« Diego Armando Maradona ». après avoir écrit les plus belles pages de l’histoire du SSC Napoli, la légende argentine a donné son nom au stade où nombre de ses exploits furent réalisés. L’ex Stade San Paolo de Naples est donc devenu le stade « Diego Maradona », suite à la mort de ce dernier, le 25 novembre 2020.
LA GENÈSE
Situé dans le quartier populaire de Fuorigrotta, à l’extérieur de la ville, il se dresse aujourd’hui en seule et unique relique d’une politique d’urbanisation de la périphérie napolitaine, initiée sous les ordres de Benito Mussolini. Aujourd’hui, le quartier s’est changé en un concentré de friche industrielle et vétusté immobilière. Une zone ternie donc, où se dresse un édifice qui ne l’est pas moins, à l’instar d’une grande partie de la ville de Naples.
L’histoire de ce stade est étroitement liée à la seconde guerre mondiale. Alors que les joueurs napolitains s’illustrent au stade de Parthénope, celui-ci est détruit par les bombardements alliés. Au sortir de la guerre, la nécessité de construire un stade est au cœur des débats. La municipalité, ne possédant aucun édifice majeur, voit ici l’occasion de construire LE stade. Une enceinte capable d’accueillir la passion de milliers de tifosi napolitains. Un chantier pharamineux estimé à 23 millions d’euros et la science de l’architecte Carlo Coccia permettront à la mairie de Naples d’obtenir son propre stade en 7 ans.
En 1959, le « Stade du Soleil » voit le jour. Ce nom sera rapidement modifié en « San Paolo », la municipalité souhaitant rendre grâce à un saint : Paul de Tarse. Le 13ème apôtre, qui, en 61 ap. JC, se rendant à Rome, accosta dans la zone de Pouzzoles, ville portuaire située à quelques kilomètres du Stade.
Hasard du calendrier, c’est face à l’ennemi Bianconero que le Napoli inaugure sa nouvelle arène, le 6 décembre 1959. Alors doté de tribunes dispersées en trois anneaux, dont l’un sous la chaussée, le stade est en capacité d’accueillir 90 000 supporters. Ce jour-là, l’édifice flambant neuf voit les locaux, emmenés par Emanuele Del Vecchio remporter ce match de prestige 2-1.
L’esthétique du stade s’inscrit dans la lignée de ses confrères italiens. Parmi eux, « Artemio Franchi » à Florence, le « Stadio Olimpico » de Rome, ou le « Stadio degli Alpi » à Turin. Ornés d’une piste d’athlétisme, faisant le tour du terrain, ils sont aujourd’hui vivement critiqués. Les spectateurs les plus proches se retrouvant à des dizaines de mètres du gazon.
UN STADE MYTHIQUE
Sur pied depuis près de 60 ans, le stade a vu s’écrire la majeure partie de l’histoire moderne du Napoli SSC. Bien qu’il ne soit que le 3ème plus grand stade d’Italie, son histoire en fait une enceinte mythique, l’une des plus prisées par les groundhoppers, qui voient en ce lieu l’occasion de vivre une expérience unique.
Cette mysticité renvoie à l’âge d’or du club : Les années Diego Maradona. A Naples, les plus âgés se rappellent un stade comble, un soleil de plomb, et une agitation rare, pour célébrer l’arrivée du D10s en terre promise. Ce 5 juillet 1984, 70 000 fidèles garnirent les rangs du stade. Sautant et chantant à la gloire de celui qui emmènera plus tard le club au sommet du football italien.
La signature du D10s en terre de Parthénope permettra au club de s’élever aux plus hauts rangs du football italien. Elle offrira au public napolitain plusieurs matchs aujourd’hui rentrés dans l’histoire.
10 mai 1987 : Napoli-Fiorentina
Alors que la saison touche à sa fin, le Napoli, premier, reçoit la Fiorentina. En ville, une agitation remue les cœurs, des quartiers de Forcella au Vomero. Le club, pour la première fois de son histoire, a l’occasion de remporter le scudetto, trophée derrière lequel il court depuis des dizaines d’années. Dans le stade, quelques 85 000 supporters, prêts à exhorter les coéquipiers de Maradona l’espace de 90 minutes.
Une ouverture du score précoce signée Andrea Carnevale place les Napolitains sur orbite. Avant que, sur coup franc, le tout jeune Roberto Baggio ne remette les visiteurs à égalité. Le match se termine sur ce score de parité, sacrant le Napoli pour la première fois de son histoire. Au coup de sifflet final, le stade explose. A l’instar de son voisin Vésuve quelques siècles auparavant, c’est tout un flot de tifosi qui se déverse dans les rues de Naples et aux alentours. Une revanche pour tout un peuple, longtemps moqué par ses voisins Milan et Turin.
Cette saison-là, la ville célébrera le doublé championnat-coupe de l’UEFA. El pibe de Oro écrira une autre ligne de sa glorieuse histoire à Naples, et sera placé à égale marche de San Gennaro, saint patron des Napolitains.
