Quatre ans après son sacre mondial, l’Angleterre de Sir Alf Ramsey est l’équipe à battre. Le sélectionneur anglais va garder la même ossature. L’immunité acquise en 1966 ne dure pas éternellement. Le pragmatisme de Ramsey va s’essouffler. En 1974, la fédération le remercie. Une aventure de onze ans qui s’achèvera dans la désillusion.
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L’euphorie de Wembley ne dure pas indéfiniment. Le 24 février 1968, les Three Lions se déplacent dans le chaudron d’Hampden Park. Une place pour l’Euro 1968 est en jeu. Les beaux jours sont derrière eux. Les joueurs de Ramsey n’ont pas le droit à l’erreur. Une défaite et ils diront au revoir au championnat d’Europe. La tâche s’annonce difficile. Bobby Charlton redoute un homme : Denis Law. Le Ballon d’Or 1964 croit à la qualification de la Tartan Army. La défaite 3-2 à Wembley en avril 1967 a instillé le doute dans la tête des joueurs. Mais les Anglais se sortent du piège en ramenant un point.
La victoire contre l’Espagne en quart de finale redonne confiance aux Three Lions. Seulement, les blessures de Noby Stiles et Geoff Hurst en amical contre l’Allemagne de l’Ouest, quatre jours avant la demi-finale contre la Yougoslavie, affaiblissent le onze anglais. Le futur Bastiais, Dragan Dzajic, crucifie l’Angleterre à Florence en devançant Bobby Moore dans les airs. Les Three Lions se rattrapent contre l’Union Soviétique pour la troisième place. Pourtant, un vent de changement souffle outre-Manche et une question se pose : vont-ils réussir à conserver leur couronne à l’occasion de la Coupe du monde au Mexique ?
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Quatre défaites en quatre ans. En 1969, l’Angleterre remporte le Tournoi britannique, infligeant un cinglant 4-1 à l’Ecosse. Une revanche et des certitudes avant le Mondial 1970. Les nouveaux venus – Keith Newton, Leigh Cooper et Brian Labone en défense, Allan Mullery au milieu et Francis Lee sur le front de l’attaque – renforcent une ossature déjà très solide. Un mélange de nouveaux et d’anciens qui propulse l’Angleterre dans la courte liste des favoris. « Alf avait vraiment tout prévu avant de se rendre au Mexique », rappelle Noby Stiles. « Aujourd’hui, ses méthodes sembleraient obsolètes, mais à l’époque, elles étaient révolutionnaires. Rien ne lui échappait. »
Pour preuve, le Général anticipe la chaleur du Mexique qui n’a rien avoir avec le climat britannique. Il organise trois matchs en juin 1969. Un nul contre le Mexique, une défaite contre le Brésil et une victoire face à l’Uruguay suffisent à préparer ses troupes. En mai 1970, il amène la sélection sur les hauteurs de Bogotá (Colombie) et de Quito (Équateur). 5 400 mètres d’altitudes pour conclure une préparation aux petits oignons. Après une cure aux capsules de sodium lent, la sélection s’envole vers le Mexique. Rien n’est laissé au hasard. Pas même les maillots conçus spécialement par Umbro pour être plus confortable sous la fournaise estivale.
Installés à Guadalajara, les Anglais ont l’occasion de jouer tout le tournoi dans l’État du Jalisco. Mais pour cela, il faudra terminer premier du groupe devant le Brésil. Sans son emblématique capitaine Bobby Moore ? C’est la crainte qui pèse sur les Boys. Après la victoire en amical contre la Colombie, le défenseur de West Ham est accusé d’avoir volé un bracelet. Il est jeté en prison. Pendant ce temps-là, Ramsey part pour le Mexique avec la sélection. Mais quatre jours après son arrestation, le Hammer est relâché faute de preuves. Il arrive à temps au camp de base des Three Lions pour entamer la conquête d’un deuxième sacre mondial.
Le premier adversaire se nomme la Roumanie. Les Tricolori, emmenés par leur capitaine Mircea Lucescu, retrouvent le Mondial après une dernière apparition en 1938. Le 2 juin à 16h, sous une chaleur de plomb, les Three Lions réussissent leur entrée en matière. A la réception d’un centre, Geoff Hurst crochète son défenseur dans la surface et marque l’unique but de la partie après l’heure de jeu. Mais le match n’aura pas été de tout repos pour les Boys. Sifflés pendant 90 minutes, les Anglais traînent une sale réputation. Les propos acerbes de Ramsey après le quart de finale contre l’Argentine en 1966 – il avait qualifié les Argentins « d’animaux » – sifflent encore dans les oreilles des Mexicains et de l’Amérique du Sud.
