Quand il s’agit d’évoquer le football africain en Coupe du monde, le Cameroun 90 est incontournable. Dans cette équipe, première africaine à atteindre un quart, un vétéran va faire le tour des téléviseurs du monde entier. Roger Milla, 38 ans, dans un rôle de super-sub, va éclabousser le Mondial de sa classe. Connu seulement par les suiveurs du football africain et de la première division française, le lion indomptable va connaître une notoriété inattendue. Une forme de récompense pour un joueur à la carrière dont le crépuscule ne sera jamais celui annoncé.
Roger Milla naît le 20 mai 1952, le jour de la fête nationale, précoce clin d’œil du destin à celui qui sera l’un des meilleurs représentants du Cameroun sur la scène internationale. À treize ans, en 1965, il rejoint l’Éclair de Douala, puis le Léopard de 1970 à 1972. Dans la capitale économique du pays qui danse au rythme du Makossa, une musique populaire camerounaise, Roger Milla et son mètre soixante-seize virevoltant se font vite un nom. Avec le Léopard de Douala, il remporte le championnat national et atteint la demi-finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions.
Fin dribbleur, attaquant racé et efficace, il rejoint le Tonnerre Yaoundé, mastodonte du championnat de ce nouveau Cameroun fraîchement indépendant depuis 1960. Il y reste trois ans et remporte la coupe d’Afrique des clubs champions 1975. Quand il décide de quitter sa terre natale, il a vingt-quatre ans et un statut de star dans le continent qui lui a valu le ballon d’Or Africain 1976, décerné par France Football.
Une renommée qui lui permet de signer à Valenciennes durant l’hiver 1977. Autre époque, autres mœurs. Selon le règlement, le club du Hainaut ne peut avoir dans ses rangs que deux étrangers. Il compte alors deux Polonais : Jan Wrazy et Zygmunt Marsyck, ce dernier, sur le départ, n’a pas trouvé de porte de sortie lors du dernier mercato. En attente que la situation se débloque, Roger Milla, star en Afrique, se retrouve alors durant six mois avec les jeunes de la DH.
Placardisé à Monaco et renaissance sur l’île de beauté
S’ajoutent à cela des conditions de vie indignes de son rang. Valenciennes est un club en difficulté financière, l’attaquant est logé dans un appartement sommaire près de la gare. Pas rancunier, Roger Milla qui a appris la situation en arrivant sur place, prend son mal en patience et performe en DH. Au terme d’une saison vierge de toute apparition en première division il rejoint enfin l’équipe une à l’orée de la saison 1978-1979. Technique, rapide, doué dans la conservation du ballon, il plante six buts lors de ses six premiers matchs et devient le chouchou de Nungesser. La suite est plus compliquée, marqué à la culotte et victime de la violence des défenseurs de l’époque qui ne font pas dans la dentelle, Roger Milla ne marque plus de la saison dans un Valenciennes laborieux qui se sauvera lors de la dernière journée.
Même si l’expérience dans le nord garde un goût d’inachevé, son début de saison performant lui permet de signer dans un Monaco ambitieux en 1979. Pourtant, là encore, la réussite n’est pas au rendez-vous. Dans un effectif talentueux qui joue la C3, il est barré par la concurrence en la personne de Delio Onnis, indétrônable, d’Albert Emon et du moins connu Christian Dalger. Quatrième dans la hiérarchie, il ne parvient pas à inverser la tendance, passe plus de temps sur le banc que sur le terrain et ne marque qu’à deux reprises. L’AS Monaco de Rolland Courbis et Jean-Luc Ettori finit quatrième et remporte la Coupe de France. C’est le premier trophée français pour Milla qui, à vingt-huit ans, préfère s’exiler plus au Sud après une petite saison sur le Rocher.
En 1980 Milla fait ses valises sur l’île de Beauté, il y restera quatre ans. Dans le Bastia de la légende insulaire Claude Papi, le lion indomptable retrouve des couleurs. Si les résultats en championnat ne sont pas flamboyants avec une place dans le ventre mou, Roger Milla est toujours au rendez-vous avec trente-cinq buts en championnat en quatre saisons. En 1981, il rentre même dans l’histoire de Bastia en permettant au club insulaire de remporter la première Coupe de France de son histoire.
Lors d’une édition qu’il survole avec sept buts lors du parcours jusqu’à Paris, Roger Milla est une nouvelle fois décisif en finale face au Saint-Étienne de Michel Platini. Parti à la limite du hors-jeu, il passe le défenseur en puissance, efface le portier puis conclue sous les chants corses d’un Parc des Princes devenu insulaire. La saison suivante il connaît les joies de la Coupe d’Europe qu’il quitte en huitièmes.
Ce sera le dernier trophée dans l’hexagone du « vieux lion » qui se distinguera davantage sous le maillot de la sélection notamment en participant à trois Coupes du Monde. Il faut dire que le Cameroun a une génération dorée durant cette décennie 1980. Au Mondial 1982, c’est un Roger Milla fraîchement trentenaire qui goûte pour la première fois à cette compétition. Sans démériter, trois nuls plus tard les Lions indomptables sont éjectés de la compétition.
