Les télévisions en couleur se sont véritablement démocratisées, en France, à la fin des seventies. Créées dix ans auparavant, leur prix jugé trop haut a longtemps découragé les consommateurs français. Heureusement, en 1982, la plupart des foyers du pays avait la possibilité de voir des émissions autre qu’en noir et blanc et notamment les matchs de football. Même quand ce n’était pas le cas, il y avait la possibilité de se rendre chez quelqu’un pour assister aux rencontres des Bleus de Michel Hidalgo. De la même façon pour admirer les virevoltants maillots jaunes et verts des Brésiliens de Telê Santana.
Une équipe ayant marqué l’histoire sans jamais avoir triomphé. En 1954, la Hongrie perdait en finale face à l’impitoyable Allemagne de l’Ouest. En 1974, les Pays-Bas s’inclinaient également à ce stade de la compétition face aux mêmes adversaires. En 1982, le Brésil n’a pas pu atteindre cette dernière marche. Elle n’était pourtant pas si haute pour l’un des meilleurs effectifs de l’histoire ce sport. Telê Santana était l’entraineur de cette équipe menée, entre autres, par Zico et Socrates. Malgré un tacticien hors-pair et des joueurs légendaires, le Brésil de 1982 n’a pas graver son nom sur le plus prestigieux trophée de ce sport. Pas de ligne au palmarès mais un souvenir impérissable dans la tête et le cœur de tous les fans de football.
De l’obscurité vers la lumière
Pour comprendre le triomphe inachevé du Mundial, il est nécessaire de rappeler dans quel contexte se trouvent Telê Santana et la Seleçao. Avant d’être nommé sélectionneur de l’équipe alors triple championne du monde, il a officié dans quelques clubs du pays parmi lesquels l’Atletico Mineiro, Grêmio ou Palmeiras. Durant une petite dizaine d’années il glane quelques championnats régionaux. Ce n’est pas ce palmarès qui incite la fédération brésilienne à l’appeler mais son style de jeu très offensif. Il faut dire qu’en 1980, l’équipe nationale vient de passer deux ans sous les ordres de Claudio Coutinho. La troisième place du mondial 1978 n’a pas pu faire digérer la sortie prématurée en Copa America l’année suivante et surtout l’animation tactique peu enthousiasmante. Le remplacement se fait directement ressentir chez les joueurs en témoigne la déclaration de Falcao :
“Dès qu’il est arrivé, les choses ont changé de façon radicale. C’est devenu beaucoup plus amusant de jouer avec la Seleção. Il a compris qu’il avait des joueurs intelligents. Il voulait que l’on joue à l’instinct et non pas de façon systématique. Il poussait les arrières latéraux à se porter en attaque. Il ne voulait pas de milieux axiaux qui se cantonnent à stopper les adversaires ; il voulait qu’ils sachent faire bon usage du ballon. Il nous a donné la liberté de tenter tout ce qu’on voulait tenter. Il nous demandait toujours de faire le spectacle”
Ses premiers mois frôlent la perfection. Les résultats sont au rendez-vous, en témoigne la qualification rapide pour la Coupe du Monde 1982. De la même façon, les hommes de Telê Santana battent l’Angleterre, la France et la RFA lors d’une tournée européenne avant de battre à plate couture l’Irlande sur le cinglant score de 7-0. En plus de cela, le jeu séduisant propre à l’histoire du pays est revenu au premier plan. Exit la froideur de son prédécesseur, Telê Santana ramène de la couleur sur le football brésilien à quelques semaines de s’envoler vers la péninsule ibérique.
Un style de jeu enthousiasmant
Ce football tout en couleur va faire rêver le monde entier du 14 juin au 5 juillet. L’entraineur auriverde n’est pas de ceux qui enferment les joueurs dans un système cadré restreignant leur créativité. Il est à la tête d’un des effectifs les plus créatifs de l’histoire de ce sport est entend bien en profiter. C’est particulièrement au milieu de terrain que Telê Santana est servi. Si bien qu’il organise son équipe en 4-5-1 de manière à faire évoluer ensemble Cerezo, Falcao, Socrates, Eder et Zico. Les cinq artistes se trouvent les yeux fermés. Ils parlent le même football, ce qui permet au ballon d’être constamment en mouvement et en direction du but adverse.
C’est avec cette conception offensive que le Brésil, lors du Mundial 82, va offrir l’un des jeux les plus enthousiasmants de l’histoire de la compétition. Seulement, ce style de jeu conquérant va également être la cause de l’échec. En effet, le déploiement offensif de la Seleçao accroissait les difficultés des deux maillons faibles de l’équipe : Waldir Peres et Serginho, respectivement gardien et avant-centre. Le premier commet une erreur fatale dès l’entrée en lice des Brésiliens dans la compétition. Un but offert à l’URSS que Socrates puis Eder rattrapent sans grands frissons.
Le second, lui, inscrit deux buts lors de cette Coupe du Monde mais rate un nombre incalculable d’actions orchestrées par ses coéquipiers. La profusion de milieux de grande classe fait dire à l’écrivain Brian Glanville que la défaite face à l’Italie est “le jour où l’immensément glorieux milieu de terrain brésilien s’est retrouvé impuissant pour masquer les faiblesses qui le cernaient, devant et derrière lui”. Mais avant ce match crucial face aux Italiens, les Auriverde ont peint l’Espagne entière avec leur jeu coloré.
