Premier manager noir de Football League , Tony Collins est un véritable pionnier du football outre-Manche, mais son histoire et ses réalisations restent bien souvent oubliées. Décédé en 2021, le monde du football anglais saluait la mémoire d’un homme « en avance sur son temps » dont le parcours, malgré le racisme dont il a parfois été victime, l’amena jusqu’à la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions.
« Tony était un véritable pionnier du sport ». C’est en ces termes qu’Howard Wilkinson, président de la League Managers Association, qualifiait le travail de Tony Collins, pionnier oublié du football anglais. A la suite de son décès, survenu le 8 février 2021, de nombreux hommages lui sont rendus, notamment par Sir Alex Ferguson qui salue « le travail très impressionnant qu’il a accompli en tant que manager de Rochdale » et Chris Hughton qui déclare que « Tony [Collins] a toujours été une source d’inspiration ».
Longtemps négligé au détriment d’autres figures importantes telles qu’Arthur Wharton, premier footballeur professionnel noir ou encore Viv Anderson, premier international noir en équipe d’Angleterre, Collins est pourtant un acteur considérable de l’évolution des mentalités dans le monde du football anglais.
Avant le football (1926-1947)
Né en 1926 dans le quartier bourgeois de Kensington à Londres, il est élevé par ses grands-parents maternels. Très vite, ses aptitudes physiques sautent aux yeux. Néanmoins, il est enrôlé dans l’armée en 1944 à dix-huit ans, afin de prendre part à la Seconde Guerre mondiale qui secoue le Vieux continent et le monde depuis 1939. Avec son unité, il stationne à Naples, libérée par les Alliés depuis le 1er octobre 1943 et ne prend donc pas part aux combats.
Néanmoins, Collins et ses camarades jouent très régulièrement au football, sport très populaire dans les armées depuis la Première Guerre mondiale, pour ses vertus physiques et sa capacité à occuper les soldats pendant les phases d’attente d’un conflit. Un soldat du nom d’Ibbotson, frappé par les qualités athlétiques et techniques de Collins lors des matchs de football, écrit alors à Eric Taylor, directeur de Sheffield Wednesday pour le recommander à un essai. En 1947, alors âgé de 21 ans, Tony Collins est libéré de son service militaire et démarre une carrière de footballeur au cours de laquelle son talent va faire de lui un pionnier.
Une prolifique carrière de footballeur (1947- 1961)
Après cet essai concluant à Sheffield, Collins signe pour les Owls , alors en deuxième division, et y reste deux saisons sans jamais fouler la pelouse, la faute aux différents entraîneurs qui ne le trouvent pas au niveau pour jouer. Barré au Sheffield Wednesday, il signe en troisième division nord, à York City, pour qui il inscrit un but en dix rencontres. L’ailier n’y reste qu’une saison puisqu’il se rapproche de son Londres natal en signant chez les Hornets de Watford en 1950. Durant ces trois saisons passées dans le club de la banlieue londonienne, il inscrit huit buts en quatre-vingt-dix matchs de troisième division sud.
Collins revêt ensuite la tunique de Norwich City de 1953 à 1955, toujours en troisième division sud, avec laquelle il trouve le chemin des filets à deux reprises en 29 matchs. Désormais habitué des pelouses de troisième division sud, l’ailier signe ensuite à Torquay United avec qui il manquera de peu la promotion en deuxième division face au Ipswich Town d’Alf Ramsay lors de la saison 1956-1957. Collins va s’avérer plutôt prolifique avec Torquay, marquant dix-sept buts en quatre-vingt-neuf rencontres avec les Gulls.
