À l’issue de la saison 1962-1963, l’AS Saint-Etienne et le FC Nantes accèdent à la première division. D’un côté, Saint-Etienne, déjà champion de France en 1957, vainqueur de la Coupe de France en 1962 ne vient pas jouer les seconds rôles. De l’autre, le FC Nantes découvre la Division 1. On ne s’en doute pas, et pourtant, ces deux clubs vont remporter quinze des vingt titres mis en jeu entre 1964 et 1983. Pendant vingt ans, la rivalité Nantes – Saint-Etienne va rythmer le championnat de France.
Deux villes, deux ambiances
Difficile de parler de derby entre ces deux villes distantes de 500 kilomètres, même si, il est vrai, le terme de derby a souvent été galvaudé afin d’exacerber un antagonisme. Ce qui est marquant ici, c’est la proximité et les contrastes qui existent entre les deux villes. Et surtout ce point commun, le foot comme marqueur d’identité et de fierté locale. Car, en 1963, Saint-Etienne, ville ouvrière par excellence, commence à connaître de nombreuses difficultés. Les années 1960 marquent le début de la désindustrialisation, le début de la reconversion pour des villes dont l’identité ouvrière était un facteur important de fierté. Loin des mondanités lyonnaises, les Stéphanois cultivent, à raison, cette différence et l’identité ouvrière de Saint-Etienne va se prolonger à travers le football et offrir à la ville une dimension à laquelle elle n’aurait jamais pu prétendre autrement. Un antagonisme cultivé par l’iconique président stéphanois Roger Rocher qui déclare : “En matière de football, Lyon sera toujours la banlieue de Saint-Etienne”.
Nantes, moins ouvrière, connaît des difficultés similaires, les années 1960 annoncent le début du déclin des chantiers navals notamment. Nantes n’est alors plus un port et la perte de cette identité maritime semble plonger la ville dans une douce léthargie à l’instar de sa rivale historique, Bordeaux.
Deux villes en perte de vitesse que le football va empêcher de basculer dans l’anonymat. Comme historiquement ou culturellement, footballistiquement, les deux villes se distinguent et se rejoignent. Les deux clubs atteignent les sommets grâce à leur formation, à la confiance qu’ils accordent aux jeunes. Le FC Nantes sera d’ailleurs le premier club de France à mettre en place un centre de formation à proprement parler. Cette capacité d’innovation fait la force du club qui sera aussi le premier à se doter d’un directeur sportif en la personne de Robert Budzynski en 1970. Enfin, José Arribas, entraîneur iconique des Canaris de 1960 à 1976, va développer une approche singulière du football, une approche offensive, spectaculaire et profondément collective à une période où l’on préfère mettre en valeur l’individu. Pour sa part, Saint-Etienne s’appuie aussi sur des joueurs du cru formés et fidèles au club, mais est réputée être une équipe plus “physique” que le FC Nantes. Magie de l’époque pré-Bosman, les clubs formateurs dominent leurs championnats.
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Les stades des deux clubs, enfin, participent pleinement à cette rivalité mythique. Marcel-Saupin (stade Malakoff jusqu’en 1963), stade à l’anglaise par excellence, situé entre le Canal Saint-Félix et la Loire est une forteresse réputée imprenable, mais n’égale pas la ferveur du stade Geoffroy-Guichard. Toutes les équipes du championnat de France craignent de se rendre à Saint-Etienne, bien renseignées sur l’ambiance explosive qui les attend. Malgré cela, le FC Nantes réussit régulièrement à l’emporter au Chaudron, alors que les Stéphanois ne connaîtront qu’une seule fois la victoire à Marcel-Saupin en D1, en 1964. Sur ces vingt années de rivalité, Nantes et Saint-Etienne offrent l’un des plus beaux antagonismes du football français. La confrontation des deux équipes devient incontournable et la pression monte plusieurs semaines avant la rencontre, chaque année cette double confrontation est déterminante. Maxime Bossis déclare d’ailleurs à ce sujet que “c’étaient les deux matchs de l’année.”.
