Unai Emery a connu des échecs et des réussites dans ses récentes expériences. En Espagne, en France, en Angleterre, il n’a laissé aucun pays indifférent et a fait de son passage quelque chose de remarquable. Pour le meilleur ou pour le pire. Quelque chose n’a en revanche jamais évolué chez Emery : sa passion. C’est un homme cultivé, qui aime lire et se réveille la nuit pour noter ses idées. Sur le football bien sûr. Toujours sur le football. Tout ce qu’il pense, lit, voit, touche se rapporte au football. C’est peut-être cela le problème d’Unai, il est bien plus un passionné qu’un entraîneur de football.
Aujourd’hui on distingue deux catégories d’entraîneurs : ceux qui ont été de grands joueurs et les autres. Unai Emery fait partie des autres. Il a été milieu de terrain en Espagne, d’abord à la Real Sociedad puis essentiellement dans des clubs de seconde division. Sa carrière de joueur n’a rien d’extraordinaire. Il ne s’impose jamais comme le leader d’une équipe. Malgré des qualités évidentes de joueur de deuxième division, Emery a des lacunes mentales. Il n’est pas suffisamment fort dans ce domaine pour parvenir à se surpasser et atteindre un niveau supérieur.
Avant d’être un footballeur, c’est un passionné de ce sport. Il se dévoue entièrement au football. Le pratiquer est finalement un moyen pour lui de vivre de sa passion, sans pour autant que sa carrière ne prenne une importance démesurée dans sa vie. Rien ne passe avant sa passion. Le matin avant les entraînements, Unai achète et lit la presse sportive. Il conseille ses coéquipiers en s’appuyant sur ce qu’il a récemment lu ou vu. Il lit beaucoup de manière générale. Peu à peu, il devient un esthète du football. Dans la biographie que Romain Molina lui consacre, plusieurs de ses anciens partenaires se confient sur lui. Parmi eux, deux de ses coéquipiers à Lorca : Iñaki Bea d’abord, se souvenant d’un Emery à la passion unique : «Il y a des joueurs qui aiment les chiens, d’autres les jeux vidéos, les voyages, les femmes ou la bourse. Mais Unai, la seule chose dont il parlait c’était de football. » Un souvenir ensuite partagé par Xavier Moro : «Entre équipiers, on parle de la famille, de nos amis, parfois de musique. Mais avec Unai, quand on avait l’occasion de prendre un café, on discutait foot, tactique ou des joueurs qu’on avait vu. » C’est donc obsessionnel chez Unai Emery : le football, le football, rien que le football.
La transition du joueur vers l’entraîneur s’opère d’ailleurs à Lorca. Ce glissement est logique mais très rapide. En 2004, Lorca est en troisième division. Pas épargné par les blessures, Unai Emery met un terme à sa carrière de footballeur à 34 ans et souhaite devenir entraîneur. Il ne change pas de club et obtient le poste au Lorca Deportiva CF dès la trêve hivernale de la saison suivante. Unai doit maintenir l’équipe en Segunda B, il fait finalement monter le club dans la division supérieure. La carrière d’entraîneur d’Unai Emery est lancée.
Emery poursuit pour une seconde saison à Lorca où il finit cinquième de deuxième division espagnole. Il signe ensuite à Almería, dans le même championnat et est promu une nouvelle fois pour sa première saison au sein d’un club. Emery découvre la Liga et propulse Almería à une insoupçonnable huitième place. L’été suivant, Unai est engagé par un club plus huppé, Valence. En quatre ans, le Basque devient l’un des entraîneurs les plus côtés en Espagne, il transcende ses équipes et les amène là où personne ne les imaginait. Unai Emery gagne et réussit en tant qu’entraîneur ce qu’il n’a jamais réussit à faire en tant que joueur. Il vit de sa passion mais la concrétise enfin dans ses accomplissements.
En 2008, Emery est l’entraîneur du Valencia CF, l’un des clubs historiques et l’un des plus importants d’Espagne. Il gagne en popularité, en médiatisation mais aussi et surtout en pression. Le Basque a sous ses ordres des futurs grands joueurs de la génération dorée espagnole : David Villa, David Silva ou Juan Mata. Le club valencien recherche de la stabilité et après une sixième place en Liga en 2008-2009, Emery conclut les trois saisons suivantes à la dernière marche du podium avec ainsi une qualification systématique en Ligue des Champions. L’un des plus grands clubs d’Espagne retrouve sa place.
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Unai Emery crée une émulation dans son groupe : il transmet sa passion. C’est d’ailleurs le plus important pour lui. Avant d’obtenir des résultats, de gagner, de bien jouer, Emery veut transmettre sa passion à ses joueurs. Raviver la flamme de ses joueurs pour le football. Il leur donne ainsi de l’importance : si Unai a ses idées, il n’est pas un pur dogmatique et accepte d’être contredit, il favorise le débat avec ses hommes. Pour concrétiser sa transmission, Emery œuvre à de longues séances de vidéo et causeries. Trop longues pour certains. A Séville, l’effectif comprend ces méthodes et cela fonctionne.
