C’est l’histoire d’un type qui aurait pu être Kevin Keegan mais qui a préféré vivre comme Lemmy Kilmister. C’est l’histoire d’un mec qui aurait pu tenter de rivaliser avec George Best ou Paul Gascoigne sur le terrain mais qui a préféré les surclasser en dehors. Robin Friday n’a jamais su choisir entre une vie de footballeur et de rockstar. Alors il a choisi les deux. Pour le meilleur parfois, et le pire, bien souvent.
16 Mars 1977. Après sept matchs sans victoire, Cardiff City reçoit Luton Town et doit impérativement gagner pour améliorer son classement. Aux environs de la demie-heure de jeu, Robin Friday, attaquant vedette de Cardiff est averti verbalement par l’arbitre pour une charge sur le gardien des Hatters, Milija Aleksic. Friday tend alors la main à Aleksic qui la refuse ostensiblement. Friday décide donc de répondre à sa manière. Sitôt le coup-franc joué, il se jette dans les pieds du défenseur de Luton John Faulkner pour récupérer la balle, se relève, part balle au pied vers la surface, dribble Aleksic qui s’écroule à ses pieds, marque dans la cage vide…et assène au gardien resté à terre un V-Sign bien visible depuis les tribunes. Ce mélange entre génie et folie est l’apanage de Friday. Bienvenue dans la vie d’un joueur hors norme.
Robin Friday naît à Acton, un faubourg de l’ouest de Londres le 27 juillet 1952. Fils d’un ouvrier du bâtiment, il est le petit-fils de Frederick Riding, ancien pro à Brentford avant la guerre. Surdoué du foot, Friday tape dans l’œil de nombreux recruteurs et rejoint Crystal Palace à treize ans. Cependant, son manque d’implication et son jeu trop personnel lassent vite ses entraîneurs. Ses passages ensuite à Queens Park Rangers et Chelsea ne seront pas beaucoup plus concluants pour les mêmes raisons, malgré un talent que beaucoup disent suffisant pour finir en équipe d’Angleterre. Sans compter qu’il touche déjà à la drogue et à l’alcool à quinze ans et qu’il se rend coupable de divers larcins qui lui valent un séjour en maison de correction.
Il termine alors son adolescence avec un apprentissage dans le bâtiment et se marie à dix-sept ans. A dix-huit ans, il s’engage en semi-pro pour Walthamstow avenue, un club d’Isthmian league (la septième division anglaise, au niveau régional), qu’il quitte rapidement pour Hayes, un autre club du même niveau.
Ses performances en Isthmian League ne passent pas inaperçues et ce sont alors Watford, en division 3, et Reading, en division 4 qui se renseignent sur la bête. Mais les recruteurs se montrent réticents face à ses excès hors pelouse, qu’il s’agisse de drogue, d’alcool, de tabac ou de bagarres en boîtes de nuit. Reading finit malgré tout par lui offrir un contrat stagiaire en janvier 1974 qui se transforme vite en vrai contrat professionnel après ses premières bonnes performances.
Il quitte Hayes avec le bilan statistique de 46 buts en 67 matchs mais surtout 7 expulsions. Rappelons tout de même qu’il s’agit de l’Angleterre seventies, plutôt permissive avec le contact physique, et que Friday ne jouait pas défenseur. En tout cas, Robin est maintenant nanti d’un contrat pro en bonne et due forme. Le Friday show peut ainsi commencer.
Premières performances, et premières frasques
Les premiers matchs sont excellents. Friday claque un doublé contre Exeter pour son premier match à domicile avec Reading. Et sur les cinq matchs suivants, il réussit une série de seize buts pour lesquels il est soit à la conclusion, soit passeur. Le souci, c’est qu’à côté, il squatte les pubs des environs, picole pas mal et devient incontrôlable. Un soir dans un pub de Reading où il est complètement ivre, il décide de sauter de table en table. Au patron qui le menace de le mettre dehors, il répondra en sautant sur le comptoir.
Reading finit cette saison à la sixième place. Et Friday part en vacances dans…une communauté hippie en Cornouailles où il ne va évidemment pas boire que de la verveine, ni se contenter de manger bio.
Il revient, en retard, pour le stage d’avant saison et marque tout de même, pour son retour en amical contre Watford. Par ailleurs, alors qu’il continuait à vivre à Acton pendant sa première saison, les dirigeants lui louent un appartement à Reading et font en sorte de payer toutes ses factures en retenant l’argent sur son salaire pour éviter qu’il ne lui reste de l’argent pour aller au pub. Qu’à cela ne tienne, Friday, idole d’une large part des fêtards de la ville, se débrouille pour boire à l’œil.