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Dans l’autre rencontre du groupe, le Brésil dispose sans trembler de la Tchécoslovaquie. Pour son dernier Mondial, Pelé se mue en chef d’orchestre. Un but et une passe décisive pour le Roi. La Seleção l’emporte 4-1 et fait le plein de confiance avant la finale du groupe contre l’Angleterre. A la veille du choc capital pour la première place, les Boys ont du mal à fermer l’œil. La raison ? Des supporters mexicains chantent devant l’hôtel pour perturber le sommeil des coéquipiers de Charlton.
Et il faudra attendre que les policiers tirent en l’air pour disperser les perturbateurs. Autant dire que les Anglais n’arrivent pas dans les meilleures dispositions. Pourtant, ce sont eux qui se montrent les plus dangereux. A la neuvième minute, le temps s’arrête. Sur un centre venu de la droite, Pelé s’envole dans le ciel de Guadalajara. Il propulse un coup de casque surpuissant. Le ballon rebondit juste devant Gordon Banks. Le portier anglais sort une parade mythique. L’arrêt du siècle.
Vingt minutes plus tard. Francis Lee est seul au point de penalty pour fusiller de la tête le gardien de Fluminense. Pourtant, Felix est impériale pour imiter son homologue de Stoke City. Il faudra attendre un éclair de génie de Tostão pour voir le verrou anglais sauter. En soliste, il réalise un numéro sur son côté gauche, transmet à Pelé qui ouvre le chemin du but à Jairzinho. Le numéro 7 envoie un missile. Banks ne peut rien faire. Le score restera inchangé.
« Nous avions une carte dans notre manche : les supporters mexicains pro-Brésil. On avait l’impression de jouer à domicile. C’était fabuleux. » Pelé à propos du match contre l’Angleterre.
Après le match, Alf Ramsey minimise la performance brésilienne. Il pense que ses joueurs ont mieux joué même si le score ne lui donne pas raison. « La meilleure équipe n’a pas gagné aujourd’hui. Le Brésil a été très bon dans l’ensemble du match, déclare le sélectionneur. Ils ont converti une bonne occase, là précisément où nous avons échoué. »
Les Anglais assurent leur qualification face aux Tchécoslovaques grâce à un penalty de Allan Clarke. Aucun but encaissé et une défense de fer. En attaque, le bilan est famélique. Deux buts, dont un sur péno. C’est mince avant de défier l’Allemagne de l’Ouest en quart de finale. Un choc aux allures de revanche. Le 14 juin, l’Angleterre enfile sa tunique rouge. Dans le onze, un homme manque. Le numéro 1 de Gordon Banks. La muraille de Stoke n’est pas dans les cages. Au cours des cinq heures de trajet en bus de Guadalajara à Léon, le portier a attrapé la tourista. Forfait, il laisse sa place à Peter Bonetti, le gardien de Chelsea.
Les deux sélections livrent un affrontement de légende en mondovision. Sous une chaleur écrasante, les Anglais réveillent les démons de Wembley 1966 chez les Allemands. Deux buts en trente minutes de Allan Mullery et Martin Peters et les Three Lions ont un pied dans le dernier carré. Du côté de la Nationalmannschaft, les frappes de loin de Franz Beckenbauer ne trouvent pas le cadre. Seulement, à la 68e minute, le Kaizer perfore la défense et marque d’une frappe croisé qui passe sous le bras de Bonetti. Les Allemands croient à un retour. Ramsey n’est pas du même avis. Comme contre la Roumanie et la Tchécoslovaquie, il sort dans la foulée son métronome Bobby Charlton pour Colin Bell. Il reste trente minutes à jouer, mais le Général pense déjà à la demi-finale. En voulant préserver la star de Manchester United, le sélectionneur fait basculer le match.
