Depuis vingt-huit ans, deux clubs se partagent le championnat d’Ukraine : le Dynamo Kiev avec 15 titres et le Shakhtar Donetsk avec 13 titres. Une seule autre équipe est parvenue à remporter cette compétition, le Tavria Simferopol. Mais depuis 2014, le destin du club a basculé. Deux équipes portent désormais ce nom. La première joue dans la ville éponyme en Crimée, région annexée par la Russie, et la seconde joue en Ukraine continentale.
Le Tavria Simferopol est le club de la capitale de la Crimée. Il est fondé en 1958 sous le nom d’Avangard avant de prendre son nom définitif en 1963. Jusqu’à la chute de l’URSS, le club fluctue entre la deuxième et la troisième division du championnat d’Union soviétique de football. Au cours de la saison 1979-1980, il remporte le championnat de seconde division et accède à la première division pour sa seule et unique saison. Au cours d’une saison difficile, il ne remporte que 8 victoires en 34 matchs. Les Ukrainiens terminent avant-derniers et sont relégués. Le Tavria devance seulement le Pakhtakor Tachkent (Ouzbékistan) dont l’équipe a été décimée au cours d’une collision aérienne en 1979. Son seul autre fait d’arme sous la domination soviétique se déroule en 1987. Le club atteint la demi-finale de la coupe d’URSS. Alors en troisième division, il s’incline contre le Dinamo Minsk (Biélorussie) après avoir éliminé deux clubs de première division : le Tchernomorets Odessa et le Metallist Kharkov.
En décembre 1991, un référendum d’autodétermination est mis en place en Ukraine. Le « Oui » l’emporte à plus de 90 % et l’Ukraine organise son premier championnat indépendant de football en 1992. Deux poules sont organisées. Le Tavria Simferopol remporte la sienne devant le Shakhtar Donetsk. Il est confronté au vainqueur de la seconde poule dans une finale à Lviv. Il doit affronter l’ultra-favori de la compétition, le Dynamo Kiev et ses internationaux comme Oleh Luzhnyy ou Oleg Salenko. Le club de la capitale avait remporté le championnat d’URSS deux ans auparavant et terminé cinquième en 1991. A la surprise générale, le club criméen remporte le match 1 but à 0 et devient le premier champion d’Ukraine. Il demeure à ce jour le seul club à avoir remporté le championnat en-dehors des deux mastodontes que sont le Dynamo Kiev et le Shakhtar Donetsk. Au cours des championnats suivants, le Tavria ne fera jamais mieux que cinquième. En coupe, il remporte la compétition en 2010 face au Metalurh Donetsk, 3-2, grâce à un but victorieux en prolongation de l’ancien international nigérian, Lucky Idahor.
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Le Tavria en coupe d’Europe
Grâce à sa victoire en championnat en 1992, le club participe à la première édition de la « Ligue des champions ». Il s’impose en tour préliminaire 2-1 au cumulé face au Shelbourne FC (Irlande) avant de s’incliner en seizièmes de finale face au FC Sion (Suisse), 7 buts à 2 au total des deux matchs. Il faut attendre huit années pour retrouver le Tavria Simferopol en coupe d’Europe. Durant la coupe Intertoto 2001, il élimine le Spartak Varna (Bulgarie) au deuxième tour (5-2 au cumulé) et doit affronter un des futurs vainqueurs de la compétition, le Paris Saint-Germain. Au match aller en Ukraine, le PSG s’impose 1 but à 0 grâce à un but de Gaby Heinze. Au match retour, les Ukrainiens sont défaits 4 buts à 0 (deux buts d’Aloísio, un de Jay-Jay Okocha et un d’Ali Benarbia). Sept ans plus tard, il est à nouveau confronté à un club français au cours de la coupe Intertoto 2008. Après avoir éliminé le FC Tiraspol (Moldavie) (3-1 au total), il affronte le Stade rennais au troisième tour. Au match aller en Bretagne, Rod Fanni sauve les siens et marque le but du 1-0 dans le temps additionnel. Au match retour, l’ancien international géorgien Vasil Gigiadze permet aux Ukrainiens de s’offrir une prolongation puis une séance de tirs au but. Après douze tireurs de chaque côté, les Rennais l’emportent, 10 tirs à 9. La dernière expérience européenne du Tavria Simferopol s’est déroulée en 2010-2011. Ils se sont inclinés en barrage de Ligue Europa contre le Bayer Leverkusen (6-1 au cumulé).