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3 juillet 1990 : Italie-Argentine
Après avoir défait l’Irlande en quart de finale de la Coupe du monde, l’Italie retrouve l’Argentine en demie. Hasard de la programmation ou
destin voulu par les dieux du football, c’est au Stade San Paolo que la rencontre est programmée.
A Naples, l’heure est au dilemme. Supporter la squadra azzura, composée essentiellement de joueurs issus des clubs ennemis du Nord ? Prendre parti pour la légende vivante Diego Maradona, pour qui nombre de Napolitains auraient pu laisser leur vie ? Une question qui a soulevé de nombreux débats, à l’époque, et qui continue aujourd’hui d’alimenter les conversations de quelques nostalgiques. Lors du match, une partie du stade a adopté une politique de neutralité. Choix jugé incompréhensible par le reste de l’Italie, mais Naples est, et restera à jamais une ville hors des normes. Une cité où la corrélation entre forte identité locale, détachement pour la patrie et ferveur poussée à l’extrême amène ce type de situation.
Après s’être neutralisées 1-1 au terme des 120 minutes, les deux équipes font face aux tirs aux buts. Cette séance, rentrée dans la légende par son caractère apnéique verra les argentins se qualifier pour la finale. Dans un stade où il a tant de fois brillé auparavant, c’est le D10s qui inscrira le but vainqueur. Cet épisode marquera pour le génie argentin le début d’une cassure avec le peuple Italien, qui le poussera à quitter les bords de la Méditerranée la saison suivante.
22 novembre 2011 : Napoli-Manchester City
25 après sa dernière participation en coupe d’Europe, le Napoli reçoit Manchester City pour la 5ème journée de ligue des champions. Cette saison là, les joueurs de Walter Mazzari sont confrontés au Bayern Munich, à Villareal et City, dans le groupe de la mort. Après 4 journées, les azzuri ont déjà engrangé 5 points, et compte bien sur ce match pour en glaner trois de plus, quasi synonymes de qualification pour les 8èmes de finale. Dans un stade Diego Maradona à guichets fermés, ils sont 58 000 tifosi prêts à sacrifier leur vie pour voir leur équipe battre les Citizens. Ce soir-là, le trio magique Hamzik-Cavani-Lavezzi fait face à Edin Dzeko, Mario Balotelli et Yaya Touré.
Le matador s’illustrera le premier à la 17ème minute, trompant Joe Hart au terme d’un contre éclair, permettant à tout un stade de croire à un exploit inimaginable quelques semaines auparavant. Malgré l’égalisation de Balotelli, le MVP de cette soirée est bien l’attaquant Uruguayen, qui signera un doublé à la 49ème minute, et scellera le sort de la rencontre. Au coup de sifflet final, des centaines de feux d’artifices jaillirent dans le ciel Napolitain. Pour leur première grande victoire européenne à domicile depuis près de 25 ans, les coéquipiers de Pocho Lavezzi se qualifient pour le tour suivant, mettant en lumière une ville qui avait trop souvent goûté à la pénombre
Un désastre gestationnel
A partir des années 90, le stade, à l’instar du club, va connaître les prémices d’une longue série de problèmes gestationnels. L’édifice, possédant des coûts d’exploitation trop onéreux, fait figure de fardeau pour son propriétaire : la commune de Naples.
Dès 1995, la ligue italienne s’alerte sur la vétusté du stade. Les premiers problèmes liés à l’accessibilité ou à la logistique font surface. Dans son cahier des charges, le club signale : des écrans hors d’usage, des murs délabrés, des fils électriques jonchant le sol… Un décor d’urbex dans lequel les joueurs du Napoli s’illustrent depuis presque 60 ans.
Un conflit, en vigueur depuis 30 ans, qui a pris une nouvelle dimension depuis le début des années 2000. En rachetant le SSC Napoli en 2004, le producteur de cinéma Antonio De Laurentiis engage un bras de fer avec la municipalité. Un combat fratricide entre le néo-président et le maire napolitain : Luigi de Magistris commence. L’enceinte, qui a vu sa capacité passer de 76 000 places à seulement 54 000 en 2007, se retrouve au cœur d’un conflit d’intérêt.
Point culminant de cette affaire : le 26 août 2018. Le Napoli SSC achète des pages du quotidien « Il Corriere della Sera » et attaque la municipalité. Dans un manifeste de quelques pages, nommé « De Magistris, un maire inadéquat », le club critique l’état déplorable du stade, menace de délocaliser ses matchs de ligue des champions à Bari, et accuse le maire « d’innombrables dégâts administratifs ». Parmi ceux-ci, la construction onéreuse d’un parking au sous-sol, inutilisé, et des projets de rénovation n’ayant jamais vu le jour.
Quelques jours après, le président napolitain déclarait : « Le Stade San Paolo est un cauchemar, c’est un frein au développement international. Certains joueurs voulaient quitter le Napoli après y être entré pour la première fois. Quand j’ai vu le San Nicola de Bari, je me suis dit que c’est un stade avec un S majuscule ».
