Aujourd’hui club le plus titré d’Angleterre, Manchester United est rentré dans une autre dimension dans le courant des années 90. Les succès éclatants de cette période sont dus à l’éclosion d’une génération royale. D’abord celle d’un coach qui sera anobli quelques années plus tard. Mais surtout celle de la « class of 92 », une bande d’amis fan des Reds Devils devenue icone du club.
“C’est incroyable. Un script parfait. C’est romantique.” Éric Cantona ne cache pas une certaine émotion, en évoquant l’histoire de la “génération 1992” de Manchester United. Cette histoire est une aventure de potes à peine adolescents, fans d’un même club, qui en deviennent des légendes, ensemble. Ce cheminement, long de plus d’une dizaine d’années, prend acte en 1992, lorsque Manchester United remporte la FA Youth Cup, compétition phare des moins de 18 ans en Angleterre. Au sein de l’équipe : Ryan Giggs, David Beckham, Paul Scholes, Nicky Butt ou les frères Gary et Phil Neville. Sept ans plus tard, les mêmes visages, à peine vieillis, réalisent la plus grande saison de l’histoire du foot anglais.
Sir Alex et l’héritage des Busby Babes
Lorsque Alex Ferguson débarque à Manchester United depuis Aberdeen, en 1986, le club n’a plus obtenu de titre en championnat depuis 19 ans. Difficile d’imaginer que l’Ecossais va glaner 38 trophées en 27 ans à la tête des Red Devils. En championnat, les 20 dernières années ont été pour le Liverpool de Bill Shankly puis Bob Paisley, qui a empilé les titres nationaux et européens.
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Quand le nouveau coach met les pieds à Manchester, sa première volonté est de se tourner vers le centre de formation. Parmi les joueurs majeurs de l’effectif, seuls Norman Whiteside et Mark Hugues sont issus du centre. Ferguson se rend vite compte que le système de recrutement mancunien est insuffisant. Eric Harrison, coach de l’équipe jeunes, voit alors le nombre de recruteurs tripler en un mois.
« On avait que deux recruteurs pour tout Manchester ! La population de Manchester et de sa banlieue était de 6 millions à l’époque. Quand j’ai quitté Aberdeen, l’Ecosse comptait 3,5 millions d’habitants, et on en avait 17 !” Alex Ferguson
Dans la glorieuse histoire de Manchester United, les jeunes issus de la ville ont une importance particulière. La génération des Busby Babes est devenue légendaire dans les années 50, pour ses talents locaux et sa chute tragique. L’équipe est dirigée par Matt Busby, et sa moyenne d’âge dépasse à peine les 20 ans. Le 6 février 1958, au lendemain d’une qualification en demi-finale de Coupe d’Europe, elle est décimée par un tragique accident d’avion. Matt Busby, manager de ce jeune collectif et à l’origine de son surnom, était encore une figure emblématique du club. Alex Ferguson a souhaité marcher dans ses pas, en s’appuyant sur les jeunes de la ville. Il le disait lui même : “Ça accaparait mes pensées : essayer de réécrire l’histoire qui avait commencé avec Matt Busby.”
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La FA Youth Cup de 1992, premiers pas de la génération dorée
Fergie est bien tombé, puisque Manchester United compte dans ses rangs des jeunes plutôt prometteurs. Durant la saison 1991-1992, les moins de 18 ans se hissent en finale de la Youth FA Cup (l’équivalent de la Gambardella en France). Manchester United est le club le plus titré de la compétition, mais ne s’est pas imposé depuis 1964, une éternité. Face à Crystal Palace, les jeunes mancuniens s’imposent sur les deux matchs de la finale, 3-1 et 3-2. David Beckham et Nicky Butt s’illustrent en marquant à l’aller.
Les 12 joueurs qui ont participé aux finales de la Youth Cup intègrent l’équipe de Manchester United au début de leur carrière professionnelle. Pour quelques années, ou pour la vie. Gary Neville et Ryan Giggs ne quitteront pas le club, et prendront respectivement leur retraite en 2011 et 2014. Ferguson a maintenu les volontés qu’il avait à son arrivée : s’appuyer sur les jeunes. “On avait le sentiment qu’un jour ou l’autre on intégrerait l’équipe première, parce qu’on avait un manager, sir Alex, qui donnait sa chance aux jeunes”, racontait Nicky Butt pour France Football. “C’est de cette façon que le club nous éduquait. Tu te lèves tôt le matin, tu t’entraînes, tu gagnes. Tu passes de catégorie d’âge en catégorie d’âge, pour finir dans l’équipe première. Ça nous paraissait une progression naturelle.” Cette progression était aussi facilitée par l’entente entre les espoirs mancuniens, qui étaient plus amis que coéquipiers.
Une bande de potes
La réussite sportive et la reconnaissance de la Class of 92 démarre à partir de cette fameuse année. Mais l’aventure, elle, est bien antérieure. Avant de devenir des idoles de leur ville, les membres de la génération sont eux-mêmes des fanatiques des Red Devils. Les joueurs se connaissent depuis l’adolescence, supportent le même club et côtoient les mêmes amis.
Les 6 joueurs qu’on retient pour parler de cette génération sont Ryan Giggs, Paul Scholes, David Beckham, Gary et Phil Neville, ainsi que Nicky Butt. En 2013, ils sont tous réunis à l’occasion du documentaire “Class of 92”, réalisé par les frères Turner. On y découvre alors une véritable bande de potes, qui se racontent leurs souvenirs d’enfance, leurs conneries d’adolescence et leurs exploits de footballeurs.
