28 octobre 1975, Teófilo Cubillas et Hugo Sotil sont au sommet de leurs arts. Les deux Péruviens exilés en Europe, respectivement capitaine de Porto, et bras droit de Johan Cruyff au Barça, n’ont qu’un seul objectif en tête : ramener une titre sur leur terre natale, 36 ans après le premier et dernier trophée de la sélection du Pérou. Les figures de proue des blanquirojos s’apprêtent à jouer une finale de Copa América. Le match d’un peuple, d’une carrière, d’une vie.
D’un temps où l’arrêt Bosman n’est pas en vigueur et loin de l’être, voir des étrangers, et qui plus est des Sud-Américains en Europe n’est pas habituel. Cela rend compte du talent exceptionnel des stars péruviennes.
«El Cholo Sotil n’avait pas la vitesse de Mbappé, il avait plutôt le toucher de balle d’un Messi. Il était plus proche du jeu de Maradona que celui de Pelé. Pelé était plus un buteur, là où Maradona était un leader avec le ballon. C’était vraiment spectaculaire de voir El Cholo jouer », se rappelle Miguel Villegas, journaliste de sport au journal El Comercio.
Hugo Sotil rejoint donc le Barça et Johan Cruyff. Il devient même son bras droit. Cholito débute souvent dans le 11 titulaire. Sotil fait partie de l’effectif du Barça des années Johan Cruyff, double vainqueur du Ballon d’Or en 1973 et 1974. Les deux coéquipiers se lient d’amitié. À la naissance de son fils, El Cholo Sotil le prénomme comme son ami : Johan. Le Hollandais Volant deviendra même le parrain de Johan. Un an après son arrivée en Catalogne, la star néerlandaise Neeskens les rejoint. L’apogée de Hugo Cholo Sotil a lieu un jour de Clásico au Bernabéu. Le Barca de Cruyff gagne alors 4-0 quand sur un coup franc d’El Flaco Cruyff, Hugo Sotil de son petit mètre 69 reprend le ballon de la tête pour tromper le gardien. Victoire 5-0.
El Nene débarque du côté de la nation helvète, au FC Bâle. Il a du mal à s’imposer et ne joue que seize matchs pour huit buts. Le FC Porto va le chercher. Cubillas se met au diapason, devient un joueur important, est adulé par les supporters et devient le capitaine des Dragons. Le tandem d’or péruvien scintille en Europe et devient l’ambassadeur du football sud-américain.
En fin d’année 1973, le premier match amical entre une sélection européenne et américaine voit le jour, le 31 octobre au Camp Nou. Impensable de nos jours, de par l’ampleur des calendriers, l’affiche fait néanmoins rêver. Parmi les sélectionnés, trois péruviens : Chumpitaz, el Nene Cubillas et el Cholo Sotil. Dans l’équipe d’en face, malgré la non-présence de stars européennes pour diverses raisons, sont présents, Johan Cruyff et Eusebio. Seulement 28 000 personnes sont présentes en tribune pour une capacité avoisinant les 93 000 places. Mais le spectacle est lui présent. Si l’enjeu d’un amical a pu en dissuader plus d’un, notamment Beckenbauer qui reste sur un très mauvais souvenir du tandem doré du Pérou, le score est de 4-4 à l’issue du temps réglementaire. Les huit buts sont inscrits par Eusebio, Keita, Juan Manuel Asensi et Kurt Jara pour les Européens. Miguel Angel Brindisi, et les trois Péruviens pour l’Amérique. Les joueurs sud-américains, mécontents de l’organisation d’une séance de penalties font grève pendant quelques instants. En fait, le temps de jeu supplémentaire en a agacé plus d’un. Mais il fallait bien un vainqueur. Victoire 3-2 de la sélection américaine, après la séance de tir aux buts.