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Il retourne ensuite à Watford, mais n’y reste que quelques matchs et rejoint en cours de saison Crystal Palace, autre club londonien pensionnaire de division trois. Collins devient ainsi le premier joueur noir à évoluer pour les Eagles. Ses deux saisons dans le sud de Londres seront les plus prolifiques de sa carrière puisqu’il inscrit quatorze buts en cinquante-cinq apparitions, mais ne peut empêcher son club de descendre en quatrième division à l’issue de la saison 1957-1958. Alors en fin de carrière, à trente-trois ans, il signe pour le club de Rochdale qui végète alors en quatrième division et avec qui il marquera l’histoire du football anglais.
Être un footballeur noir dans les années 1950
Au cours de sa carrière de joueur, Tony Collins a souvent été confronté au racisme, bien qu’il n’ait jamais voulu que cela soit une excuse pour justifier sa modeste carrière en Football League. Dès son passage dans l’armée, le jeune homme est confronté à des remarques dégradantes sur sa couleur de peau et doit se battre contre les discriminations. Après une bagarre contre l’un de ses frères d’armes, il s’assure d’ailleurs que le racisme n’ait plus lieu d’être au sein de son unité. Durant son passage à Sheffield (1947-1949), ses différents entraîneurs ne le font pas jouer, très probablement en raison de sa couleur de peau, car de nombreux observateurs qualifient le jeune joueur « d’assez bon ».
Mais le traitement infligé à son rencontre va malheureusement plus loin. En effet, à l’époque, les joueurs n’avaient qu’une paire de crampons fournie par leur club et celle attribuée à Collins était trop petite. Malgré ses sollicitations pour obtenir une paire plus adaptée, toutes ses demandes sont rejetées par son club. Le jeune ailier a donc dû s’entraîner quotidiennement avec des crampons qui lui ont occasionné d’importantes douleurs aux pieds et la perte d’ongles. Pour sa fille, Sarita, « il était le seul à avoir dû traverser ça ».
Collins aurait d’ailleurs pu évoluer dans un championnat plus important, mais souffre d’un manque d’opportunités qui l’empêche d’évoluer. Son cas pose la question de la représentation des footballeurs noirs dans le monde du ballon rond anglais. Il faut en effet attendre 1978 et la sélection de Viv Anderson avec les Three Lions pour qu’un joueur noir apparaisse pour la première fois en équipe d’Angleterre.
L’histoire d’un pionnier, le premier manager noir de Football League (1960-1967)
Après avoir connu la relégation en quatrième division avec Watford, Collins tente donc une dernière aventure à Rochdale, modeste club de quatrième division. Lors de sa première saison (1959-1960), l’ailier parcourt le pré à trente-sept reprises et trouve le chemin des filets quatre fois. Mais l’aventure dans la banlieue de Manchester prend un autre tournant au cours de l’été 1960 puisque le manager de Rochdale, Jack Marshall, signe à Blackburn, alors en première division. Une charge vacante est donc à pourvoir et Collins déclarera « Jack Marshall m’a dit de postuler pour le poste ». En interne, ses coéquipiers poussent également pour le voir sur le banc de touche de l’équipe. L’expérimenté ailier avait en effet réussi à gagner le respect de l’ensemble du vestiaire.
Le propriétaire de Rochdale, Freddy Radcliffe décide donc de nommer Collins à la tête de l’équipe pour la saison 1960-1961 et ce, malgré les trente autres candidats pour le poste. Pour la première fois de l’histoire de la Football League, créée en 1888, un manager noir avait la charge d’une équipe. Malgré la défiance que cette nomination a pu susciter, Radcliffe déclarait que « cela ne fait aucune différence, et nous souhaitons sincèrement que cela ne fera aucune différence dans sa carrière de manager ». Le président et le nouveau manager conviennent d’un salaire et Collins débute ensuite son aventure d’entraîneur avec The Dale.
