De tous les joueurs que l’on peut citer quand on pense au talent pur « gâché », Roberto Baggio est probablement celui qui vient le plus rapidement à l’esprit. Non, sa carrière ne peut pas être considérée comme un échec. Non, elle n’est pas à la hauteur du talent de ce joueur que nous aurions peut-être pu comparer aux Pelé, Maradona, Messi et autres grands virtuoses, si la chance et son corps lui avaient fait plus de cadeaux. Malgré ces malédictions – qui participent à l’établissement de sa légende – il divin codino a eu une carrière riche en émotions et en palmarès. Retour sur 22 ans de football, dans sa forme la plus pure, à travers l’un des numéros 10 les plus élégants de l’histoire.
« Quand j’étais petit, je rêvais de jouer au football, de devenir footballeur, et mon seul but, c’était d’amuser les gens. Le numéro dix est celui qui amuse le plus les gens. Cela ne veut pas dire que les autres postes ne sont pas importants, au contraire. Mais lorsque tu as le numéro dix sur les épaules, tu sais que le supporter va plus attendre de toi que d’un autre. Et c’est normal. Sinon, tu porterais un autre numéro. » – Roberto Baggio à SoFoot
D’une famille catholique de la province de Vicence, le jeune Roberto abandonne rapidement la voie du cyclisme qui semble promise à lui et sa fratrie. Son frère Eddy prend la même direction : celle du football. Roberto est un fan absolu de Zico, légende brésilienne qui a, lui aussi, marqué l’histoire du ballon rond. Rapidement, l’école passe après le football et la religion. A force de jouer partout où il y a de la place, il se fait repérer : sa vitesse et son aisance balle au pied font de lui un garçon pétri de talent. Bien que ses sœurs le poussent à continuer ses études jusqu’au bout, il abandonne deux mois avant de les terminer pour s’engager dans le club de football local, le Vicenza Calcio. Nous sommes en 1982 et la future icône du football italien a alors 15 ans. Deux années de Serie C plus tard, Roberto Baggio, 17 ans, porte son équipe sur ses épaules en marquant douze buts en 29 matchs. Au-delà des buts, ses mouvements imprévisibles et sa vision de jeu millimétrée facilitent la vie de son équipe, qui parvient à obtenir une promotion en Serie B. Ceci fait, Roberto Baggio est alors recruté par un club dont il devient rapidement le symbole.
Quand la perfection passe du violet au bianconero
A Florence, c’est l’explosion presque instantanée. Baggio est à l’endroit où il a toujours rêvé d’être, probablement le club qui, dans toute sa carrière, lui a le plus correspondu. Après un an à se remettre de sa blessure, à s’entraîner, à s’intégrer et à briller avec l’équipe B, Baggio fait son entrée dans le grand bain le 21 septembre 1986. La Viola l’emporte alors 2-0 contre la Sampdoria en Serie A. Cette même saison, il marque son premier but sous les couleurs de la Fiorentina… et pas contre n’importe qui : il permet à son équipe de décrocher le match nul contre le Napoli de Maradona, grâce à un magnifique coup-franc qui vient caresser la lucarne du San Paolo. Après une saison principalement passée avec la Primavera du club malgré quelques apparitions en Serie A, le nouveau coach de La Viola, Sergio Santarini, décide d’accorder sa confiance au joueur, qu’il voit encore comme un numéro 10. Résultat : une saison à 34 matchs, neuf buts et autant de passes décisives. Cela vaut au jeune italien de faire ses premiers pas en sélection avec la Squadra Azzurra. Nous sommes alors à la fin de la saison 1987-1988, et Santarini prend une décision qui va transformer la carrière de Baggio : le faire changer de rôle. Ainsi, le jeune italien passe la saison 1988-1989 en faux numéro 9, titularisé dans une pointe à deux où il tourne autour du buteur, lui distribuant de multiples passes décisives, attirant l’attention des défenseurs et marquant à son tour. Il explose totalement, devenant le joueur clé de cette Fiorentina avec 24 buts et 11 passes décisives au cours de la saison. En Italie, son talent et sa coupe de cheveux lui valent d’être rapidement surnommé « il divin codino » (le divin à la queue de cheval). Vient alors la saison 1989-1990, peut-être la plus importante de la carrière de l’Italien. Malgré une piètre saison de La Viola en championnat, l’équipe de Baggio surprend tout le monde en passant toutes les étapes de la Coupe UEFA (actuelle Ligue Europa).