L’amour de la Paillade et le jubilé précoce
Deux ans plus tard, en 1984 il connaît son premier gros succès avec l’équipe nationale. Il remporte la quatorzième édition de la CAN. Les Lions indomptables ont une équipe solide qui s’articule autour du portier Joseph-Antoine Bell, le défenseur Ibrahim Aoudou, le milieu Grégoire M’Bida et Roger Milla, presque tous pensionnaires de première division française.
Dans la foulée, il rejoint Saint-Étienne alors en division deux. Le transfert ressemble à une paisible fin de carrière. Pourtant, celui qu’on surnommera « le vieux lion » ne le sait pas encore, mais c’est simplement le début d’une seconde jeunesse. Dans le Forez, il effectue la meilleure saison de sa vie sur le plan comptable avec vingt buts la première saison. Il est de nouveau meilleur buteur du club la saison et quitte le Chaudron sur une accession en division un.
Il aborde la CAN égyptienne de 1986 en pleine forme malgré ses trente-quatre printemps. De fait, Roger Milla est étincelant. Il marque à chacune des rencontres et ne tremble pas lorsqu’il faut transformer son tir au but en finale face au pays hôte qui remporte tout de même la compétition. Meilleur buteur de la compétition avec quatre buts, Roger Milla apparaît comme éternel, finissant meilleur joueur du tournoi.
Été 1986, Roger Milla s’envole vers Montpellier, depuis quatre ans en division deux, et qui aspire à retrouver l’élite. Entre l’ours mal léché Loulou Nicollin et le lion indomptable la relation prend vite des airs d’évidence et Roger Milla est rapidement adopté par toute une ville. Fort de ses huit saisons de D1, Roger Milla est performant instantanément dans un effectif où joue alors le tout jeune Laurent Blanc. Avec dix-huit buts chacun, les deux hommes sont les deux principaux artisans de la saison réussie du club qui intègre la division une en fin de saison. Montpellier revient dans l’élite avec la manière. Meilleure attaque du championnat, troisième, le club héraultais cartonne les grosses cylindrées du championnat avec un Roger Milla étincelant qui finit meilleur buteur du club avec quinze buts TTC.
« Je fais toujours partie de l’ensemble de Montpellier. C’est le club de ma vie. Vous savez, j’ai joué dans cinq clubs en France et c’est le club où je me suis senti le plus à l’aise. » – Roger Milla sur son passage à Montpellier, MHSCInfo
L’année suivante, le club connaît la Coupe d’Europe dont il est vite éjecté. Roger Milla marque sept buts et quitte l’Hexagone pour la Réunion et la JS Saint-Pierroise. Le transfert à un goût d’inachevé dans un Hexagone qui n’aura jamais pu (ou su) apprécier la pleine mesure du talent du lion indomptable. En janvier 1988, il met un terme à sa carrière professionnelle.
Il effectue deux jubilés au stade Omnisports de Yaoundé. 120 000 personnes se massent dans les gradins pour observer une dernière fois la magie sortir des pieds de Roger Milla. Pourtant la passion est plus forte. Il fait bien partie des Lions indomptables qui participent à la CAN 88. Auteur de deux buts, membre de l’équipe-type du tournoi, il est encore un grand artisan du second sacre africain de son pays.
Quand le monde découvre Roger Milla
En 1990 Roger Milla a trente-huit ans et coule une paisible retraite sportive à la Réunion où il joue en division d’honneur. Mais le Cameroun lui refuse ce repos, voyant toujours en lui l’homme providentiel. Alors que la Coupe du monde se profile il est rappelé par un décret présidentiel de Paul Biya dont il est proche. Son retour fait jaser au vu du faible niveau auquel il évolue. Pourtant son sélectionneur, le Russe Valeri Nepomniachi, lui fait confiance. Il en fait son super-sub, destiné à dynamiter les défenses dans le dernier quart d’heure.
23 Juin 1990, Stade San Nicola, Bari, 19h, Roger Milla ne le sait pas encore mais il a rendez-vous avec l’histoire. Dans une chaleur suffocante, la bande à Omam-Byik est confrontée à la solide Roumanie du fantasque Georghe Hagi. Le score est vierge à la mi-temps et Valeri Nepomniachi, qui a déjà fait rentrer dix minutes Milla face à l’Argentine, décide de réitérer l’expérience. Son vétéran fait son entrée en jeu alors que la dernière demi-heure pointe le bout de son nez.
Son entrée fait basculer le match en faveur des Lions indomptables. Flair, vitesse, sang froid, Roger Milla revit en cette chaude après-midi. Sur un long dégagement il anticipe la mauvaise appréciation du défenseur roumain sur le rebond, il gagne son duel de la tête et s’en va crucifier le gardien roumain d’un plat du pied plein de sang-froid.
