Jusqu’en 1996, les jeunes français étaient tenus au service militaire obligatoire. Tous ? Tous, footballeurs inclus. Tenus à un peu de vie militaire, certes bien allégée, les footballeurs faisaient aussi un geste patriotique en garnissant pendant cette période les rangs de l’équipe de France militaire. Jusqu’à un sacre de champions du monde en 1995 avec un coach nommé Roger Lemerre.
« Si tu avais fait l’armée… » Si cette phrase vaut souvent aujourd’hui à son auteur un « Ok boomer !! », elle fait référence à un passage longtemps obligatoire de la vie des hommes français pendant des décennies : le service militaire. Si pour la majorité, le service national laisse un souvenir de quelques rigolades et de beaucoup de souffrances physiques, pour les sportifs de haut niveau il rime surtout avec difficulté à s’entraîner et saison amputée. A un âge où les joueurs sont souvent en train de percer en pro, il était impensable de sacrifier une saison entière pour aller crapahuter en treillis. Fût donc créé après-guerre le bataillon de Joinville. Régiment localisé en région parisienne dont le but était d’inculquer quelques notions de vie militaire à ces sportifs de haut niveau, pas seulement les footballeurs d’ailleurs, supposés se plier au service obligatoire tout en leur permettant de s’entraîner à peu près normalement.
En fait le bataillon de Joinville, pour les footballeurs, c’est juste une sorte d’INF Clairefontaine vécu à vingt ans. La scolarité et la rigueur en moins. « À la caserne, à part la levée du drapeau le matin à 6h30, on n’avait aucune contrainte racontera dans une interview à So Foot l’ancien guimgampais Claude Michel. On s’entraînait de 10h à 11h30, on allait manger, on faisait la sieste dans nos piaules et on retournait à l’entraînement l’après-midi. Et après ça, on faisait ce qu’on voulait. Si on voulait se barrer, on pouvait. On allait souvent bouffer à Paris et on n’était même pas obligés de dormir à la caserne. » La souplesse autorisée aux sportifs de haut niveau, comparée à la rigueur imposée au bidasse moyen, vaudra d’ailleurs au bataillon de Joinville un surnom caustique chez les militaires de carrière : le club méditérarmée.
La contrepartie de ces conditions, disons allégées, était donc de jouer sous les couleurs de l’équipe de France militaire dans des compétitions spécifiques. Equipe de France entraînée dans les années 90 par un certain Roger Lemerre, à l’époque peu connu du grand public, qui après avoir entrainé dans divers clubs de D1 et D2 dans les années 70 et 80, a intégré la direction technique nationale après un passage à l’espérance de Tunis. Un coach capable de plaisanter et de manier l’emphase en causerie, mais avec qui il n’est pas question de plaisanter pendant les entraînements. Par ailleurs, si le sélectionneur est, statutairement, issu de la direction technique nationale, son staff est composé de militaires, notamment l’adjudant-chef Claude Baron, qui devait parfois composer avec la fantaisie de conscrits un peu particuliers : « On s’en foutait de marcher au pas, mais lui, il avait une vraie pression par rapport au colonel Diaz, le colonel de la caserne, qui était hyper carré. Des fois, quand on passait devant Diaz, on devait décliner notre matricule, mais comme on avait quelques rigolos dans le groupe, Ipoua, Eloi, ils racontaient des conneries et ça mettait une pression terrible sur Claude! » raconte encore, en riant, Claude Michel.
C’est ainsi qu’en 1995, une bande de footballeurs pros part donc pour Rome avec l’espoir de ramener un sacre mondial, fusse-t-il légèrement anecdotique, au foot Français. Paradoxalement, c’est à ce moment-là où ils vont surtout devoir justifier de leurs talents balle au pied plus que de leur statut de soldat qu’ils vont véritablement vivre le côté spartiate de l’armée. Logés dans une énorme caserne accueillant l’école d’infanterie de l’armée italienne, les footballeurs découvrent les lits grinçants, les dortoirs interminables et la nourriture pas franchement appétissante. « On passait d’un statut de privilégié à quelque chose plus militaire » racontera Olivier Dacourt, autre membre de l’épopée. « On a pensé qu’on ne tiendrait pas quinze jours, les conditions d’hygiène étaient à peine supportables. Puis, la vie s’est organisée. Dans le village, on a déniché une petite pizzeria. Pizzas, pâtes, à la fin on y prenait presque notre petit-déjeuner » narre le guimgampais Michel.
