Si l’on demande aux passionnés de football de citer les plus grands attaquants italiens de l’histoire, plusieurs noms reviendraient sans doute vite en mémoire : Paolo Rossi ? Francesco Totti ? Roberto Baggio ? Mais qui se souvient encore de Silvio Piola, cet attaquant des années 1930 ? Avec le titre de champion du monde 1938 et plus de 300 buts en carrière, il est pourtant le meilleur buteur italien de tous les temps et l’une des premières véritables stars du football.
« L’enfant chéri du calcio ». Tel était l’un des surnoms qui a collé à la peau de l’avant-centre italien Silvio Piola durant toute sa carrière. Une carrière sensationnelle, marquée par de grandes victoires, des buts à la pelle et, surtout, une formidable longévité. Le parcours professionnel de Piola débute effectivement dès 1930. Il a alors tout juste 17 ans. Il ne raccrochera ses crampons qu’à 41 ans, en 1954.
Le petit Silvio est un enfant du nord de l’Italie. Né le 29 septembre 1913 près de Pavie, en Lombardie, il a un frère aîné, Serafino. Ses parents sont tous deux marchands de tissus dans le Piémont, à Vercelli (Verceil en français), entre Milan et Turin. C’est donc tout naturellement que la famille Piola y emménage l’année suivante.
Et c’est très logiquement aussi que Silvio Piola débute ses vingt-quatre saisons au plus haut niveau dans le club de la ville : Pro Vercelli. Inconnu aujourd’hui du grand public, c’est pourtant l’un des plus grands clubs italiens de l’histoire. En 1930, les Bianche Casacche évoluent d’ailleurs toujours en Série A. Dans l’armoire à trophée du club, 7 titres de champions d’Italie viennent rappeler un prestigieux passé, qui est plutôt récent pour Silvio Piola. En effet, les deux derniers titres de la Pro Vercelli datent de 1921 et 1922.
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Silvio Piola deviendra vite la dernière grande star de la Pro Vercelli. Très rapidement, c’est sa précocité qui frappe les esprits. Tout comme sa carrure athlétique (1,80 m pour 78 kg), sa sûreté balle au pied, sa puissance et son adresse devant le but. Pour sa première saison en tant que professionnel, le gamin Piola claque 13 buts en 32 matchs. Ils ne seront que les premiers d’une vertigineuse série.
Silvio Piola : le premier avant-centre moderne de l’histoire
En réalité, Piola a tout : l’agilité technique pour dribbler aisément ses défenseurs, la vision du jeu pour se lancer dans les bons espaces au moment opportun, la capacité à s’imposer dans les airs ou encore une frappe sèche qui est redoutable. Sans oublier le fait que Piola n’a peur de rien. Ni de personne. Batailleur, il se laissera parfois aller, durant sa carrière, à des actes plutôt limites au niveau de la sportivité, caractéristique qui fait la renommée du football italien depuis toujours.
Reste que ses qualités sautent immédiatement aux yeux. En quatre saisons, de 1930 à 1934, Piola empile 51 buts pour la Pro Vercelli. C’est sous la légendaire tunique blanche du club qu’il connaît d’ailleurs sa première sélection en équipe d’Italie, en 1935.
Puis, c’est le grand saut : la Lazio s’attache les services de celui qui est alors l’un des plus grands espoirs du football transalpin. Piola est acheté par le club romain pour 250 000 lires : une somme conséquente pour l’époque.
La Lazio sera pour Piola « l’amour de sa vie ». C’est en effet dans les rangs biancocelesti qu’il vivra l’une des périodes les plus fastes de sa vie de footballeur. À deux reprises, il termine la saison capocannoniere, c’est-à-dire meilleur buteur du championnat, en 1937 puis 1943, à chaque fois avec 21 buts. S’il ne réussit jamais à remporter la Serie A, il mène la Lazio à la deuxième place en 1937. La même année, le club de la capitale se hisse jusqu’à la finale de la Coupe Mitropa, pour une défaite contre les Hongrois de Ferencvaros. Sous la tunique des « aigles », il marque au total 159 réalisations. Il sera, pendant 78 ans, le meilleur buteur de l’histoire laziale, avant d’être détrôné en 2021 par Ciro Immobile.