Baggio emmène son équipe aux portes d’un trophée européen, et le destin fit le reste : le dernier obstacle qui se dresse face à la Fiorentina n’est autre que la Juventus. La double confrontation se fait à sens unique. La Vieille Dame remporte le match aller 3-1 et les deux équipes se quittent sur un score nul au match retour. Malgré une saison fantastique, Baggio rentre bredouille chez lui. Comme si la défaite humiliante subit par les tifosi de la Fiorentina contre leurs rivaux de toujours n’avait pas suffit, les dirigeants du club annoncent, dès le lendemain du match, la vente de Baggio à la Juve. Le joueur lui-même n’en revient pas, mais est forcé de rejoindre les bianconeri : les conditions financières de la Fiorentina sont au plus bas et Baggio est le joueur à la valeur financière la plus élevée de l’effectif. A Florence, c’est l’explosion. Les rues sont envahies de supporters qui protestent contre cette décision. Les tifosi restent plusieurs jours devant le siège du club, scandant des chants demandant la tête de leur président, le menaçant ouvertement de mort. Leur amour pour Baggio était si grand qu’ils en perdirent la raison.
A la Juventus, Baggio fera parler son talent démesuré pendant plusieurs saisons, devenant l’un des principaux acteurs de l’équipe. Encore aujourd’hui, il fait sans aucun doute partie des plus grands joueurs à avoir porté le maillot bianconero. Bien au-delà des multiples titres accumulés au sein de la Vieille Dame (une Coupe UEFA en 1993, un Scudetto en 1995, une Coupe d’Italie en la même année et, surtout, son Ballon d’Or de 1993), le principal héritage laissé par Baggio à Turin est un ensemble de souvenirs magiques. Ses débuts, lors de sa première saison, ne laissaient pourtant rien présager de bon. Lors de la deuxième rencontre entre la Juventus et la Fiorentina, Baggio refuse de tirer un penalty, que De Agostini rate. Lorsqu’il sort du terrain, il ramasse une écharpe de la Viola, pour ne rien arranger. Les années, les buts, les passes décisives et l’élégance de Robi joueront ensuite en sa faveur, lui permettant de conquérir le cœur des tifosi bianconeri en peu de temps.
A Turin, Baggio a laissé derrière lui un mélange de souvenirs, de beauté, de passion, de virtuosité et d’excellence. Il a été, sans aucun doute, l’un des joueurs les plus élégants et les plus forts à avoir porté le maillot bianconero. La Vieille Dame peut pourtant se vanter d’avoir vu un certain nombre de grands joueurs sous son maillot. Pourtant, malgré l’immense talent de l’international italien, les blessures ne l’ont pas épargné, ce qui lui a valu d’être rapidement remplacé au sein de l’effectif bianconero. Son remplaçant ? Nul autre qu’Alessandro Del Piero lui-même, légende absolue et symbole du club piémontais. C’est donc lors du mercato de 1995 que Baggio quitte le club au sein duquel il aura laissé une empreinte indélébile, pour rejoindre une autre immense institution italienne : l’AC Milan, où il remportera le second Scudetto de sa carrière.
« Il est fantastique. Vous savez, j’ai déjà joué avec beaucoup de très grands joueurs, mais aucun n’était comme lui. Si intelligent, si bon et si fort… » – Ronaldo à propos de Baggio.