Après un passage éclair et raté au Spartak Moscou, Unai Emery rejoint le Séville FC en janvier 2013. C’est ici qu’il devient définitivement l’un des entraîneurs les plus côtés en Europe et surtout là où il gagne. Malgré une position en Liga jamais plus haute que le cinquième rang, Séville remporte la Ligue Europa trois saisons consécutives lors des trois saisons pleines d’Emery au club andalou. Le match le plus important de cette aventure étant sûrement le retour de la double confrontation face à Valence en demi-finale de C3 lors de la saison 2013-2014. Emery retrouve son ancien club et vise sa première finale européenne. Séville s’impose 2-0 chez lui mais perd 3-0 à la dernière minute du match retour à Mestalla. Dans le désespoir, une dernière touche est obtenue par les Sévillans : Unai donne rapidement le ballon à son latéral. La touche est longue, arrive dans la surface et est déviée par la tête d’un joueur avant d’arriver sur celle de Stéphane Mbia qui marque. A la 94e minute, le rêve d’Unai Emery et de Séville se poursuit. Deux semaines plus tard, ils soulèvent le trophée à Turin face à Benfica. Tant que l’histoire entre Séville et Emery dure, celle entre le club espagnol et la Ligue Europa est synonyme de victoire.
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Unai Emery donne de l’importance aux détails. Les touches par exemple sont extrêmement travaillées avec lui. Il oblige aussi son gardien à relancer sur le pied fort du latéral. Ce dernier exemple étant l’une des clés d’une des plus belles victoires de l’histoire du Paris Saint-Germain. Une victoire offerte par Emery. L’entraîneur basque succède à Laurent Blanc sur le banc parisien et sa mission n’est pas aisée : Ibrahimović parti, le PSG a effectué un recrutement plus que moyen (Ben Arfa, Jesé, Meunier, Krychowiak). Cher au 4-2-3-1, Emery ne l’impose pas à Paris et préfère continuer dans le 4-3-3 rodé par Blanc lors des trois saisons précédentes. Avec une troisième place en Ligue 1 à la trêve et une deuxième place de son groupe en Ligue des Champions, le PSG d’Emery est critiqué. Pourtant, à la fin de l’hiver il réalise quelque chose de grand. Unai Emery détruit le Barca mené par Messi, Neymar et Suarez, 4-0 au Parc des Princes. Sans les deux Thiago (Motta et Silva), Paris est emmené par ses titis Kimpembe et Rabiot et surtout par Di María dans un de ses plus grands soirs.
Cependant, le PSG connaît, seulement quelques semaines plus tard, l’une de ses plus grandes défaites. La remontada a lieu, Paris s’incline 6-1 à Barcelone. Le titre de champion de France est pour Monaco, le Paris SG n’a que les deux coupes nationales pour se consoler. La blessure ne se referme pas totalement et malgré les arrivées de Neymar et Mbappé à l’été 2017, le PSG s’incline à nouveau en huitièmes de finale de C1 face au Real Madrid l’année suivante. Après avoir encaissé 3 buts en 7 minutes au Camp Nou, Paris en prend 2 en 3 minutes au Bernabéu. Des détails.
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En mai 2018, Emery succède à Arsène Wenger sur le banc d’Arsenal. Là aussi la tâche est immense. Malgré la première finale européenne des Gunners depuis 2006, le courant entre le club londonien et le Basque ne passe jamais et est parsemé de moqueries. A l’automne 2019, Unai est démis de ses fonctions. La transmission de la passion n’est certainement pas suffisante pour des clubs aux objectifs immenses et en attente d’une éclosion comme le PSG et Arsenal. Emery n’est pas fait pour jouer les premiers rôles mais plutôt pour créer la surprise dans un club au contexte raisonnable. Après deux échecs, Emery rebondit donc à Villarreal où là, on accepte sûrement mieux que la passion prenne un peu le pas sur les résultats.
Unai Emery ne connaît pas vraiment de pression dans ces premières expériences d’entraîneur. C’est à Valence qu’il la découvre et il lui faut une demi-saison d’adaptation pour imposer ses principes. A Séville, il trouve davantage de calme et de sérénité avant d’être ébloui par les projecteurs à Paris et de finalement échouer. En France, Unai pense qu’il pouvait « devenir le meilleur entraîneur du monde. »¹ Était-ce pour la gloire ou simplement pour prouver que transmettre sa passion est un travail méritant la victoire ? Ce n’est pas à travers ses résultats qu’Unai Emery prend le plus de plaisir. C’est évidemment un immense problème pour ses clubs mais peut-être pas pour nous ni pour sa postérité : d’Emery, on retient sa singulière passion, et c’est sûrement ce qu’il voudrait.
¹ « Unai Emery : « A Paris, j’ai raté l’occasion de devenir le meilleur entraîneur du monde » », France Football, 11 février 2020.
Source :
- Romain Molina, Unai Emery, El Maestro, Hugo Sport, 2017, Paris.
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