L’Argentine est l’un des plus grands pays de football. A Buenos Aires ou dans la pampa, le ballon rond est roi sur l’ensemble du territoire. Dans la province de Santa Fe, une ville vit intensément pour ce sport. Rosario, plus grande commune de cette province mais également troisième du pays, a vu naitre de grands noms du football. Elle sert également de foyer à l’un des derbys les plus bouillants du monde entre les rouges et noirs de Newell’s Old Boys et les jaunes et bleus du Club Atletico Rosario Central. Un environnement passionnel où tous les excès sont permis.
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Sur la rive du Paraná, près d’un million de personnes habitent dans la troisième plus grande ville d’Argentine. En plus de lieux emblématiques comme la place Veinticinco de Mayo ou la basilique de Nuestra Señora vous pouvez apercevoir deux gigantesques infrastructures comme leur nom peuvent en témoigner. El Coloso del Parque est l’enceinte de Newell’s tandis que, plus à l’Est se trouve l’Estadio Gigante de Arroyito qui accueille Central.
Une rivalité historique
Il existe de nombreux derbys à travers le monde. Celui de la Merseyside entre Liverpool et Everton, le Old Firm du côté de Glasgow ou encore le Superclásico où River Plate affronte Boca Juniors. Ce dernier est le plus connu lorsqu’on parle de football argentin mais c’est “juste du marketing” selon Mauro Cetto. L’ancien défenseur de Central a expliqué à Lucarne Opposée que “tous les gens qui sont venus voir une fois le Clásico de Rosario savent que c’est le Clásico le plus chaud et le plus passionnant d’Argentine”. Une rivalité qui s’est forgée au fil des décennies.
Leur naissance sont liées car les Old Boys sont fondés en 1903 par le fils d’Isaac Newell qui était un télégraphiste britannique ayant popularisé le football en Argentine. Le CARC a, lui, vu le jour en 1889 grâce à des ouvriers anglais. Les deux clubs de la ville n’ont ensuite plus cessé d’entretenir un antagonisme… jusque dans leur surnom respectif. Newell’s est le club des « lépreux » alors que Central est celui des « canailles ». Au début du siècle dernier, une épidémie de lèpre touche la ville qui décide d’organiser un match de charité pour les malades. Le premier club décide d’y participer au contraire de son rival insulté de canaille.
Si aucun joueur n’a porté les deux maillots depuis 1982, César Luis Menotti a cependant joué pour Central et entrainé Newell’s. El Flaco dit d’ailleurs à ce propos : “Le Clásico me rappelle ma vie, mes débuts. Le peu que j’ai et que je sais, le fait de différencier le bien du mal, tout cela je l’ai appris dans mon quartier de Rosario”. Une ville particulière où chaque événement lié au football est amplifié.
Aldo Poy et son but mythique
Rosario Central a de nombreuses légendes mais l’une des plus iconiques est sans aucun doute Aldo Poy. Ses neuf saisons au club lui ont permis de remporter deux titres mais ce n’est pas pour cela qu’il est resté dans le cœur des hinchas. En effet, c’est son but dans le clásico qui a marqué toute une génération. Le 19 décembre 1971, sa tête plongeante fait gagner Central face à Newell’s en demi-finale du championnat. Un but qui permet au club de remporter quelques jours plus tard son premier titre face à San Lorenzo.
Malgré la victoire suivante c’est cette palomita d’Aldo Poy qui est restée dans l’histoire. Si bien que chaque 19 décembre, le joueur et des milliers de supporters célèbrent le geste. Si ce but est si important c’est parce qu’il est inscrit face à l’éternel rival. L’ancien milieu de terrain expliquait à La Nacion : “C’est quelque chose d’inexplicable. Cela fait 40 ans et les gens continuent de se souvenir, de m’inviter et de revivre ce moment”. Cette année sera même la cinquantième !
Tout est différent dans ce pays et notamment dans cette ville. En témoigne l’œuvre littéraire qui a vu le jour suite au but mythique. L’écrivain Roberto Fontanarrosa publia la nouvelle 19 de diciembre de 1971 qui est aujourd’hui considéré comme un classique de la littérature du ballon rond. Il est d’ailleurs possible de voir la statue de cette “canaille” à l’entrée de son bar traditionnel El Cairo. Une commune décidément passionnelle.
Rosario, ville de tous les excès
Le Clásico Rosarino est le théâtre représentant parfaitement l’atmosphère particulière qu’il est possible de sentir du côté des berges du Paraná. Tout est question de sentiment et le football n’y fait évidemment pas exception. Il faut dire que le ballon rond est au centre de toutes les discussions en Argentine et encore plus à Rosario. Que le discours soit politique, social ou encore religieux, il sera rattaché d’une manière ou d’une autre au sport roi. La rivalité entre Newell’s et Central trouve d’ailleurs son origine dans ces sujets sociétaux.
La haine entre les deux clubs fut exacerbée dans les années 1970 lors de la professionnalisation du football argentin et la palomita d’Aldo Poy. En 1984, les hinchas de Newell’s Old Boys paradent après la relégation des rivaux. Deux saisons plus tard, les canailles retrouvent l’élite et raflent le titre national au nez et à la barbe des lépreux.
En plus de la rivalité sportive, des antagonismes se créent dans les tribunes avec l’éclosion de deux groupes de barras bravas : La Hinchada Mas Popular pour Newell’s et Los Guerreros pour Central. Le nom du second groupe témoigne de la violence qui entoure le derby. En plus des spectacles pyrotechniques et visuels, les supporters des deux camps n’hésitent pas à en venir aux mains pour défendre leurs couleurs.
