Différents « incidents » ont secoué le monde des tribunes françaises au cours des dernières semaines. Le plus récent est l’utilisation conséquente de fumigènes dans le Kop Nord du stade Geoffroy-Guichard lors du match opposant les verts au Paris Saint-Germain. Débats, bien souvent stériles, suivirent. La place jugée « trop importante » des supporters était remise en cause sur différents plateaux, sportifs comme généralistes. Bien souvent, une incompréhension même du terme « ultra » et sa place dans le football se ressentait. Que signifie ce terme ? Quelle est son histoire ?
Le match de ce dimanche 15 décembre 2019 restera longtemps dans les mémoires. Non pas pour son résultat sportif – promenade de santé du champion en titre, le PSG – mais pour tout ce qui se passa dans les tribunes du « Chaudron » qu’est Geoffroy-Guichard. Lors de ce match, l’Avant-Garde des Magic Fans – l’un des deux grands groupes ultras de l’ASSE avec les Green Angels – fêtait ses 20 ans.
Nombreux sont les tifos, plus magnifiques les uns que les autres, qui furent déployés. Il furent accompagnés de chorégraphies multiples durant toute la rencontre. Mais ce qui fit le plus parler sont les fumigènes largement utilisés au cours de la partie et le feu d’artifice qui accompagna le but de Kylian Mbappe. Les réactions, bien souvent scandalisées, témoignent d’un manque de savoir criant autour des ultras, eux, qui font pourtant partie du paysage footballistique depuis plus d’un demi-siècle.
Preuve de ce décalage entre le monde ultra et le football en général, l’intervention d’Olivier Rouyer – ancien joueur de football et international français dans les années 1970 et 1980 – dans l’édition du 16 décembre de L’Équipe du Soir à propos des fumigènes est parlante ; « À part en Serbie et en Croatie (…) en Angleterre je n’en vois pas, en Allemagne je n’en vois pas pas, dans les pays du Nord je n’en vois pas ». Un constat qui prête à sourire lorsque l’on connait un minimum la place qu’occupent les fumigènes et les ultras chaque week-end dans les stades allemands et scandinaves. Au-delà de la plaisanterie, il est important de rappeler quelques points essentiels concernant ce mouvement qui est né entre la fin des années 1960 et le début des années 1970 dans les tribunes italiennes.
Le berceau transalpin
Le terme ultra provient du latin et signifie celui qui « va plus loin que». Le supporter ultra est justement celui qui va plus loin que le supporter classique dans le soutien qu’il apporte à son équipe favorite. Le supporter ultra cherche à pousser son équipe de manière fanatique et organisée. Une organisation, par le biais d’associations, qui se démarque du club et cultive son indépendance décisionnelle et financière.
L’historien Sébastien Louis rapporte que le mot ultra est dans les années 1960 « déjà utilisé par la presse italienne pour désigner des supporters excessifs ». Le mouvement va naître dans un contexte particulier et violent pour la péninsule. En effet, la fin des années 1960 sont désignées aujourd’hui comme celles des « Années de plomb ». Une période de tension politique extrême débouchant sur des affrontements de rue et des actes de terrorisme.
Le contexte politique se ressent dans le choix des noms de groupes, comme par exemple à travers celui de Commando. Le nom d’un groupe doit impressionner, l’une des premières entités ultras de l’histoire se nomme d’ailleurs la Fossa dei Leoni (« Fosse aux lions »), un groupe supportant l’A.C Milan et apparaissant en 1968. Ces entités ultras sont l’oeuvre de bandes juvéniles souhaitant s’affranchir des carcans sociaux et familiaux. Ils apportent une nouvelle culture et pratiques supportéristes qui supplantent celle des tifosi classiques. Si les drapeaux sont déjà très présents dans les tribunes italiennes, ces nouveaux groupes pérennisent l’utilisation des tambours et amènent de nouvelles pratiques, comme le fumigène (présent également dans les manifestations politiques) et le tifo. Ce dernier est une très grande toile reprenant un dessin confectionné par les membres des groupes et généralement affiché lors de l’entrée des joueurs.