Des débuts réussis (1960-1962)
Pour son premier match à la tête de Rochdale, en septembre 1960, son équipe se déplace à Brunton Park, l’antre de Carlisle United. Les 5 262 supporters présents dans le stade ce jour-là, assistent donc à un événement historique pour le football anglais. Les hommes de Collins s’imposent deux buts à un, ce qui permet au nouvel entraîneur de débuter de la meilleure des manières son aventure sur le banc. Pour son troisième match à domicile en tant qu’entraîneur, Collins s’offre même le luxe d’humilier trois buts à zéro le rival mancunien d’Oldham Athletic. Sa première saison avec The Dale est moyenne et le club termine à la dix-septième place du classement de quatrième division. Néanmoins, sa deuxième saison en charge de l’équipe va permettre d’écrire la plus belle page de l’histoire du club de la banlieue mancunienne.
Coupe de la Ligue 1961-1962 : défier les pronostics
Rochdale, après une bonne entame de saison qui place le club dans le haut du tableau de quatrième division, se déplace dans le sud de l’Angleterre chez les Saints de Southampton pour le premier tour de la Coupe de la Ligue. Les locaux, évoluant deux divisions au-dessus des hommes de Collins, sont largement favoris pour ce match. Néanmoins, malgré la supériorité supposée de leur adversaire, les hommes de Collins tiennent tête aux Saints et poussent au replay en obtenant un match nul sur le score de zéro à zéro.
Le match retour se déroulant sur sa pelouse, Rochdale dispose d’une plus grande chance de se qualifier, mais les mauvais résultats en championnat lors du mois de septembre font que l’équipe avance sans certitudes. Poussés par leur public, les hommes de Collins réussissent à vaincre Southampton au bout du suspens sur le score de deux buts à un. Lors du second tour de la compétition, Rochdale reçoit sur sa pelouse Doncaster, équipe qui a déjà battu The Dale quelques semaines auparavant. Mais Collins et ses hommes viennent facilement à bout de leur adversaire quatre buts à zéro.
Le prochain obstacle sur la route de Collins n’est pas des moindres puisqu’il s’agit de Charlton Athletic , qui évolue deux divisions au-dessus de Rochdale. Le solide dispositif défensif mis en place par Collins permet à ses joueurs de tenir face à une formation supérieure techniquement. Son équipe prend même l’avantage et parvient à tenir le score d’un but à zéro jusqu’au coup de sifflet final. Le premier manager noir de l’histoire de la Football League s’offre ensuite le scalp de York City et se hisse en demi-finale de la Coupe de la Ligue.
L’underdog face à l’ogre : le plus grand défi de la carrière de Tony Collins
Pour cette demi-finale de Coupe, le tirage au sort voit Rochdale affronter les Blackburn Rovers, club historique et membre de l’élite du football anglais. En ce milieu de saison, Collins et ses ouailles végètent dans le ventre mou du championnat et peuvent donc miser sur la coupe pour marquer l’histoire du club. Cette demi-finale se déroule sur deux matchs, et voit Rochdale recevoir les Rovers pour la première manche. Contre toute attente, The Dale fait tomber Blackburn trois buts à un et s’avance avec un break d’avance avant le match retour : l’exploit est en marche.
Le retour dans le Lancashire s’annonce difficile et le club s’attend à souffrir face à un adversaire qui va tout faire pour remonter au score. Mais le génie tactique de Collins permet à ses hommes de tenir et, malgré une défaite deux buts à un, le club de la banlieue de Manchester se qualifie pour la finale de la compétition.
Pour la première fois de l’histoire du football anglais, un club de quatrième division se hisse en finale de la Coupe de la Ligue : un exploit pour le club et son manager. « L’un de mes premiers souvenirs de Tony concerne le travail très impressionnant qu’il a accompli en tant que manager de Rochdale, battant Blackburn pour atteindre la finale de la Coupe de la Ligue 1962» déclarera Sir Alex Ferguson après la mort de Tony Collins. Malheureusement, la folle épopée de Collins s’arrête en finale face aux Canaries de Norwich City, club évoluant alors en deuxième division. Norwich remporte les deux matchs et s’adjuge cette double confrontation sur le score de quatre buts à zéro. Cette défaite marque un tournant dans la carrière de Collins qui ne parviendra plus à performer avec The Dale.