LIRE AUSSI – La mystérieuse Copa de la España libre 1937
Copa América 75 : la consécration
En 1975, le format de la Copa América change. Désormais, cette compétition se joue sur quatre mois, sans pays hôte. Ce sont trois poules de trois équipes et chacune d’entre elles s’affrontent à domicile et à l’extérieur. Le premier de chaque mini championnat se qualifie alors pour les demi-finales. Le quatrième convié est le vainqueur de l’édition précédente. Le Pérou tombe avec le Chili et la Bolivie. Privée de sa star Hugo Sotil bloqué par le Barça, la Blanquiroja arrive tout de même à accéder aux demi-finales avec pour bilan un nul et trois victoires en quatre matchs. Cubillas n’inscrit qu’un seul but dans les phases de poules.
Pour ce qui est des demi-finales, même concept à une chose près. Match aller-retour, en cas d’égalité le vainqueur est désigné par tirage au sort. Le Pérou affronte le Brésil. Le premier match se dispute à Belo Horizonte. Et contre toute attente, le Pérou dirigé alors par Marcos Calderón se défait de la Seleção 3 buts à 1. Doublé de Casaretto un but d’el Nene Cubillas. La place en finale se joue donc à Lima. Mais c’est un naufrage. Le Pérou craque et concède la défaite sur le score de 2 buts à 0.
Place au tirage au sort. Ironie du sort, la lourde tâche est confiée à la fille du président de la Confédération sud-américaine de football Teófilo Salinas, Veronica Salinas… qui est Péruvienne. Il va s’en dire qu’elle n’avait jamais assisté à un match de foot. Il n’empêche que toute sa famille supporte l’Alianza Lima. D’une main innocente, Veronica tire la boule du nom de son pays. Le Pérou est en finale de la Copa América. Cette histoire a fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Certaines rumeurs circulaient sur le fait que la boule péruvienne avait été mise au congélateur peu avant le tirage au sort. Mais tout cela ne sont que des rumeurs.
Le Pérou a l’occasion de brandir à nouveau la coupe près de 36 ans après la dernière victoire. Les Incas affrontent alors la Colombie. Privée de ses stars européennes retenues par leur club, la Bicolor perd le premier match à Bogota par la plus petite des marges. Les rouges et blancs ont une dernière chance de glaner le titre. Pour cela, il faut gagner chez soi pour espérer jouer un match décisif. C’est chose faite. Le Pérou bat la Colombie 2-0 et se donne le droit de rêver.
La Dupla de Oro au rendez-vous
Mais, outre-Atlantique Sotil et Cubillas se mordent les doigts de ne pas pouvoir prendre part au match de leur vie. Eux qui ont amené leur sélection cinq ans plus tôt en quart de finale de Coupe du monde, eux qui font rayonner leur pays à l’internationale. Cubillas, a déjà disputé des matchs de cette édition de la Copa América, Hugo Sotil non. Le peuple lui tombe dessus, certains vont jusqu’à dire qu’el Cholo n’est plus péruvien. Mais l’amour pour sa nation est plus fort que tout.
« La première chose qu’a faite Sotil en sortant de l’aéroport de Caracas a été d’appeler sa mère. Elle était très inquiète. Elle lui a dit qu’il était en train de s’échapper de son club, qu’il avait perdu la tête. El Cholo lui répond une phrase mémorable : « moi pour mon pays je quitte tout », raconte Miguel Villegas, auteur du livre Padre Nuestro.
Sotil laisse sa femme enceinte à Barcelone pour rejoindre sa sélection sans l’accord de son club. Dans la même situation, Cubillas brise, lui aussi, les règles et s’envole pour Caracas, lieu de la finale décisive. Pour les deux joueurs ç’en était trop. Arrivés en sauveurs, les deux stars débutent dans le 11 titulaire. Le match contre la Colombie débute. L’apport de la Dupa de Oro est indéniable. À la 25ème minute de jeu, Cubillas frappe en dehors de la surface. Sa frappe est contrée, cafouillée, mais Hugo Sotil veille au grain. Ouverture du score d’el Cholo. Tout le peuple péruvien exulte. Le score ne bougera plus jamais. Sotil et Cubillas offrent un trophée à leur pays, à leur peuple, à leur postérité.
« Si on me demandait de faire un choix entre le parcours en Coupe du Monde de 1970 ou la Copa América, je choisirais sans aucun doute la victoire en 1975, de par la portée générationnelle de l’histoire. Au Pérou, les grands-pères racontent cette épopée à leurs petits-enfants. Et à la différence du parcours au mondial, c’est un titre. », confesse Miguel Villegas.