Surtout, en débarquant en Italie, l’équipe de France ne sait pas trop où se situer. Dans les pays de football pro, les effectifs sont majoritairement composés de joueurs en train d’effectuer leur service, comme les Français ou les Italiens, qui comptaient Alessandro Del Piero dans leurs rangs cette année-là. Mais dans les pays vivant sous le joug de régimes plus ou moins autoritaires, les joueurs de haut niveau ont souvent des statuts de militaire à plein temps, et les équipes nationales militaires sont de fait des équipes nationales A bis. Telle la sélection iranienne dont une bonne partie des joueurs sera de l’épopée au mondial 98 trois ans plus tard. Sans compter que ces sélections comptent des joueurs d’expérience quand la totalité des joueurs français auraient encore l’âge de jouer en espoirs, voire en moins de vingt ans.
La compétition démarre sur de mauvaises bases avec une défaite 2-1 face à l’Iran et un nul 3-3 contre les sud-coréens. Ne pouvant plus viser qu’une place de meilleur troisième au goal-average, la France est au bord du gouffre et a besoin d’une victoire par sept buts d’écart pour voir les quarts de finale. Le salut viendra d’une victoire 9-0 face aux canadiens au terme d’un match où tout le monde se rua à l’attaque. « Je ne suis même pas sûr qu’on ait joué à trois derrière » racontera l’attaquant Wagneau Eloi qui fut ensuite double champion de France et international…haïtien.
La suite se solde par une victoire 2-1 en quart de finale contre l’Egypte obtenue au but en or testé pour la première fois par la FIFA lors de cette compétition. Puis c’est Chypre, tombeur des favoris italiens en quart, qui cède 2-0 face aux bleus en demie.
Paradoxalement, alors que la possible élimination au premier tour n’a pas suscité de craintes particulières, les joueurs sentent monter sur eux une grosse pression de la hiérarchie militaire dans les matchs à élimination directe et avant la finale. Pour le Colonel Diaz il en va de l’honneur de l’armée française. De nombreux officiers commenceront d’ailleurs à garnir les tribunes à partir des demies.
La finale se disputera au stade olympique de Rome devant une dizaine de milliers de spectateurs. Affluence honorable pour une compétition secondaire mais qui donne une énorme impression de vide dans un stade aussi imposant.
La France finit le tournoi face à l’adversaire contre qui elle l’avait commencé : l’Iran. Un match sans véritable intérêt conclut par un but de la tête du niçois (et futur international camerounais) Samuel Ipoua. Mais l’essentiel est au bout, les bleus sont champions du monde. Le cinquième titre français dans la compétition après 1948, 1949, 1957 et 1964. Le dernier à ce jour.
« J’ai frissonné au coup de sifflet final, racontera Vikash Dhorasoo lui aussi membre de l’épopée. Même s’il convient de relativiser la portée de l’événement, c’est formidable de décrocher un titre mondial à notre âge ! »
Après la compétition, la fête ne sera pourtant pas de mise. Si les joueurs restés sur place pourront rencontrer le pape Jean-Paul II en audience collective au Vatican et seront honorés par Guy Drut et Charles Milon (respectivement ministres des sports et de la défense à l’époque) à leur retour dans l’hexagone, certains ne feront pas la fête longtemps. Claude Michel doit ainsi monter dès l’après-match dans un avion privé affrété par Noël Le Graet (à l’époque président de l’En avant) pour un Guimgamp-Nantes en championnat prévu dès le lendemain. Hervé Alicarte et Jean-Christophe Rouvière sont sommés de regagner Montpellier immédiatement pour les mêmes raisons et sont « récupérés » par le directeur sportif Michel Mézy dans les couloirs du stade. « J’ai fêté le titre seul dans l’avion. On était trois avec le pilote et le copilote » racontera Coco Michel.
Aujourd’hui, du fait de la fin de la conscription obligatoire, l’équipe de France militaire ne sélectionne que des militaires de carrière jouant pour la plupart en national 2 ou en national 3 et son staff n’est plus sous les ordres d’un entraîneur pro ce qui a eu une influence sur ses performances. Les grognards de 1995 attendent toujours leurs successeurs 25 ans après.