Une fin d’aventure frustrante (1962-1967)
La suite est plus difficile pour Collins. Les moyens très limités du club couplé à la vente des meilleurs éléments de l’équipe lors de chaque mercato ne permettent plus à l’entraîneur d’être compétitif et de lutter pour l’accession à la troisième division. Collins est un tacticien frustré qui n’a plus les moyens de mettre en pratique sa vision du football, inspiré de la Seleçao brésilienne. Hormis la campagne 1964-1965 qui voit l’équipe manquer de peu la promotion, les résultats sont de plus en plus décevants et Rochdale fini par truster les bas-fonds du classement de quatrième division.
Collins quitte donc son poste en 1967 à la recherche d’un nouveau défi. Il postule ainsi dans de nombreux clubs : Watford, Rotherham, Peterborough, Macclesfield, Chester, Darlington et Stockport County, mais aucune offre ne se matérialise. Pour sa fille, Sarita, la couleur de peau de Collins a joué contre lui dans cette recherche de poste.
Le « Football Master Spy »
Tony Collins ne s’éloigne pourtant pas du monde du football. Son profil attire en effet Don Revie, entraîneur de Leeds United, qui mise sur son expérience pour être à la tête de son réseau « d’espion ». En effet, Collins est chargé d’observer les équipes adverses et d’en rendre compte à Revie afin que celui-ci prépare au mieux ses joueurs. Le travail de l’ombre de Collins a grandement contribué au succès des Whites sur la scène nationale et continentale. Leeds glane notamment deux titres de champion d’Angleterre en 1969 et 1974, une Coupe d’Angleterre en 1972 et une Coupe des villes de foire en 1971.
Le football master spy , participe également, en 1975, à la folle épopée du club du Yorkshire en Coupe d’Europe des clubs champions. Le fabuleux travail « d’espionnage » effectué par Collins permet à Don Revie de mieux cerner la tactique et les qualités des équipes qu’il va affronter (FC Zurich, Ujpesti Dózsa, Anderlecht, FC Barcelone) ce qui permet à Leeds d’atteindre la finale de la compétition. Néanmoins, les Peacocks subiront la loi du Bayern Munich en finale et s’inclineront sur le score de deux buts à zéro.
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Avec la nomination de Don Revie à la tête des Three Lions, Collins devient alors « maître espion » pour l’équipe d’Angleterre en compilant en détail les rapports de match et de joueurs. Après cette riche aventure, Collins continue son travail de scout pour Manchester United quelques années et travaille ainsi pour un certain Sir Alex Ferguson.
Longtemps oublié au détriment d’autres grands pionniers noirs du ballon rond, le travail de Collins est peu à peu réhabilité et mis en avant, notamment grâce à la parution du livre « Tony Collins – Football Master Spy », coécrit par Quentin Cope et la fille de Tony, Sarita. Mais quel héritage a laissé Collins ? Pour cette saison 2022-2023, sur les quatre-vingt-douze clubs de Football League, seuls dix d’entre eux ont eu dans leur rang un manager noir. Il faudra attendre 1993, soit vingt-six ans après la fin du passage de Collins à Rochdale pour qu’un autre manager noir prenne les rênes d’un club de Football League, en la personne de Keith Alexander. Cet entraîneur a d’ailleurs souvent été décrit comme le premier entraîneur noir du football anglais preuve que le travail de Collins a souvent été oublié.
Sources :
- San Harris et Ryan Dobney « Black History Month : Tony Collins – the first black manager in the English Football League », BBC Sport.
- « Tony Collins – The first black manager », Les pionniers noirs du football.
- « ‘A true pioneer’ :Tony Collins, Football League’s first black manager, dies at 94 », The Guardian.
- « Décès de Tony Collins, le premier manager noir de la Ligue anglaise », So Foot.
Crédits photos : Icon Sport