que la cité de Londres doit en interdire la pratique en 1314 au nom du roi Edouard II d’Angleterre.
Les parties de ballon étaient parfois joués par des centaines de joueurs en même temps. Tout ceci permettait le défoulement d’une haine enfouie. Une querelle de voisinage pouvait être réglée sur le terrain, par le biais de gestes violents. La tension sociale s’invitait aussi, parfois, puisque les jeunes paysans en profitaient pour se venger socialement des jeunes nobles par une agression physique préméditée sur le terrain. Cette violence est ancrée dans la naissance du football moderne à la fin du XIXème siècle, le football que nous connaissons et pratiquons aujourd’hui.
Au cours du XIXème siècle, les valeurs de la société anglaise se transmettent à travers trois thèmes : la littérature, la religion et le système éducatif. L’ensemble de ces valeurs victoriennes sont par exemple l’abnégation ou le stoïcisme. L’historien Sébastien Darbon qualifie cet ensemble de valeurs de « chrétienté musculaire ». C’est au sein des Public Schools (les écoles de l’aristocratie) que s’épanouit ce modèle, mais surtout, c’est dans ces mêmes écoles que se codifie le football sous sa forme moderne.
Ces écoles sont le théâtre de grandes violences et les révoltes des élèves y sont monnaie courante. On peut citer la « grande révolte » du collège international d’Isleworth en 1879 qui nécessite l’intervention de la police pour être stoppée. Cette révolte marque le voisinage et l’histoire de cette école. Une des idées pour baisser la violence, ou tout du moins la contrôler, est d’introduire des équipes de football. Sur le terrain, la violence générationnelle est visible. Les élèves les plus âgés (prefects) contraignaient les élèves les plus jeunes et fragiles (fags) à des rôles défensifs ou de figuration (délimitation du terrain et des buts). Si au départ chaque école possède ses propres règles, le football est peu à peu uniformisé par la mise en place de compétitions officielles entres les communautés scolaires. Ces dernières renforcent la fierté et le sentiment d’appartenance. Le football possède un aspect formatif. En effet, ces jeunes aristocrates apprennent à commander sur le terrain de comme ils auront à le faire plus tard sur un champ de bataille.
Pour le sociologue Norbert Elias, la codification des sports modernes comme le football répond à un « processus civilisationnel » global des sociétés occidentales. Des sociétés qui tentent depuis plusieurs siècles de réprimer toute forme de violence non légitime. Rajoutons à cela la Révolution industrielle qui métamorphose l’organisation du travail et l’impérialisme européen qui permet l’exportation des sports comme le rugby, le football ou encore le cricket. Cependant, le football ne se détache pas de sa violence. Dans le contexte colonial il est parfois un terrain d’expression des violences et des dominations socio-coloniales. La violence s’exerce aussi dans les tribunes, celle-ci atteint un pic dans les années 1970 et 1980, « âge d’or » du hooliganisme.
Hooliganisme, le paroxysme
Le mot hooligan est mentionné selon certains pour la première fois dans des rapports de la police londonienne à la fin du XIXème siècle. Ces rapports faisaient notamment référence à un irlandais, ivrogne notoire, du nom de Patrick Hooligan. Celui-ci était souvent impliqué dans des bagarres dans les pubs londoniens. Par extension, ce terme désigne toute personne possédant un comportement violent. Le phénomène hooligan se développe une première fois durant la Première Guerre mondiale. Le phénomène n’est pas seulement anglais, la violence dans les stades est aussi très forte en France à cette époque. Durant l’entre-deux-guerres c’est l’accalmie.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la violence hooligan renaît pour devenir un problème majeur dans les années 1970 et 1980. Elias présente ces hooligans comme un phénomène sociale. Une majorité des hooligans sont issus des classes ouvrières et ces affrontements seraient l’expression de « groupes de résistance » de cette classe ouvrière s’opposant aux changements imposés par les classes moyennes.