Le virage (derrière les buts ou les places sont les moins chères) devient le lieu à défendre. Il est un lieu sacré, point de rendez-vous et d’expression du groupe ultra. Enfin, la bâche portant le nom du groupe devient le sceau de son identité, elle s’accroche aux grillages domiciles et extérieurs. La bâche est au groupe ultra ce que le drapeau est à une nation. Défendre cet objet équivaut à défendre l’honneur du groupe auquel il est rattaché.
Peu à peu, le mouvement se répand à travers toute la péninsule mais aussi à l’extérieur de ses frontières. Notamment en France, avec la création du Commando Ultra, groupe supportant l’Olympique de Marseille, dès 1984. Dans les années qui suivent les groupes se multiplient. En 1985, sont fondés les Boulogne Boys et la Brigade Sud Nice, supportant respectivement le Paris Saint-Germain et l’OGC Nice, ou encore les Ultramarines, qui naissent en 1987 à Bordeaux.
L’ancrage territorial : une donnée primordiale
Les supporters ultras ne représentent pas seulement un club, mais aussi le territoire dans lequel celui-ci s’insère. Il peut s’agir d’une ville dans son entièreté mais aussi d’un quartier en particulier. En Espagne les Bukaneros, groupe supportant le Rayo Vallecano, se veut être le représentant d’un club et d’un quartier populaire de Madrid, Vallecas, marqués à gauche.
Cet ancrage territorial poussent les groupes ultras à agir socialement et culturellement. Socialement par le biais d’actions concrètes comme des collectes pour le Secours Populaire de tel ou tel département (plusieurs groupes organisent chaque année des collectes pour une antenne locale). Culturellement comme les Indians, groupe ultra supportant le Toulouse Football Club, qui organisa des cours d’occitan. Les ultras sont des acteurs non pas seulement d’un club, mais aussi d’une identité, variant selon les contextes et les lieux.
Ils sont de véritables acteurs sociaux et parfois, politiques. Lors du Printemps arabe ou actuellement en Algérie, les supporters de football, à tendance ultra ou non, participèrent ou participent activement aux soulèvements. Dans les pays autoritaires, le stade et le groupe ultra est un des seuls moyens pour les jeunes de se rassembler et de se politiser. La tribune permet une expression vocale, à travers les chants et une expression visuelle, à travers les banderoles.
Les banderoles sont un classique du monde des tribunes. Bien souvent, elles servent à narguer un groupe rival ou à moquer les déboires du club que l’on affronte. Si certaines banderoles sont violentes, cette violence verbale s’accompagne parfois d’une violence physique. Il peut en effet arriver aux ultras de se montrer brutaux en certaines occasions, mais comme le rappelle le sociologue Nicolas Hourcade ; « contrairement aux hooligans, ils ne cherchent pas la violence à tout prix ». Cette frénésie peut s’expliquer aussi par l’analyse de l’histoire du football, depuis sa naissance et jusqu’à aujourd’hui. La violence peut aussi se poser comme un moyen de pression sur les décisions d’un club ou d’instances. En France, le plus grand objet de discorde demeure sans aucun doute le fumigène. Preuve en est, les polémiques entourant les groupes stéphanois et leur utilisation abondante d’engins pyrotechniques.
Aujourd’hui, les ultras, pour reprendre les mots de l’ouvrage de Sébastien Louis, sont de véritables protagonistes du football. Leur culture s’est largement répandue dans l’imaginaire sociétal. Le tifo et les fumigènes sont des termes que l’on peut retrouver dans les mots de personnes éloignées de la thématique des stades. Les clubs et les diffuseurs ont intégré cette dimension puisqu’ils sont aujourd’hui, parfois, à l’initiative de leur utilisation. Preuve que le spectacle et le soutien qu’apportent les groupes ultras sont parfaitement connus et reconnus par une grande partie du public et des acteurs du monde du football.
Sources :
- Benoit Taix, Bastien Poupat et Adrien Verrechia, Ultra, mode de vie, La Grinta Editions, 2018
- Sébastien Louis, Ultras, les autres protagonistes du football, Mare & Martin, 2017
- Nicolas Hourcade, Les groupes de supporters ultras, Agora débats/jeunesses : Sports et identités, 2004
Crédits photos : Icon Sport