Saint-Etienne – Nantes, destins liés
La rivalité entre les deux clubs se crée et se renforce au fur et à mesure que les deux clubs trustent le haut du classement. Et cela ne tarde pas. Fraîchement promu, l’ASSE remporte le championnat en 1964 tandis que pour sa première saison dans l’élite le club ligérien assure le maintien. Les deux championnats suivants sont remportés par les Canaris qui séduisent alors la France avec leur jeu à la Nantaise. José Arribas, illustre inconnu jusque-là, se fait remarquer pour ses principes forts et son approche inédite. Une approche qui repose sur le mouvement permanent, l’offensive permanente et surtout la glorification du collectif. On peut même parler d’une reconceptualisation de la passe chez Arribas qui fait de ce geste technique le cœur de sa théorie. Les Nantais affirment leurs ambitions et deviennent seulement le deuxième club à remporter le championnat deux fois de suite après l’OGC Nice. De leur côté, les Verts ont enchaîné deux saisons bien loin de leurs ambitions et craignent de se faire voler la vedette par la nouveau club à la mode.
Lors de la saison 1966-1967, les deux clubs sont au coude-à-coude et le FC Nantes est en course pour réaliser un triplé historique. Les Canaris ramènent même un point de Geoffroy-Guichard grâce à un but dans les dernières minutes, corrigent les Stéphanois à la maison, mais craquent lors des trois dernières journées et se font griller la politesse. C’est finalement Saint Etienne qui réussit le triplé puis le quadruplé en 1970 emmené par ses cadres Robert Herbin, Rachid Mekhloufi, Salif Keita et sa jeunesse dorée (Larqué, Revelli, Bereta). L’hégémonie stéphanoise prend forme et les Verts réalisent deux fois le doublé Coupe-championnat en 1968 et 1970. Un doublé jamais réalisé par le FC Nantes qui échoue en 1966 en finale de Coupe de France contre le RC Strasbourg. Absents du podium depuis trois ans, les Nantais sont à la relance alors que la génération de la montée fatigue et que le club est en pleine mutation avec notamment l’arrivée du président Louis Fonteneau en 1969. Lors de la finale 1970, l’opposition nantaise semble même être en voie de disparition. Un match qui voit les Verts l’emporter 5-0, une rouste historique en finale de Coupe de France. Pire, le FC Nantes se fait contester sa place de concurrent officiel de l’ASSE au profit de l’Olympique de Marseille. Une véritable tension naît entre Olympiens et Stéphanois, les premiers mettent fin au règne des Verts et se permettent même de signer la vedette stéphanoise, Salif Keita.
Le FC Nantes n’a pourtant pas dit son dernier mot et grâce au travail du président Fonteneau Nantes ne tarde pas à revenir sur le devant de la scène nationale. Une nouvelle génération, emmenée par le charismatique Henri Michel, émerge. Bertrand-Demanes, Amisse, Rampillon ou Rio rafraîchissent l’effectif nantais tout en conservant les préceptes du jeu à la Nantaise. Les recrues argentines Hugo Bargas et Angel Marcos s’illustrent aussi rapidement. En 1973, les Canaris mettent fin à l’interlude marseillais et Henri Michel, arrivé en 1966 sur les bords de l’Erdre, remporte son premier championnat de France. Mais l’année qui suit, l’ogre stéphanois frappe encore et réalise le doublé Coupe-championnat avec une facilité insolente, porté par les frères Revelli.
Comme un bras d’honneur au club de l’Ouest qui court encore après sa première Coupe de France. Car en 1973, le FCN y a encore cru. Durant cette édition, les deux clubs se retrouvent en quart de finale, Saint-Etienne l’emporte 2-0 à Geoffroy-Guichard avant de céder 5-1 à Saupin après prolongations. Insuffisant pour les Nantais qui échoueront en finale contre l’Olympique lyonnais. Des scores fleuves qui alimentent le chambrage entre les deux équipes comme lors de ce 5-1 ou Jean-Michel Larqué se rappelle que “A la fin du match, Didier Couécou avait parcouru la moitié du terrain, du rond central jusqu’à l’entrée des vestiaires, sur les genoux, se souvient Jean-Michel Larqué. C’était sûrement un pari, comme ça pour s’amuser.”. Chambrage auquel contribuent les tribunes de Geoffroy-Guichard desquelles descend un chant original “Cui, cui, cui les canaris sont cuits”.