Premier avant-centre véritablement moderne de l’histoire, Silvio Piola devient pendant cette période une vraie star adulée des tifosi et jouissant d’une énorme popularité. Popularité qui n’est pas étrangère à sa monstrueuse efficacité dont va également profiter l’équipe d’Italie.
La consécration de la Coupe du Monde 1938
Silvio Piola devient donc international en 1935, quelques mois après le premier sacre mondial de la Squadra Azzurra à domicile, lors de la Coupe du Monde 1934. Au Prater de Vienne, l’Italie affronte l’une des meilleures équipes de la planète. L’Autriche de l’exceptionnel milieu Matthias Sindelar est à l’époque la Wunderteam, « l’équipe merveilleuse ». Et pourtant, c’est l’Italie qui l’emporte (2-0). Pour sa première cape, Piola marque les deux buts de son équipe. Pas mal pour un bleu.
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Au total sous la tunique azure italienne, Piola empile 30 buts en 34 sélections de 1935 à 1952. Soit un ratio sensationnel de presque 1 but par match. Jamais aucun attaquant italien n’a fait mieux depuis.
Piola ne met donc pas longtemps pour s’imposer à la pointe de l’attaque des champions du monde. Pendant 17 ans, il s’y distingue grâce à sa robustesse physique, son explosivité, son immense qualité dans la finition… et sa ruse. Par exemple, en 1939 lors d’un amical contre l’Angleterre, il marque un but resté célèbre… de la main. Comme un Maradona avant l’heure. Mais ses prestations les plus légendaires, il les a réalisées à l’été 1938, lors de la Coupe du Monde en France.
En tant que tenante du titre, la Squadra Azzurra s’y présente comme favorite. À sa tête, un stratège de légende : Vittorio Pozzo. Déjà sur le banc en 1934, il a enchaîné en 1936 en remportant les Jeux Olympiques avec l’équipe nationale. La compétition débute pour l’Italie par un huitième de finale face à la Norvège. Les coéquipiers du mythique capitaine Giuseppe Meazza en sont les grandissimes favoris. Ils ouvrent d’ailleurs le score après deux petites minutes. Toutefois, le reste de la partie se révèle bien plus compliqué que prévu puisque les Scandinaves assiègent complètement le but transalpin, avant de finir par égaliser à la 85e minute. Les champions sont poussés en prolongations. Silvio Piola revêt alors la tunique du sauveur puisque c’est lui qui qualifie les siens pour les quarts (2-1).
Le buteur romain fera encore mieux lors du tour suivant. À Colombes, face à l’équipe de France à domicile et à presque 59 000 spectateurs, l’Italie bute sur les Bleus à la mi-temps (1-1). Piola prend alors les choses en main au retour des vestiaires. D’une frappe à ras de terre puis d’une tête imparable, il réussit un doublé qui offre la victoire aux siens (3-1). En demi-finale, les Italiens retrouvent le Brésil. Alors que l’Italie ne mène qu’1 à 0 et que le sort du match est encore incertain, c’est Piola qui parvient, avec roublardise, à obtenir un pénalty que transforme Meazza. La réduction de l’écart auriverde n’y change rien : 2-1, les Italiens se retrouvent de nouveau en finale.
Pour ce dernier acte, c’est la Hongrie qui se dresse face à l’Italie. Cette dernière ne laisse d’ailleurs aucune chance à son adversaire. À la baguette, Vittorio Pozzo a mis en place une équipe extrêmement solide. Dans les buts, le gardien Olivieri assure. Au milieu, Ferrari et Meazza règnent en maître. Mais le joueur de cette finale n’est autre que Silvio Piola. Actif, mobile, rapide, puissant, il pèse de tout son poids sur la défense magyare. Prend sa chance à chaque occasion. Frappe dans toutes les situations. Un véritable poison qui inscrit un nouveau doublé pour permettre à l’Italie de s’offrir une deuxième couronne mondiale consécutive (4-2). Silvio Piola a 25 ans. Avec cinq buts en quatre matchs et un titre de champion du monde, il s’impose comme le meilleur attaquant de la planète.