Trop brouillon devant le but de Sepp Maier, les Boys se font surprendre par Uwe Seeler. Dos au but, il marque de la tête en profitant d’un mauvais placement du gardien de Chelsea. 2-2 balle au centre à la 76e minute. La rentrée de Norman Hunter quelques minutes plus tard ne change rien. Le coaching de Ramsey est inefficace. Lessivés en prolongations, les Anglais abdiquent quand Gerd Müller – huit buts en quatre matchs – donne l’avantage à son pays. Les hommes de Helmut Schön garent le bus. Les tentatives désespérées des Anglais ne trouvent pas le cadre et les tenants du titre disent adieu au rêve de doublé. Il ne rééditeront pas l’exploit de conserver leur titre comme l’avaient fait l’Italie et le Brésil avant eux. Quarante ans plus tard, Charlton confiera toute son amertume sur sa sortie prématurée : « Mon remplacement en quarts de finale contre l’Allemagne à 20 minutes de la fin ? Alf Ramsey a peut-être commis une erreur. » L’excès de confiance de Ramsey a pesé tout comme la mauvaise performance de Peter Bonetti.
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Les lendemains sont difficiles pour l’Angleterre. Les choix de Ramsey sont remis en question alors que Bobby Charlton tire sa révérence avec le maillot des Three Lions. Le manque d’animation offensive, malgré l’apport intéressant des latéraux pendant le Mondial interroge. Le style de jeu de Ramsey, serait-il dépassé dans un football anglais en pleine mutation, dans lequel les clubs prennent de plus en plus de place ? La domination européenne des clubs outre-Manche – C1 pour Manchester United en 1968, Leeds, Newcastle et Arsenal soulève la Coupe des villes de foires (C3) entre 1968 et 1971 – sonne l’avènement d’une nouvelle ère. La sélection passe au second plan et le conservatisme de Ramsey ne fait pas l’unanimité.
En quart de finale de l’Euro 1972, l’Allemagne de l’Ouest se dresse à nouveau face aux hommes de Ramsey. Les Anglais sont dépassés en témoigne la passe raté de Bobby Moore dans sa surface qui permet à Uli Hoeness d’inscrire le premier but de la partie. Günter Netzer et Gerd Müller l’imiteront pour s’imposer 3-1. Impuissants au retour, les Anglais se font encore éliminer par les coéquipiers de Beckenbauer. « Ce type de football, prudent et sans joie, était à peine supportable même quand il ramenait des victoires », écrit le journaliste Hugh McIlvanney.
Un an plus tard, l’Angleterre joue sa qualification pour le Mondial 1974 contre la Pologne. Le 17 octobre 1973, 100 000 spectateurs assistent à un drame. Mal embarqués dans une campagne de qualification aux côtés du pays de Galles et de la Pologne, les Three Lions doivent gagner leur dernier match. Battus trois mois plus tôt par les Biało-czerwoni, 2-0, les Boys sont au bord de l’élimination. Beaucoup de choses ont changé depuis le sacre mondial. Seuls deux joueurs du titre de 1966 sont encore présents : Alan Ball et Bobby Moore.
Ce 17 octobre marque la fin du règne de Alf Ramsey. La Pologne arrache le nul sur la pelouse de Wembley. Un traumatisme pour une nation comme l’Angleterre. Au bord du terrain, les reproches se dirigent inévitablement vers le sélectionneur. Malgré la défaite en Pologne, il va aligner le même onze de départ. Et comme au Mexique, c’est encore une histoire de changement. Furieux contre son coach, Moore va protester en deuxième période pour demander un remplacement qui n’arrivera qu’à la 88e minute. Trop tard pour renverser le match.
Six mois après cette débâcle, Sir Alf Ramsey est remercié. Nous sommes en mars 1974, moins de huit ans après l’apothéose de Wembley. Son retour sur les bancs à Birmingham et au Panathinaïkos seront sans succès. Parti vivre dans la ville de ses premières victoires à Ispwich, il décède le 28 avril 1999 d’une crise cardiaque. Malgré les critiques lors de la deuxième partie de son aventure avec les Three Lions, il reste l’un des plus grands sélectionneurs anglais. Le seul qui a soulevé une Coupe du monde.
Sources :
- Chérif Ghemmour, Mondial 1970 : Et l’Angleterre perdit sa couronne, So Foot, le 29 juillet 2020.
- Alexandre Doskov, La dernière promenade anglaise de Bobby Charlton, So Foot, le 29 avril 2016.
- FIFA.com, Ramsey, le général anglais a conquis le monde, le 28 avril 2021.
- Brian Penn, How a talented England failed to qualify for the 1974 World Cup, These Football Times, le 13 février 2020.
- Jonathan Wilson, La Pyramide Inversée, Hachette Editions, 2018.
Crédit images : Icon Sport