L’annexion de la Crimée
Au cours du championnat 2013-2014, le Tavria Simferopol est en position de relégation pour la première fois. Le club termine le championnat avant-dernier, juste devant l’Arsenal Kiev qui a fait faillite au cours de la saison. Cependant, un autre événement va provoquer une chute encore plus brutale pour le club. Des troubles éclatent à la fin de l’année 2013 après le refus du gouvernement de signer l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Après des manifestations violentes et meurtrières, le président Victor Ianoukovytch est destitué en février 2014. Un nouveau gouvernement est mis en place mais il est proeuropéen et la Russie ne le reconnaît pas. Des troupes prorusses se déploient en Crimée. Le 11 mars 2014, le parlement de Crimée déclare son indépendance. Contre l’avis de la communauté internationale, un référendum est instauré pour une adhésion de la république de Crimée et de Sébastopol (la Russie possédait déjà une base militaire maritime dans le port de la ville) à la Fédération de Russie. Le « Oui » l’emporte à plus de 95 %.
Le club de Simferopol accède alors au championnat russe. Il se retrouve en D2-Sud (3ème division) en compagnie du SKChF Sébastopol et du Zhemchuzhina Yalta. Ce dernier était en deuxième division ukrainienne. Cependant, il doit changer son nom, tout comme le club de Sébastopol, intitulé PFK Sébastopol avant l’annexion. Les dirigeants du club, restés fidèles à l’Ukraine sont les détenteurs officiels du nom et du logo et ils refusent que le club soit affilié à un autre championnat que celui d’Ukraine. Il prend alors le nom de TSK Simferopol (Tavria Simferopol Krym).
Après quelques matchs de championnat au sein d’un championnat russe, l’Ukraine fait une réclamation à l’UEFA. Elle veut faire cesser la participation de clubs de son territoire dans le championnat d’une autre fédération. L’UEFA décrète un statut de « zone spéciale » pour la région. Les clubs doivent se retirer du championnat russe mais elle autorise la création d’une fédération républicaine de Crimée. Celle-ci est rattachée à la fédération russe et peut organiser son propre championnat à partir d’août 2015 avec huit équipes. Le TSK y participe et devient champion au cours de la première édition. Le championnat demeure isolé sportivement et économiquement. Les sanctions occidentales empêchent les entreprises étrangères d’investir dans la région.
Faire survivre le club en Ukraine
Une partie des dirigeants et des supporters du club ne pouvait pas tolérer de jouer sous domination russe. Ils décident alors de partir dans une autre région d’Ukraine. Une partie part même se battre sur le front dans l’Est de l’Ukraine. Ces dirigeants créent leur propre fédération criméenne de football. Elle est affiliée à la fédération ukrainienne. Leur objectif est de faire jouer les clubs de Crimée, avec un statut d’exilé, comme les clubs de la région du Donbass. Le Shakhtar par exemple a joué à Lviv (à plus de 1 200 km de chez lui), Kharkhiv (300 km) ou Kiev (750 km). Le Zorya Louhansk joue quant à lui à Zaporijjia (400 km) depuis 2014.
Le club est donc refondé en 2016. Après plusieurs propositions, la ville de Beryslav est choisie. Elle est située dans l’oblast de Kherson, à environ 240 kilomètres de la capitale de la Crimée. Le nouveau club du Tavria Simferopol évolue en quatrième division ukrainienne la première année avant d’accéder à la troisième division l’année suivante. Le club est soutenu par les supporters locaux mais aussi par quelques supporters qui parviennent à franchir la frontière pour continuer à supporter leur club.
Deux clubs revendiquent donc aujourd’hui la même identité, même si l’un des deux ne se trouve plus en Crimée. La scission depuis l’annexion n’a été bénéfique pour personne. Les résultats ont beaucoup de mal à se concrétiser pour les deux équipes. Le Tavria Simferopol, en Ukraine, reste bloqué en troisième division depuis plusieurs années. La situation est la même pour le TSK Simferopol de l’autre côté de la frontière. Il n’a réussi à remporter le championnat de Crimée que lors de la première saison. Il oscille depuis entre la deuxième et la cinquième place dans un championnat pourtant composé uniquement de huit équipes. L’avenir de ce dernier dépend en grande partie de l’UEFA et du statut contraignant de « zone spéciale » qu’il souhaite voir évoluer.
Sources :
- CANDAU Adrien, « Crimée, la balle dans le pied », So Foot, 29 juin 2018.
- LAËTHIER Adrien, « La résurrection du Tavria Simferopol a eu lieu à Beryslav », Footballski.fr, 14 octobre 2016.
- WALKER Shaun, « Football in Crimea : the club split in two by Russia’s invasion », The Guardian, 11 juin 2018.