“Le Clásico ou des balles”
Le derby a toujours été entouré d’une certaine rivalité mais c’est une atmosphère ultraviolente qui accompagne cette rencontre désormais. Certains incidents avaient déjà eu lieu durant les années 1990 avec notamment un match arrêté à cause d’altercations en tribune. C’est néanmoins des proportions bien plus excessives que l’on peut apercevoir aujourd’hui. Infrastructures brulées, menaces de mort voire assassinat sont constatés depuis dix ans.
La ferveur traditionnelle est désormais accompagnée d’une véritable haine. En 2013, avant un match “amical” entre les deux clubs, Los Guerreros brulent la boutique officielle de Newell’s. Fous de rage, les supporters rouges et noirs se vengent de la même façon le lendemain. Les seules conséquences sont ici matérielles mais, un peu plus tard dans l’année, un enfant de 13 ans perd la vie dans le cadre du Clásico Rosarino. Il s’est fait tirer dessus dans un quartier du sud de Rosario car il portait le maillot des Newell’s Old Boys. En 2015, un autre homme est mort après une bagarre… liée au derby.
Maxi Rodriguez, ancien capitaine des Leprosos, est plus que concerné par la rivalité et ses excès. Après une série de derbys perdus, il voit sa maison taguée. Le message est clair : “Le Clásico ou des balles”. La réponse l’est également car après une nouvelle défaite des balles sont tirées en direction de la maison de sa grand-mère. Après de tels événements, les spectacles visuels et sonores sont relégués au second plan, au même titre que le jeu.
Rosario et ses idoles
Exit ces excès pour laisser place au football qui est le principal moteur de la ville. Malgré l’incandescence des tribunes c’est le terrain qui prime, à l’image du Superclásico entre Boca et River. De ce côté, les deux clubs de Rosario ont de beaux faire-valoir grâce à de nombreuses idoles. Aldo Poy, Killy Gonzalez, César Luis Menotti, Mario Kempes ou encore Angel Di Maria côté Central. Jorge Valdano, Roberto Sensini, Walter Samuel, Gabriel Batistuta ou Mauricio Pochettino plus à l’ouest.
La ville de Che Guevara, supporter de Central, a également enfanté Lionel Messi qui a fait ses premières classes à Newell’s. Comme La Pulga, six des vingt-trois sélectionnés pour le mondial russe sont nés à Rosario. Jorge Sampaoli, lui, est né dans la province de Santa Fe et a joué à Newell’s jusqu’à une terrible blessure l’empêchant de devenir professionnel.
Ever Banega a vu le jour à Rosario mais n’a joué pour Newell’s que lors d’un prêt en 2014. C’est en tout cas dans la troisième plus grande ville du pays qu’il a appris à jouer au football. Dans un quartier aussi pauvre que malfamé. Il explique à El Pais : “Dans mon quartier, il y avait de meilleurs tapeurs de ballon que moi, mais aujourd’hui, ils sont en prison. Si je suis ici, c’est grâce à mes parents. Ils ne m’ont jamais laissé seul”. Au même titre que lui et de tous les jeunes Argentins, Giovanni Lo Celso, ancienne pépite de Central explique être lié à son quartier :
Je suis originaire du quartier de Sarmiento et j’ai passé toute ma vie à cinq pâtés de maisons du stade. J’évoluais au club Regatas, juste à côté du stade. Mes amis sont Canallas et lorsque j’ai commencé à aller au Gigante de Arroyito, je suis tombé sous le charme
Bielsa , prophète de Rosario
Messi, que l’on appelle encore Lio dans sa ville natale, n’est pas le seul génie de Rosario. Les entraineurs les plus enthousiasmants de la planète foot actuelle sont issus de la province de Santa Fe, Marcelo Bielsa, Jorge Sampaoli ou encore Mauricio Pochettino. Eduardo Berizzo, Tata Martino, César Luis Menotti et Jorge Valdano sont également originaires d’une ville plus qu’inspirante. Connue pour son amour de l’art moderne, Rosario aime également l’intellectualisation et l’esthétisme du jeu. Jorge “El Filósofo” Valdano explique : “Il y a toujours eu chez nous un culte de l’esthétique, de la beauté, du style, et même un certain snobisme à l’égard de l’autre football, celui de Buenos Aires”.
Marcelo Bielsa incarne parfaitement ce manichéisme. “El Loco” ne sacrifierait jamais cette morale tactique. Il a énormément influencé dans la ville par ce postulat. Educateur puis entraineur de l’équipe professionnelle des Old Boys il a remporté le championnat argentin 1991 et atteint la finale de Copa Libertadores l’année suivante. Berizzo, Pochettino ou Martino évoluent alors sous les ordres de celui qui a donné son nom au stade rouge et noir depuis 2009. Bielsa est l’un des plus grands prophètes de la ville et le seul point où les supporters des deux camps se rejoignent.
Oubliez Londres, São Paulo, Milan ou même Buenos Aires, la ville qui vit le plus passionnément le football est Rosario. Une passion qui peut se révéler excessive mais qui symbolise parfaitement l’atmosphère particulière de la cité de Santa Fe. Che Guevara pour la passion, Jorge Valdano pour la philosophie, Aldo Poy pour la légende et Marcelo Bielsa pour le tout, pour la vie.
Sources :
- « Argentine : la « Rosario connexion » veut mettre le cap sur la Russie !« , Foot Mercato.
- « Rosario, centre du monde« , Le Temps.
- « A Rosario, le but sans fin d’Aldo Poy« , Le Temps.
- « Rosario Central – Newell’s Old Boys : Le doyen des derbys argentins« , Lucarne Opposée.
Crédits photos : Iconsport