Dernière danse
Après le sacre, leur idylle européenne sera de courte durée. Deux saisons de plus et puis s’en vont. Sotil ne retrouvera jamais sa place au Barça. El Cholo repart quand même de Catalogne avec le titre de champion d’Espagne en 1974. Cubillas, lui, quitte Porto avec une Coupe du Portugal dans la poche, celle de 1977.
Interloqués par le projet d’Alianza Lima, la Dupla de Oro tient un nouveau challenge. En 1977, le club de la capitale veut réunir les stars péruviennes de l’époque pour espérer briller dans le pays, mais aussi sur le continent. Leur décision est prise, retour au bercail, au club de leurs débuts. Le tandem d’Or s’envole vers Lima en 1977. Retour gagnant. Les deux amis font retrouver le gout du titre, qui échappe au club depuis deux saisons. Coup double. Cubillas et Sotil remportent même deux nouveaux championnats avec leur club d’enfance. Ils iront même jusqu’en demi-finale de la Copa Libertadores. L’Alianza laissant filer ses cadres à l’été 1978, Teófilo et Hugo changent d’horizons. Cette fois-ci les deux amis ne brilleront plus jamais ensemble en club.
Il reste tout de même la Sélection au tandem doré. Leur dernier véritable challenge côte à côte : la Coupe du Monde 1978. Le tournoi se joue en trois parties. Une première phase de groupe classique et un deuxième mini tournoi entre premiers et deuxièmes de poules. Ensuite, c’est la finale.
Coupe du Monde 1978, l’ultime défi
Pour la première phase de la Coupe du monde, le Pérou affronte l’Écosse, les Pays-Bas et l’Iran. Pour leur entrée en lice dans la compétition, le Pérou ne fait pas dans la demi-mesure, Cubillas non plus. Victoire sèche 3 buts à 1 avec un doublé de l’ancien capitaine de Porto. Le deuxième match est moins facile. Pays-Bas et Pérou s’en sortent sur un score nul et vierge. Pour le troisième et dernier match de la première phase, Los Incas affrontent l’Iran. Toujours en quête de buts, Cubillas claque un triplé. Les Blanquirojos remporte le match 4 buts à 1. Le reste de la compétition n’est guère aussi tonitruant. Dans le groupe avec le Brésil, la Pologne et l’Argentine, le Pérou ne voit pas le jour, et ne marque pas le moindre buts. La Bicolor perd ces trois matchs respectivement, 3-0 , 1-0 et 6-0. Le dernier match de la Dupla de Oro restera le match de deuxième phase et la défaite contre la Pologne. Hugo Sotil n’est pas entré pendant le naufrage face à son voisin sud-américain.
El Cholo restera à jamais le premier sud-Américain à avoir porté le numéro du 10 du Barca, bien avant les Maradona, Ronaldinho ou encore Messi. El Nene Cubillas, est à ce jour le joueur péruvien ayant inscrit le plus de but avec la sélection péruvienne en Coupe du monde (10). Deux carrières indissociables, les deux joueurs ont été l’âge d’or du football péruvien. Pour revoir, ne serait-ce que l’équipe nationale du Pérou en phase finale de Coupe du Monde, il aura fallu près de 36 ans, en 2018. C’est dire l’impact qu’ont pu avoir ces joueurs-là pour leur nation. Vainqueurs de la Copa América et deux fois quarts de finalistes de la Coupe du Monde, ils ont été les meilleurs joueurs péruviens des années pré-2000, avant l’arrivée de Claudio Pizarro. Mais bien plus que le football, ces joueurs ont rythmé les émotions de millions de personnes. Quand on connaît l’importance du football en Amérique latine.
Sources :
- Nicolas Cougot, « 1975, Et la Copa América vit le jour », lucarne-opposée.fr
- Thomas Goubin, « Hugo Sotil : la grande évasion », sofoot.com
- « Cubillas, génie précoce et éternel », Fifa.com
- « Real Madrid vs. Barcelona: gol de Hugo Sotil silenció el Bernabéu en 1974 », americano.com.pe
Crédits photos : IconSport