Il devient un incontournable du Churchill’s, la boîte de nuit de Reading où se retrouvent tous les tricards des autres clubs des environs. Il s’y fait notamment remarquer un soir en dansant à poil, seulement vêtu de ses bottes. Le club le déménagera en sus proche d’un ancien jardinier du stade octogénaire à moitié sourd pour éviter les ennuis. Friday ayant pour coutume de mettre du Led Zeppelin à fond chez lui quand il rentre de virée (soit à peu près six soirs par semaine).
Malgré ça, il continue de planter. Au point que de grands clubs s’intéressent à lui. Y compris Leeds et Liverpool, les deux monstres de l’époque en Angleterre. Bob Paisley, le légendaire manager des Reds, fera même le trajet jusqu’à Elm Park pour le superviser. Mais la plupart des recruteurs fuient en courant quand ils apprennent ce qu’il fait hors pelouse. Surtout que Friday n’hésite pas à embarquer ses coéquipiers en virée en distribuant si besoin les pastilles d’acides. Sans compter les diverses folies dont il était aussi capable en jouant. Comme aller embrasser un flic après un but et piquer son chapeau pour le porter pendant quelques actions. Ou se planquer pendant les footings d’entraînement pour griller quelques clopes.
John Murray, défenseur de Reading et acolyte de Friday dans le gruppetto des footings de l’équipe raconte même : « Après une grosse soufflante de Charlie (Hurley, le manager de Reading), je me suis dit qu’il fallait quand même que je lui montre que je savais courir. Au footing suivant, j’ai foncé comme un dingue et semé Robin. Puis un camion de chantier qui transportait des éléments d’échafaudage m’a dépassé. Et qui était sur la benne ? Robin !! Ce con m’a balancé des morceaux d’échafaudage en me criant « Cours branleur, cours !! » Le pire, c’est qu’il est arrivé avant moi et que Charlie m’a engueulé en me disant : « Même ce branleur de Robin a fait mieux que toi ! » »
À la fin de la saison 1974-1975, Reading rate la montée pour cinq points, mais Robin Friday est élu joueur de la saison par les supporters.
La gloire sportive éphémère
La saison 1975-1976 démarre sur des bases élevées tant pour Friday qui enchaîne des buts décisifs (avant parfois de se faire expulser) que pour Reading puisque le club est leader du classement à la fin du mois de septembre.
Le souci, c’est qu’elle part aussi sur des bases élevées en termes de bêtises hors pelouse. Friday arrive ainsi au rassemblement pour le match contre Watford avec le visage tuméfié et explique que sa copine (car il a évidemment déjà divorcé de son premier mariage) l’a frappé avec une boîte de conserve. De même que très alcoolisé, et sans doute sous acides, il attaque, dans un pub de Reading, un chauffeur de taxi avec une fourchette en plastique. Sans compter des anges en pierre volés dans un cimetière à côté duquel le bus de l’équipe avait fait une pause en revenant d’un déplacement. Le clou étant un vol de cygne (oui, oui, vivant) dans le jardin d’un hôtel une veille de match à l’extérieur.
Le 1er Avril 1976, il marque le plus beau but de sa carrière. Dos au but à une trentaine de mètres, il jongle pour contrôler la réception de la passe avant de pivoter sur lui-même et d’envoyer le ballon en pleine lucarne. Clive Thomas, l’arbitre de la rencontre ne pourra d’ailleurs se retenir d’applaudir en plein match. Quand il viendra le féliciter après le match, Friday lui répondra: « Vous devriez venir plus souvent, j’en mets tous les weekends des comme ça. »
Le 22 du même mois, après un match nul 2-2 à Cambridge où Friday a marqué le deuxième but (son 21ème de la saison), Reading valide sa montée en troisième division. Montée que Friday fêtera à sa façon en volant un carton de verres à vin dans le restaurant où avait lieu la fête post montée.
Élu une nouvelle fois joueur de l’année par les supporters, il termine la saison à 22 buts et un bilan disciplinaire effarant pour un avant-centre de 9 cartons jaunes.
Il convole en (plus ou moins) justes noces pour la deuxième foi en juin après avoir fumé des joints au vu et au su de tous les convives et de la presse sur les marches de l’église. Et pour faire bonne figure, en avoir aussi offert à tous ses coéquipiers. Puis part avec sa nouvelle femme en lune de miel à Amsterdam où il fera grand honneur aux spécialités locales, surtout celles qu’on fume.
Par ailleurs, estimant, non sans raison, avoir le talent pour viser plus haut que Reading, il demande son transfert.
Lors de la saison 1976-1977, Reading commence plutôt bien pour un promu puisque le club est en tête après six journées. Mais Friday est clairement moins performant qu’à l’accoutumée, même s’il marque deux buts et provoque un penalty sur ces six matchs.
Après une défaite à Mansfield en novembre où il sort sur blessure en cours de match, il ne trouve rien de mieux à faire que d’aller déféquer dans la baignoire des vestiaires de l’équipe adverse avant que les joueurs ne reviennent.