La Roumanie revient, mais il en faut plus face à un Roger Milla irrésistible qui, quelques minutes plus tard, prend de vitesse la défense et porte l’estocade à une défense roumaine sous le choc. Sourire enfantin aux lèvres, il s’en va danser le Makossa au point de corner. À une époque où les célébrations sont encore sommaires, la scène fait le tour des téléviseurs du monde entier et marque des millions de téléspectateurs. La scène sera d’ailleurs réutilisé pour une pub Coca-Cola à l’occasion de la Coupe du monde 2010 ou encore plus récemment dans un clip à succès de MHD.
Le Cameroun accède aux phases finales de la Coupe du Monde pour la première fois de son histoire et il faut dire que cela ne doit rien au hasard au vu des prestations. Tombeuse de l’Argentine de Maradona, l’équipe camerounaise est tout simplement la sensation de ce mondial transalpin. Thomas N’kono est impérial, faisant rêver un certain Gianluigi Buffon devant son téléviseur, et devant, François Omam-Byik et Roger Milla parviennent toujours à faire la différence.
Rebelote en huitième de finale, il entre à la 54ème et il enfile de nouveau son costume de super sub-décisif. Il attend les prolongations pour mettre à terre la Colombie de René Higuita. Frappe sous la barre en angle fermé et but de renard permettent au Cameroun d’écrire l’histoire. En quart de finale, il entre de nouveau, provoque un penalty et donne une passe décisive mais ne peut empêcher la défaite trois buts à deux de son équipe. Sur toute la compétition et en étant remplaçant, Roger Milla marque quatre buts en quatre heures. Après le mondial italien c’est une icône, ballon d’or africain pour la seconde fois, c’est le symbole d’une équipe du Cameroun qui a surpris son monde. Désormais tout le monde connait Roger Milla et son Makossa.
L’inoxydable icône du Cameroun
En 1994 il est de nouveau sélectionné pour le mondial par Henri Michel. Il devient du même coup le premier joueur africain à jouer trois mondiaux. Loin de sa performance de 1990, le Cameroun est en difficulté et sort piteusement au premier tour. Inoxydable, le « vieux lion » tire tout de même son épingle du jeu, en marquant durant la correction infligée par la Russie (6-1), à 42 ans et 39 jours. Il devient le plus vieux buteur et meilleur buteur africain de l’histoire de la Coupe du monde. Une performance qui tient depuis trente ans !
Avec cette Coupe du monde, c’est le dernier chapitre de Roger Milla qui se ferme avec l’équipe nationale. Un chapitre riche officiellement de 102 sélections, mais qui s’élèverait certainement au double si l’on comptabilise les sélections non officielles. Meilleur joueur africain des cinquante dernières années pour France Football en 2004 et la CAF (2007), meilleur joueur africain du siècle pour l’Équipe en 2001, Roger Milla préfère désormais les arcanes politiques aux stades de foot. Il a été nommé notamment ambassadeur itinérant du Cameroun depuis 2000 et président de la Fédération Camerounaise de Football (FECAFOOT) entre 2008 et 2012 puis pour l’ONU contre le SIDA.
« Ce type était d’une pureté technique ahurissante. C’est le plus doué de tous ceux que j’ai entraînés. Roger était un extraterrestre. En une semaine d’entraînement, il était capable de ne pas commettre la moindre erreur technique. Au point qu’il ne comprenait pas que ses coéquipiers ne soient pas comme lui. » – Claude Le Roy, le Parisien.
Aujourd’hui Roger Milla n’est pas une légende tombée dans l’oubli, c’est encore le visage d’un Cameroun qui a marqué les esprits. Une place dans les cœurs des locaux que Samuel Eto’o n’a pas vraiment réussi à lui ravir malgré ses deux CAN et une carrière autrement plus remplie. Gros caractère, jamais avare en bons mots, le vieux lion demeure un sage qu’on consulte. Ne lui parlez pas de retraite, à, désormais 68 ans, il y a de fortes chances que son Makossa soit éternel.
Performant mais membre d’équipes peu talentueuses, Roger Milla ne connaîtra pas une grande carrière en club. C’est sous les couleurs des Lions indomptables, qu’il sera le plus décisif avec deux CAN et un quart de finale de Coupe du monde. Doté d’une intelligence de jeu au-dessus de la moyenne alliée à un physique hors du commun, il a su être performant sur le long terme, connaissant une seconde jeunesse après ses 30 ans. Buteur hors pair a la personnalité fantasque, il a marqué durablement les esprits et demeure aujourd’hui le symbole de la dernière équipe camerounaise à avoir passé un premier tour de Mondial.
Crédit photo : Icon Sport
Sources:
- France Football, Roger Milla, nos 100 joueurs qui ont marqué l’histoire de la coupe du monde
- SoFoot, Schillaci, Milla, Stojkovic : Les outsiders du mondial 1990
- SoFoot, Roger Milla, instinct Makossa
- SoFoot, Roger Milla, l’autre fils Nicollin
- La Voix du Nord, Le passage rocambolesque de Roger Milla à Valenciennes
- Corse Matin, Les souvenirs bastiais de Roger Milla
- Le Point, Légende du foot africain #1 Roger Milla