Le Real Madrid, en compagnie du Barça, forme l’opposition connue sous l’appellation de « Clásico ». Cette saison, le match en question a battu un record, car diffusé sur l’entièreté de la planète, excepté dans trois pays. Cette rivalité est sportive, mais également culturelle et politique. Le FC Barcelone est le fer de lance de l’identité catalane tandis que le Real est présenté comme le symbole de la Castille, du pouvoir central, mais aussi de la monarchie espagnole. Néanmoins, l’image de ce dernier est-elle justifiée, en tout temps et sur tous les points ?
Le roi émérite d’Espagne, Juan Carlos Ier (roi d’Espagne de 1975 jusqu’à son abdication en faveur de son fils, le prince Felipe, en 2014) est un grand supporter du Real Madrid. Celui-ci s’inquiétait de la situation sportive des merengues (meringues, un des surnom du club) en Janvier de cette année au cours de la cérémonie des Prix nationaux du sport en Espagne. A cette occasion il demandait au gardien du Real : « Qu’est-ce qui nous arrive Keylor (Navas) ? ». Ce supporter célèbre ainsi que le titre « Real » (royal en français) accordé en 1920 au Madrid Football Club par le roi d’Espagne de l’époque, Alphonse XIII, donnent bien sûr une image monarchique à ce grand du ballon rond. Cependant, le Real ne fut pas toujours le Real et l’Espagne ne fut pas toujours une monarchie au cours du XXème siècle.
Durant les années 1920, la monarchie bourbonienne est largement contestée. Tout bascule en 1931 lorsque les élections municipales sont remportées par les républicains dans la majorité des grandes villes, tandis que les campagnes restent dans l’ensemble largement monarchistes. Ces résultats sont perçus comme un plébiscite en faveur d’un régime républicain. Un régime qui est proclamé le 14 Avril 1931, c’est la naissance de la Segunda República Española. Alphonse XIII, de son côté, part en exil, mais n’abdique pas pour autant.
C’est sous la République que le Real Madrid, qui perd cette dénomination pour redevenir le Madrid Football Club et la couronne royale sur son emblème, obtient ses premiers grands succès. Il est pour la première fois champion d’Espagne en 1932, puis une seconde fois en 1933. A ceux-ci il rajoute deux Coupes d’Espagne (qui se nomme alors Copa del Presidente de la República) aux cinq autres qu’il a déjà remporté au début du siècle. C’est tout pour cette décennie qui est dominée par une autre grande institution du football espagnol, l’Athletic Bilbao.
En plus de ses premiers titres, le Madrid Football Club vit sous la République, les exploits d’une de ses premières légendes, Ricardo Zamora. Ce gardien de but, né en 1901 à Barcelone et décédé en 1978, effectua la majeure partie de sa carrière à Madrid et sous la République (1930-1936). Il est considéré comme l’un des meilleurs gardiens de tous les temps. Le trophée Zamora (invention du journal Marca en 1958) récompense chaque année le meilleur gardien du championnat espagnol. Malheureusement, advient en 1936, le coup d’Etat militaire du général Francisco Franco. Le gardien d’origine catalane se réfugie en France et termine sa carrière à l’OGC Nice. De son côté, le Madrid Football Club, tout comme les autres clubs d’Espagne ne dispute plus aucune compétition officielle au cours de la Guerre civile (1936-1939), que l’on nomme en France Guerre d’Espagne.
C’est au cours de cette guerre civile que le destin va lier le Madrid Football Club et Antonio Ortega Gutiérrez un militaire républicain et communiste. Alors que celui-ci est gouverneur civil de Guipuscoa durant la guerre (une des province de la Communauté autonome du Pays Basque) il est appelé à Madrid pour prendre la tête de la Direction général de la sécurité. C’est via ce contexte et ce nouveau poste qu’Ortega va se retrouver à la tête du Madrid Football Club durant une année (1937-1938). Il se prend au jeu, et compte appliquer ses idées communistes et républicaines dans le club à la tunique blanche. Le 15 Novembre 1938, il déclare au journal ABC sa vision du football : « Les joueurs ne seront plus échangés comme des jetons ». Il quitte par la suite son poste pour retourner sur le front durant l’année 1939. Il est capturé puis est exécuté dans une prison à Alicante le 15 Juillet 1939, à 51 ans.
La ville de Madrid, fief républicain, est une des dernières villes à tomber aux mains des franquistes. Ce qui arrive le 28 Mars 1939. Certains avancent que cette farouche opposition et la place que tenait le Madrid Football Club dans la politique républicaine, avait fait hésiter Franco à supprimer tout simplement le club. En 1943, plusieurs années après le fin de la guerre civile, un homme arrive à la tête du club qui est redevenu le Real Madrid, il s’agit de Santiago Bernabéu. Ce dernier demeure président de la maison blanche jusqu’à sa mort, durant 35 longues années (1943-1978).