Le plus grand drame dû au hooliganisme est celui du Heysel. Le 29 mai 1985, la Juventus de Michel Platini affronte Liverpool pour la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions au stade du Heysel, à Bruxelles. L’avant-match est très tendu, les forces de l’ordre sont largement mobilisées mais à l’extérieur de l’enceinte, afin de maintenir l’ordre. Des tribunes sont censées être réservées aux supporters belges neutres pour servir de tampons entre fans anglais et italiens. Cependant, les supporters se retrouvent mal répartis et anglais et italiens finissent côte à côte.
Les gendarmes sont peu nombreux pour séparer les fans et lorsque les hooligans anglais décident de prendre les tribunes du bloc Z, ils sont débordés. Sous la pression et face à la violence de pratiques encore réservés aux anglais, les fans italiens et belges affluent vers le bas des tribunes. Les portes donnant accès à la pelouse sont fermées, certains policiers empêchent même à certains de fuir par cette même pelouse en les repoussant. Le piège est en place. Bilan, 39 morts et près de 500 blessés, le summum de l’horreur.
Aujourd’hui, le modèle anglais s’est exporté, le grand public découvre notamment le hooliganisme russe lors de l’Euro 2016 en France. En dehors de cette parenthèse, ce phénomène s’est largement éteint dans les stades anglais et dans ceux d’Europe occidentale. La violence subsiste, mais sous d’autres formes et de manière plus rare.
Violence physique contre violence institutionnelle
La confusion faite entre le terme ultra et le terme hooligan est fréquente. Le premier est un supporter passionné, organisé au sein d’associations de supporters indépendantes des clubs, cherchant l’auto-financement et l’encouragement frénétique de son équipe favorite à travers sa tribune (tifos, chants, drapeaux, fumigènes, etc.). Au contraire du hooligan, la violence n’est pas l’objectif de l’ultra, même si cette violence peut apparaître de manière ponctuelle. Pour le sociologue Nicolas Hourcade, les ultras sont « les syndicalistes du football ». Ils veillent au maintien d’une certaine idée du football : populaire, respectueux de ses symboles, de son histoire et accessible au plus grand nombre.
Récemment, plusieurs incidents ont émaillés le football français. Le 3 Mai dernier, la pelouse du stade Bonal, antre du FC Sochaux, fut envahie. Le club venait tout juste de perdre un match de championnat face au Red Star FC. Cette défaite n’arrangeait pas les affaires sportives du club sochalien, restant bloqué à une 18ème place, celle du barragiste. Même si le maintien s’obtient sur le terrain, il pourrait ne pas être validé sur le plan économique. En effet, la gestion calamiteuse de Ludes (marque hongkongaise, propriétaire du club) entraîne le club doubiste dans une impasse.
L’an dernier (au mois d’avril 2018), on apprenait que le club espagnol du Deportivo Alavès (Alava, Pays Basque) allait assurer la gestion globale du FC Sochaux-Montbéliard. Les supporters se sentirent dépossédés, à raison, de leur club. On touchait à des fondamentaux tels la dimension régionale et son centre de formation, pouvant désormais se transformer en réservoir attitré d’Alavès. Le FC Sochaux, monument historique du football français, perdait tout simplement son indépendance et devenait un club satellite. La seule réponse possible des supporters fut d’envahir cette pelouse, afin de répondre à une violence institutionnelle, s’étant accumulée ces derniers mois, par la violence physique.
Cette rapide retrospection de la violence dans le football n’est en aucun cas complète. Cependant, la violence qui peut parfois s’exprimer dans les stades comme sur le terrain nous interroge. La question qui demeure est la suivante : est-ce le football qui est intimement liée à la violence, ou est-ce la popularité du football qui transforme ce dernier en miroir grossissant des violences de la société ?
Sources :
- Norbert Elias & Eric Dunning, Sport et civilisation, la violence maîtrisée, Fayard, 1994
- Johan Huizinga, Homo ludens, essai sur la fonction sociale du jeu, Editions Gallimard, 1951
- Sébastien Darbon, Diffusion des sports et impérialisme anglo-saxon, Maison des Sciences de l’Homme, 2008
Crédits photos : Icon Sport