La conquête des cœurs
Encore une fois, la D1 subit la loi stéphanoise pendant trois saisons et en plus d’un nouveau triplé national, les Verts font rêver la France en réalisant les plus belles performances en coupe d’Europe depuis le Stade de Reims. Les Stéphanois flattent l’ego d’une nation qui digère mal l’absence de club français au palmarès des coupes d’Europe. Les parcours mythiques et dramatiques en C1 de 1975 et 1976 font chavirer la France. Alors que les Verts possèdent déjà le plus grand palmarès de France, ils conquièrent définitivement les cœurs grâce à des matchs comme contre le Hajduk Split où les Stéphanois écartent le club yougoslave malgré une défaite 4-1 à l’aller. Panache, combativité, travail, succès, autant de mots qui caractérisent l’ASSE de l’époque et séduisent la France de la fin des Trente Glorieuses. Sainté passe même proche de l’exploit en 1976 face à l’invincible Bayern Munich de Beckenbauer. Mais malgré la défaite, les Verts ont conquis les cœurs et sont fêtés en héros à leur retour en France, s’offrant même une visite à l’Elysée et une parade sur les Champs, drôles de perdants.
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Louis Fonteneau, las de la domination et de la popularité stéphanoise, engage Jean Vincent en remplacement d’Arribas. Le FC Nantes de Maxime Bossis renoue avec le succès national sans renier ses principes. Le club breton distance les Verts de quatorze points au classement et corrigent l’ASSE avec un 3-0 à Saupin en guise de passation de pouvoir. Passation toute relative cependant puisque les Verts remportent tout de même la Coupe de France qui manque tant aux Canaris. Entre 1976 et 1983, le FC Nantes connaît la plus belle période de son histoire en remportant trois fois le championnat (1977,1980,1983) et la Coupe de France en 1979. Les jaunes et verts demeurent même invaincus à domicile pendant près de cinq ans entre 1976 et 1981 soit 92 matchs (dont 80 victoires).
Malgré les succès nantais, la rivalité reste vivace sur et en dehors des terrains. En 1979, Michel Platini, étoile montante du foot français se cherche un nouveau club. Naturellement, le Lorrain balance entre les deux clubs les plus performants de l’Hexagone. Jean-Luc Lagardère, propriétaire de la radio Europe 1 alors sponsor du FC Nantes, s’active en coulisse pour ramener le prodige en Loire-Atlantique. L’homme d’affaires offre de payer une partie du salaire du joueur et envoie même le journaliste Eugène Saccomano convaincre Platini. Mais les divisions internes entre Budzynski et Henri Michel, opposé à la venue de Platini, poussent Platini dans les bras de l’ASSE.
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Si la domination nantaise est moins hégémonique que celle des Stéphanois, le jeu à la Nantaise marque durablement les esprits et Nantes regarde enfin Saint-Etienne dans les yeux. En 1980, les Nantais s’offrent enfin un beau parcours en coupe d’Europe en atteignant la demi-finale de C2. Face au Valence CF de Kempes et Di Stefano, Nantes domine largement les débats, mais ne gagne que deux buts à un. La veille du match retour, les Nantais apprennent la mort de leur ancien coéquipier Omar Sahnoun. Logiquement abattus, les hommes de Jean Vincent s’inclinent 4-0 à Mestalla et payent l’absence de réalisme du match aller. Symptomatique d’une équipe trop naïve et pas assez tueuse contrairement aux Stéphanois. Le FC Nantes s’attire la sympathie de tout le grand Ouest, mais ne séduit pas autant que Saint-Étienne, à part quelques érudits, au niveau national.
Finalement, la rivalité entre les deux clubs décline en même temps que l’ASSE qui remporte son dernier titre en 1981. L’ASSE tombe en Ligue 2 après le scandale de la caisse noire qui écarte Robert Herbin et Roger Rocher. Le FC Nantes reste un club incontournable de Ligue 1 jusqu’au début des années 2000 en écrivant quelques-unes des plus belles pages de l’histoire de la première division. Et même si les Nantes-Saint-Etienne perdent en saveur, quelques-uns sortent tout de même du lot. En 2001, Nantes remporte son huitième titre de champion de France à la faveur d’une victoire contre Saint-Etienne. Chemin inverse pour les Verts qui descendent en Ligue 2 suite à ce match. Enfin, c’est contre Saint-Etienne que le FC Nantes, endeuillé, rendit un hommage poignant à Emiliano Sala en 2019.
Sources :
- Richard Coudrais, « José Arribas, aux sources du jeu » Les Cahiers du football.
- Richard Coudrais, « Platini à Nantes, le rêve de Lagardère », Les Cahiers du football.
- Florian Perrier, « Une vieille rivalité expliquée aux jeunots », France Football.
- Sébastien Ferreira « Le FC Nantes et la grande rivalité avec Saint-Etienne », Le Figaro.
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