La gloire et un passé éludé
L’histoire entre le club de la capitale et Bernabéu débute bien avant le lendemain de la guerre civile. L’homme y évolua en tant que joueur, à une époque ou celui-ci s’appelle déjà le Real Madrid, de 1920 à 1927. Durant sa carrière, il inscrit plus de 300 buts pour les merengues. Il intègre le conseil d’administration à la fin de sa carrière et ce, jusqu’en 1935.
Santiago Bernabéu est un fier nationaliste, durant la guerre, il se bat aux côtés des franquistes. Son accession à la tête du Real est due, déjà, à une polémique qui émane d’un Clásico. Lors d’une joute opposant les deux équipes en Coupe d’Espagne (devenu la Copa del Generalisimo), un match aller se dispute à Barcelone. Lors de celui-ci le Barça l’emporte 3-0 et la foule en profite pour insulter le pouvoir central et les vaincus du soir. Franco est furieux, les deux présidents sont poussés à la démission. Deux ans plus tard, Bernabéu qui terminait des études de droit pour se spécialiser dans l’économie sportive, est élu président du Real Madrid.
C’est le début d’une relation particulière entre l’Espagne franquiste et la future grande équipe européenne des années 1950. Tout d’abord, les symboles. Lors de l’avènement de la République, en plus de retirer la couronne royale de l’emblème du club, à celui-ci fut rajouté une une « bande de lilas » , dont la couleur violette rappelle le drapeau de la République. Sous l’administration de Bernabéu, cette couleur sera renvoyée à la Castille et plus particulièrement à la couleur violette des anciens écussons des royaumes de Castille et de León.
Au cours de ses déplacements européens le Real Madrid, dont l’équipe est composée des plus grands tels que le français Raymond Kopa et l’hispano-argentin Alfredo Di Stefano, effectue des visites dans les ambassades espagnoles. Cette équipe victorieuse qui remporte cinq Coupe des clubs champions européens (ancien nom de la Ligue des Champions) dans la seule décennie 1950-1960, est l’incarnation d’une Espagne victorieuse et ouverte sur le monde. Une aubaine pour le régime franquiste.
En 1947 est construit un nouveau stade, une des idées du président républicain Ortega. Celui-ci adopte le nom de Santiago Bernabéu en 1955, à la suite d’un vote des socios. Le Real Madrid devient cette équipe qui fut désignée « meilleur club de football du XXe siècle » par les lecteurs de FIFA Magazine, loin devant Manchester United et le Bayern Munich.
Les relations avec le pouvoir franquiste furent toujours troubles. Selon Paul Dietschy (Universitaire, spécialiste du football), Santiago Bernabéu n’eut jamais de relations directes avec Francisco Franco. Mais la relation entre le club et le pouvoir était bien sûr établie, et s’entretenait à travers la personne de Raimundo Saporta, secrétaire général du club, bras droit de Bernabéu et intime de Franco.
Selon l’analyse de l’universitaire, le club fut toujours loyal au pouvoir en place, qu’il soit royal, républicain ou dictatorial. Mais Saporta était la pierre angulaire de cette relation sous Franco, en témoigne sa déclaration, après la première victoire européenne du Real, le 13 Juin 1956 : « Je crois que nous avons simplement accompli notre devoir ».
L’histoire d’un club s’écrit sur le temps long, l’essentialiser ne permet pas de comprendre les symboles et les grands personnages qui passent et repartent. Le Real, comme d’autres, accuse certains paradoxes. Ce club réputé proche de la royauté gagna ses premiers titres majeurs sous la Seconde République espagnole, l’évolution de son emblème en est un signe. Mais tout est mouvant, particulièrement dans le football. Aujourd’hui, le roi d’Espagne, Felipe VI, le fils et successeur de Juan Carlos Ier, est un supporter revendiqué de l’Atlético de Madrid, le rival local de la maison blanche. En 2014, cette même maison accepta que soit modifié l’aspect de son emblème – en retirant la croix trônant au-dessus de la couronne – dans le cadre d’une collaboration avec la banque d’Abou Dhabi. Deux exemples qui démontrent que les symboles se font et se défont inlassablement.
Sources :
- Paul Dietschy, Histoire du football, Perrin, Paris, 2010
- Nicolas Guillermin, « Le président oublié du Real Madrid », L’Humanité, 6 mars 2018
- Paloma Fidalgo, « El Real Madrid también fue republicano », El Plural, 3 novembre 2017
- Real Madrid Club de Fútbol
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