Tout semblait parfait
Une victoire face à l’Union Soviétique pour démarrer le Mundial sur de bonnes bases. Pour montrer, également, à l’Europe que même le verrou d’une équipe qui reste alors sur vingt-trois victoires consécutives peut sauter face à la créativité brésilienne. Le match suivant, face à l’Ecosse, est sûrement celui le plus abouti par l’équipe de Telê Santana. Malgré la nouvelle ouverture du score adverse, l’entraineur ordonne à ses joueurs de continuer à attaquer, ce qui va aboutir à quatre buts. Zico, Oscar, Eder et Falcao marquent, prouvant ainsi la force collective de cet effectif – notamment celle du milieu. Pour le dernier match du sixième groupe, la Nouvelle-Zélande n’existera pas et pliera sous les assauts brésiliens (4-0).
Au second tour, les adversaires seront plus coriaces puisqu’il s’agit de l’Italie de Zoff ou Antognoni et de l’Argentine de Maradona ou Passarella. C’est d’abord face au rival argentin que Socrates et sa bande soufflent un vent de fraicheur sur le football mondial. Le monde du ballon qui avait, d’ailleurs, assisté à un match fermé et âpre entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Angleterre et qui regardera, las, un triste Pologne-URSS. Socrates ne marque pas, au contraire de Zico, Serginho et Junior, mais impressionne par sa grâce tantôt dans le rond central tantôt aux abords de la surface adverse. Il ne court pas, laissant ses coéquipiers couvrir dans son dos, mais régale les spectateurs venus en nombre à Barcelone.
Tout semblait parfait. Cinq rencontres, autant de victoires, des buts à la pelle et un jeu si romantique que les largesses ne se faisaient pas remarquer. Pourtant celle-ci étaient déjà là lors de ces matchs. Par intermittence, Diego Maradona en a exposé quelques-unes. Paolo Rossi, lui, ne va pas se gêner pour filer dans chaque brèche défensive. Le goleador italien revient pourtant de très loin. Le scandale du Totonero lui avait fait écopé d’une peine de trois ans de suspension, qui sera écourtée à deux, synonyme de probable billet vers l’Espagne et son mondial. Le sélectionneur Enzo Beardot a estimé que malgré sa longue inactivité, Rossi était l’avant-centre capable d’aller conquérir la troisième étoile de la Squadra Azzura.
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L’Italie en 1982, la France en 1986
Face au Brésil, l’entraineur italien a été récompensé pour ce choix. Paolo Rossi douche la folie brésilienne dès la cinquième minute. Socrates ne court pas plus qu’auparavant mais égalise assez rapidement. Cerezo et Falcao, au milieu, Junior et Leandro, sur les côtés, sont toujours autant portés vers l’offensive et le froid réalisme italien les punit. Rossi inscrit un nouveau but vingt minutes après son premier. Alors qu’un match nul aurait suffi au Brésil de Telê Santana celui-ci ne voulait pas faire le dos rond et se contenter d’un petit point. Naïf ou romantique ? On vous laisse choisir.
Il continuera avec la même philosophie. Ce qui permet à Falcao d’égaliser et qui assure momentanément une place en demi-finale face à la Pologne. C’était sans compter le troisième but de Paolo Rossi quelques minutes plus tard. Après le but brésilien, Zico et ses coéquipiers ont continué à aller de l’avant, mettant une nouvelle fois à l’épreuve les faiblesses défensives de l’équipe. Pourtant, il serait malhonnête de vouloir la créativité de Telê Santana tout en lui demandant de restreindre son allant offensif.
Ce soir-là, le football protagoniste a perdu contre celui des froids pragmatiques. Quelques jours plus tard, c’est la France qui, alors qu’elle menait de deux buts d’avance, a continué à jouer. Telê Santana et Michel Hidalgo sont arrivés en Espagne avec une palette pleine de couleur, l’Italie et la RFA sont, comme à leur habitude, arrivés froids et repartis victorieux. Enzo Beardot dira d’ailleurs : “Je pense que les joueurs brésiliens ont cru qu’ils pourraient battre l’Italie facilement, en s’amusant, c’était une très grave erreur”. C’est face à la France, cette fois-ci d’Henri Michel, que le Brésil perd en quart de finale du Mondial 1986. Deux équipes romantiques s’affrontent, mais le Brésil s’incline une nouvelle fois. Zico loupe un penalty crucial dans le match, Socrates, lui, rate son tir au but près d’une heure plus tard. Deuxième déception pour Telê Santana qui, suite à cela, ira empiler les trophées du côté du São Paulo FC.
Il ne voulait pas seulement gagner la Coupe du Monde, il voulait le faire avec un style marquant l’histoire du football. Il n’a jamais pu faire broder une quatrième étoile sur le maillot de son pays. Néanmoins, il a bien réussi à marquer l’histoire du football. Non, ce sport ne retient pas que les vainqueurs. Il retient parfois aussi les quelques romantiques qui ont apporté un peu de couleur sur les écrans de télévision.
Sources :
- Eurosport : Selecao 1982 ? Une demi douzaine de demi dieux et deux boulets
- So Foot : Télé Vision
- Ultimo Diez : Telê Santana, l’Histoire ne retient que les vainqueurs
Crédits photos : Icon Sport