Stadio San Paolo… pic.twitter.com/oUfR729ZsG
— Melissa Reddy (@MelissaReddy_) October 2, 2018
Aujourd’hui, l’enceinte est classée « catégorie 3 » par l’UEFA, au même titre qu’Anfield Road notamment, mais encore trop loin de ses voisins espagnols ou même français. La faute à de gros manques en matière de sécurité et de modernité. Bien que des travaux de rénovation aient été effectués pour accueillir l’Universiade en 2019, l’obsolescence de l’enceinte inquiète les autorités. A l’heure où des effondrements de tribunes ont déjà secoué le monde du football, de nombreux observateurs en appellent à l’effort de toutes les parties prenantes afin d’éviter un drame.
Aujourd’hui, Le président De Laurentiis souhaiterait faire construire son propre stade. Une enceinte dont il serait le propriétaire exclusif, dotée d’une identité et de couleurs propres à la ville, très loin de l’esthétique marron mordoré que nous lui connaissons actuellement.
Les tifosi, au cœur du volcan
Dans une ville où de nombreuses disparités économiques et sociales régissent le quotidien, le stade joue un rôle d’exutoire pour nombre d’habitants. Une ferveur extrême qui fait de Napoli une ville à part, une ville dans laquelle on apprend l’histoire de Diego Maradona avant d’apprendre à lacer ses chaussures.
Qu’ils soient touristes, citoyens napolitains, ou observateurs avisés, les différents interrogés ne tarissent pas d’éloges sur la ferveur quasi incomparable de cette ville. Récemment assimilée à Buenos Aires, Marseille et Montevideo par le président de l’OM, Pablo Longoria, Naples respire le football, c’est dans son ADN. Une volonté de supporter plus que 11 joueurs, c’est une ville entière qui joue le 12ème homme.
En 2005, le Napoli est rétrogradé en Série C, le troisième échelon du football italien. Cependant, le stade affichera durant toute la saison une affluence moyenne de 51 000 personnes. Cette ferveur unique, permettra au club de retoucher à l’élite du football italien seulement deux ans plus tard.
Aujourd’hui, les 10 groupes d’ultras napolitains, plus bruyants, fidèles, et nettement plus fous, se partagent la moitié des places du stade, entre les tentaculaires Curve A et B. Malgré un brassage social flagrant dans les tribunes, les ultras ne se mélangent pas, et ce depuis le départ. Crées à partir des années 1970, les groupes de supporters représentent les différents quartiers de la ville. Des « Ultras Napoli » des zones de Fuorigrotta et de la Sanità, aux « Vieux Lions » du quartier de Vomero, chaque entité s’affilie à une zone de Naples. Une tradition voulue, et perpétuée par les plus anciens, soucieux de garder cette identité unique.
Malheureusement, ces dernières années, les tribunes latérales semblent se désemplir. L’affluence moyenne du stade est passée à quelques 30 000 supporters par matchs en Série A. Un chiffre en constante baisse, non pas lié aux résultats sportifs, mais au stade en lui-même, et à la politique tarifaire du club, qui augmente, année après année, de façon significative le prix des abonnements.
Les ultras déplorent aujourd’hui ce manque d’engouement croissant. Les plus anciens se rappellent des matchs à guichets fermés, entassés au sein de tribunes bondés, où un seul but était capable de créer des phénomènes extraordinaires. En témoigne un match de coupe d’Europe entre le Napoli et le Bayern Munich en 1989. Un éclair de génie du D10s et un but de l’avant centre brésilien « Careca » avait permis aux scientifiques de l’université Federico II de Naples de ressentir un mini tremblement de terre dans la zone du stade, causé par les 77 000 spectateurs présents en tribunes ce jour là.
A l’heure où le football est devenu un business très lucratif, à l’heure où les supporters napolitains s’insurgent contre le manque de moyens alloués par le président de Laurentiis, tous suivent le même credo. Les joueurs, les dirigeants, les entraîneurs : tout ceci est éphémère. Ce qui fait du SSC Napoli un club à part, c’est cette ferveur unique, ce sont ces feux d’artifices allumés en pleine ville après un but rageur du capitaine Insigne, ce sont ces milliers de coups de klaxons entendus dans les rues après une victoire contre l’ennemi Turinois.
A Naples, subsistent deux volcans. Le Vésuve surplombe la ville et la protège. Le second, rentre en éruption 2 fois par mois, grâce à la ferveur extrême et incomparable d’une ville qui ne l’est pas moins. C’est aujourd’hui ce dernier qui inquiète le plus les autorités. Danger pour lui même et pour ses spectateurs, il exprime un paradoxe dans lequel se retrouve plongée Naples. Une ville passionnée, devenue obsolète au fils des années par une gestion catastrophique.
Crédit photos : IconSport
Sources :
- Wikipedia – « Stadio Diego Maradona »
- Wikipedia – « Tifoseria della SSC Napoli’
- NSSmag.com – « Lo stadio San Paolo è un problema »
- CalcioMio – « Napoli 87, un titre en 5 dates »
- Témoignages : Giovanni de Vito et Paolo Esposito