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Un joueur face à la grande histoire mais auteur de multiples records
Silvio Piola a 25 ans et, encore, toute sa carrière devant lui. Mais, comme de nombreux autres joueurs de sa génération et des suivantes, il va se heurter de plein fouet aux tourments de l’Histoire. Quels auraient été le palmarès et le prestige de ce joueur d’exception si la Seconde Guerre mondiale n’avait pas éclaté en 1939 ? Si elle n’avait pas ravagé l’Europe jusqu’en 1945 ? Personne ne peut avoir de réponse à ces questions évidemment. Mais il y a fort à parier que si Piola avait joué à une autre époque, dans un autre contexte, sa renommée parmi les étoiles du football aurait été bien plus éclatante.
Reste que, pendant cette période, Piola continue de jouer sous les couleurs de la Lazio et d’empiler les buts. Il va aussi multiplier les records qui expliquent pourquoi sa marque est indélébile dans le football italien.
Déjà en 1933, sous les couleurs de la Pro Vercelli, il était entré dans l’histoire du calcio. À 20 ans seulement, il était devenu le premier joueur à inscrire 6 buts en un seul match ! Une performance qui ne sera ensuite égalée qu’une seule fois, par Omar Sivori en 1961. Alors meilleur buteur de l’histoire de la Lazio, il quitte le club en 1943 pour rejoindre Turin. En cette période trouble où l’Italie est coupée en deux après l’armistice de septembre 1943, il joue pour le Torino où il marque 27 buts en 23 matchs, avant de filer à la Juventus. Mais beaucoup de ses matchs et buts de cette époque ne sont pas homologués car le championnat mis en place à ce moment n’a pas été reconnu officiellement.
C’est peut-être pour cela que les statistiques officielles concernant Silvio Piola divergent selon les sources. Pour certains, il a marqué au total 274 buts dans le calcio. Pour d’autres, 306 buts. Enfin, d’après des dernières sources, ce chiffre grimpe même à 364 réalisations. Le nombre exact de ses buts est donc incertain. Mais ce qui l’est beaucoup moins, c’est que Silvio Piola est bel et bien l’attaquant le plus prolifique de l’histoire du championnat italien.
Après son passage à la Juve où il frôle le titre à deux reprises (en 1946 et 1947), il part terminer sa carrière à Novara, en Serie B. Dès sa première saison, il aide à faire remonter le club en Serie A. C’est sous la tunique des Azzurri de Novara qu’il écrit les dernières lignes de sa carrière de légende. En sept saisons, il marque 70 buts et ses performances lui permettent d’être rappelé une ultime fois sous les couleurs de la Squadra Azzurra. C’est Giuseppe Meazza, devenu sélectionneur, qui lui offre sa 34e et dernière cape. Il devient alors le joueur le plus âgé à porter le maillot de la Nazionale, record qui ne sera battu que par Dino Zoff quelques décennies plus tard.
Dans le championnat, Piola s’empare d’un dernier record à quelques mois de la fin de sa carrière professionnelle. Lors d’un Novara-Milan en février 1954 il devient, à plus de 40 ans, le plus vieux buteur de l’histoire de la Serie A. Record qui tiendra 53 ans jusqu’à un but d’Alessandro Costacurta en 2007, à 41 ans.
Finalement, rares sont les joueurs qui, comme Silvio Piola, ont autant marqué le jeu. Premier attaquant moderne de l’histoire, meilleur réalisateur du calcio et troisième meilleur buteur de l’équipe d’Italie (avec le meilleur ratio), il est sans conteste le meilleur avant-centre transalpin de tous les temps. Après sa carrière, il devient brièvement sélectionneur de l’Italie. Atteint de la maladie d’Alzheimer, il décède en 1996. « L’enfant chéri du calcio » avait 83 ans.
Sources :
- Marco Impiglia, « Silvio Piola », Dictionnaire biographique des Italiens – Volume 84
- « Silvio Piola », football-the-story.com
- Fabio Bianchi, « Merci mon fils je ne l’oublierai pas », archives historiques de la GazzettaDelloSport.it
- Morgane Huguen, « OM-Lazio. Ciro Immobile devient le meilleur buteur de l’histoire de la Lazio », Ouest-france.fr
- Fiche statistique de Silvio Piola, lequipe.fr
- Olivier Margot (sous la direction de), L’Equipe, la Coupe du Monde 1930-1970 (Livre I), édité par l’Equipe, 1997.
- Gérard Ejnès et Pierre-Marie Descamps, 100 rois pour un siècle, Editions Solar, 1999.
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