Le début de la fin
De plus en plus ingérable et plus vraiment performant, Friday est placé sur la liste des transferts par Reading. Et en décembre 1976, c’est Cardiff City, en D2, qui enrôle le phénomène pour £30 000 (alors que Reading avait refusé une offre à £60 000 du même club un an plus tôt). Il quitte Reading avec un bilan de 57 buts en 135 matchs toutes compétitions confondues.
Évidemment, pour conclure le premier transfert de sa carrière pro, Friday doit soigner son entrée. Parti pour Cardiff en train muni d’un simple ticket de transports en commun londonien, il finit au commissariat alors que ses nouveaux dirigeants le cherchent partout. Jusqu’au moment où un coup de fil de la police de Cardiff les informe qu’ils retiennent un type qui prétend être le nouvel avant-centre du club.
N’ayant pas l’intention de s’éloigner trop de Londres et de ses tentations de toutes sortes, Friday ne prend pas d’appartement à Cardiff. Il préfère n’y réserver qu’une chambre d’hôtel et rentrer à Londres aussi souvent que possible. Faute de moyens financiers suffisant pour ses multiples aller-retours en train (les footballeurs n’étaient pas millionnaires à l’époque, surtout en D2), Friday se fait régulièrement passer pour un contrôleur auprès des voyageurs qui se trouvent aux toilettes, et fuit avec leur billet dès qu’ils le lui ont donné.
Pourtant, il semble retrouver son niveau et claque un doublé dès son premier match chez les bluebirds contre Fulham. Match au cours duquel il ridiculise Bobby Moore, qui finit alors sa carrière chez les cottagers, mais où il s’amusera aussi à lui tripoter les parties déclenchant la fureur du champion du monde 1966.
De même que, trois semaines plus tard, il arrive au stade vingt minutes après le coup d’envoi pour la réception de Charlton Athletic en expliquant qu’il avait raté son train pour Cardiff.
Le festival continue lors d’un déplacement à Southampton, où après avoir mis un petit pont à un défenseur, il poussera le vice jusqu’à lui baisser son short.
Friday finit la saison 1976-1977 avec sept buts au compteur. Total honorable pour un joueur arrivé en janvier au sein d’une équipe qui jouait le maintien.
Par ailleurs, il accepte de déménager à Bristol, à « seulement » 70 km de Cardiff. Mais pendant l’été, il ne se présente pas au stage de pré-saison. Et ce n’est qu’au bout de plusieurs jours que les dirigeants apprennent qu’il est alité dans un hôpital londonien, souffrant d’un virus qui lui fera perdre plusieurs kilos.
Il reprend la saison en retard et ne rejoue que fin octobre. Mais il se fait malgré tout remarquer en déplacement lorsqu’une veille de match, il réveille tout l’hôtel en jetant les boules du billard dans tous les sens, debout en slip sur la table.
Il joue son premier match le 31 octobre à Brighton et se fait expulser peu avant l’heure de jeu d’un match que Cardiff perdra 4-0. Jimmy Andrews, le manager de Cardiff, fustigera d’ailleurs l’arbitrage en déclarant que les défenseurs adverses se liguaient contre Friday pour le faire dégoupiller, connaissant sa propension à prendre des cartons.
Ce match sera le dernier que Friday jouera pour Cardiff. Quand ses coéquipiers rentrent au vestiaire, il est déjà parti. Cardiff entamera une procédure disciplinaire pour non respect de contrat. Lassé des contraintes que cela suppose, même s’il ne les a jamais vraiment respectées, Friday annonce en décembre qu’il arrête définitivement le football.
Il rentre à Londres pour travailler dans le bâtiment et se marie une troisième fois, puis une quatrième. Brentford essaiera bien de le recruter mais Cardiff, toujours détenteur de sa licence, s’y opposera.
Fin décembre 1990, Friday est retrouvé mort d’overdose dans son appartement.
Malgré une vie pas franchement tournée vers le football, il fut élu joueur du siècle de Reading et de Cardiff (où il n’a pourtant, au final, passé que quelques mois), devenant le seul joueur de l’histoire du foot professionnel britannique à être élu joueur du siècle de deux clubs différents. Le site britannique football365 l’élira à la huitième place du top 10 des talents gâchés de l’histoire du football. Les plus beaux hommages à son style de vie viendront du monde du rock. Le groupe Super Furry Animals lui dédiera une chanson titrée The man don’t give a fuck, avec la photo du V-Sign à Aleksic sur la pochette. Et sa biographie sera co-rédigée par Paul McGuigan l’ancien bassiste d’Oasis, avec l’aide du journaliste Paolo Hewitt. Le titre ? The greatest player you never saw. Tout un programme…