Tous tournés vers un même objectif, les Mancuniens évoluent dans une concurrence saine, bien que certains soient au même poste (Gary Neville, Phil Neville et David Beckham étaient tous sur le côté droit, Nicky Butt et Scholes au milieu). D’âges différents, ils ne se rencontrent pas tous en même temps, et intègrent l’équipe première un à un. “J’ai rencontré “Scholesy” et “Gaz” (NDLR : Gary Neville) quand j’avais douze ou treize ans. On jouait pour nos écoles à Manchester, “Becks” (David Beckham) aussi. Phil était un peu plus jeune, Ryan un peu plus vieux, je ne l’ai connu que trois ans plus tard.”
“Lorsque les gens me demandent : “La Class of 92, c’était quoi au juste ?’’ Je leur réponds que c’était une histoire d’unité, de vivre et de gagner ensemble”. David Beckham
Les titres…
Les jeunes pépites mancuniennes vont avoir le privilège de grandir au sein d’une équipe ultra-compétitive, qui remporte de nombreux titres. Lors de la saison 1992-1993, le football anglais entre dans une autre ère : la Premier League. Fini l’image négative du football anglais, dégradée par le hooliganisme. Au premier match de ce nouveau championnat, les Reds Devils s’inclinent face à Aston Villa (1-3). A l’issue de la rencontre, Alan Hansen, ex de Liverpool, chambre : “vous ne gagnerez jamais rien avec des gamins”. Résultat : Manchester United finit la saison à la première position, 10 points devant les Villans.
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Ryan Giggs nuance : “À l’époque, la plupart des gens étaient d’accord avec lui, y compris nous. Et ce Championnat, ce ne sont pas les gamins qui l’ont gagné. Nous avons percé en même temps, mais ce sont les joueurs les plus âgés qui ont fait la différence : Éric Cantona, Steve Bruce, Bryan Robson…” N’empêche que la saison suivante, United fait le doublé Premier League – FA Cup, et que le club gagnera deux autres Championnats, un nouvelle FA Cup et une Coupe de Coupes jusqu’à la saison 97-98.
… puis l’apogée de 1999
Au début de la saison 1998-1999, les joueurs de la « génération 92 » ont entre 21 et 24 ans. La saison précédente, Manchester United n’a pas remporté un seul titre. Menés par David Beckham et Ryan Giggs, les Reds Devils se lancent dans une saison folle. A partir du 26 décembre 1998, les hommes d’Alex Ferguson ne perdront pas pendant 33 matchs, soit jusqu’à la fin de la saison. Pourtant, à de nombreuses reprises, les Mancuniens frôlent la défaite. Contre Liverpool au 4e tour de FA Cup, ils sont menés jusqu’à la 88e minute, avant de retourner la rencontre avec 2 buts en 3 minutes. En C1, ils arrachent deux nuls dans le money time face à l’Inter en quarts de finale retour, puis la Juventus en demi-finale aller. L’équipe semble insubmersible.
En 10 jours, Manchester joue ses trois finales. D’abord, le match du titre en championnat, remporté face à Tottenham 2-1, avec un but de Beckham. Ensuite, la finale de FA Cup, dans laquelle Paul Scholes marque, permettant la victoire contre Newcastle 2-0. Et enfin, la finale de la Ligue des Champions, au scénario unique. Suspendu, seul Paul Scholes manque dans la feuille de match. Phil Neville est sur le banc, tandis que son frère, Beckham, Giggs et Butt sont titulaires. Longtemps menés, Manchester United inscrit deux buts dans le temps additionnel par Teddy Sherringham (90+1) et Ole Gunnar Solskjaer (90+3). Fergie est anobli et devient Sir Alex Ferguson, ses jeunes sont sur le toit du monde.
En sept ans, les vainqueurs de la FA Youth Cup 1992 ont tout vécu, tout gagné. Ils sont devenus des leaders de la meilleure équipe d’Europe, de la première équipe anglaise à faire le triplé. Les amis d’enfance, fans du glorieux Manchester United, sont désormais des légendes du club et ont tous vécu ce qui sera l’apogée de leur carrière, ce soir du 16 mai 1999, à Barcelone.
La carrière des membres de la « Class of 92 » ne s’arrête pas là. David Beckham rejoindra le Real Madrid en 2003, Nicky Butt quittera le club pour Newcastle en 2004, Phil Neville partira à Everton en 2005. Gary Neville, Paul Scholes et Ryan Giggs ne connaîtront pas d’autre stade qu’Old Trafford. Au total, ces six joueurs ont cumulé 3268 matchs pour Manchester United et ont remporté 26 trophées. Paul Scholes explique assez simplement la raison de cette réussite sportive, au-delà du talent évident de la génération: « pour nous, c’est comme si on jouait des matchs de foot avec des potes ». Le cheminement de la génération dorée de Manchester United est unique. Et dans un football encore bien différent aujourd’hui, il est très probable qu’il le restera.
Sources :
– Gabe et Benjamin Turner, « The Class of 92 », Leop Pearlmann, F73 Productions
– Philippe Auclair, « Les fidèles de la Class 92« , France Football
– Philippe Auclair, « David Beckham : « le football, c’était un hobby » », France Football
Crédits photos : Icon Sport