Malheureusement, les autres grands clubs côtoyés par Baggio (l’Inter et l’AC Milan) ont été deux échecs : il ne s’y est jamais vraiment imposé à terme, à l’inverse de deux équipes de provinces où il a pu faire parler son génie : Bologne et Brescia. Après l’échec à la Coupe du Monde de 1994 – détaillé plus bas dans cet article – Baggio veut à tout prix se racheter avant 1998. Il est donc transféré à Bologne, dans une équipe où il est presque sûr de s’imposer, pour faire partie des sélectionnés pour le mondial. 23 buts et 12 passes décisives plus tard, Baggio parvient à se frayer une place au sein de la Squadra. Mission accomplie. Bien plus tard, après être passé par les deux clubs de Milan sans succès, Baggio met un terme à sa mythique carrière à Brescia, où il marque plus de dix buts par saison et porte son équipe sur le dos. En 2004, il décide de quitter les terrains de football. Brescia, en son hommage, a même retiré le numéro 10, numéro pourtant symbolique dans chaque club de football. Un geste saluant la grandeur du divin codino.
« Il est vrai qu’à Barcelone j’ai eu la chance de jouer avec de grands joueurs, mais Baggio était tellement spécial dans plusieurs aspects. J’ai joué avec Laudrup, Romario, Koeman, Ronaldo, Stoichkov, mais je n’ai jamais vu quelqu’un comme Robi » – Pep Guardiola sur Baggio
Roberto Baggio en sélection, une triste malédiction
L’une des tristes caractéristiques de Roberto Baggio est sa malédiction lors des trois éditions de la Coupe du Monde auxquelles il a participé. La première, en 1990, s’est soldée par une défaite de l’Italie contre l’Argentine de Diego Maradona – qui finira par aller jusqu’au bout de la compétition – en demi-finales. Baggio ne peut cependant pas s’en vouloir, puisque son sélectionneur ne l’avait pas titularisé. Son entrée trop tardive ne changera pas le cours du jeu, et l’Italie rentre chez elle sans avoir perdu un seul match.
« Seuls ceux qui ont le courage de tirer les penaltys peuvent les rater. C’est tout. » – Roberto Baggio
La Coupe du Monde la plus marquante de la carrière de Roberto Baggio reste cependant celle de 1994. Après une saison mitigée de la part de la Juventus et une préparation ratée de l’Italie pour ce mondial, la Squadra Azzura n’est pas vraiment favorite au coup d’envoi de cette édition 1994 aux Etats-Unis. Pourtant, les matchs se suivent et se ressemblent pour Baggio et sa sélection, qui, après une phase de poules mitigée (une défaite, une victoire et un nul), enchaîne les victoires sur le fil. La sélection s’impose contre le Nigéria grâce à un penalty de Baggio dans les prolongations, puis contre l’Espagne grâce à un coup de génie de Robi qui trouve le chemin des filets à deux minutes de la fin du temps réglementaire. C’est toutefois contre la Bulgarie que Roberto Baggio fera parler son talent. A lui seul, il inscrit un doublé phénoménal resté dans les annales comme l’une des plus belles performances de l’histoire de la Coupe du Monde. Vitesse, virtuosité, dribbles, talent, frappes, tirs, buts. C’est grâce à toute sa palette de joueur extraordinaire que Robi parvint à emmener son équipe en finale, sans que le but de Stoichkov pour ramener les siens à 2-1 ne puisse changer l’issue du match. Malheureusement, Baggio se blesse au cours de la rencontre, le rendant incertain pour le match le plus important de sa carrière.
Il est pourtant titularisé lors de la finale. Grave erreur du sélectionneur ? Robi ne brille pas. Pire, ses deux seules tentatives de buts finissent captées par le gardien puis dans les airs de Pasadena. Les deux équipes se retrouvent donc sur le point de penalty après 120 minutes, sur le score de 0-0. Baresi et Massaro ratent leurs tirs, mais celui de Baggio lui sera rappelé toute sa vie. Alors qu’il pouvait apporter un peu d’espoir à son pays, il tire quelques centimètres au-dessus de la barre, ratant le seul penalty de sa carrière, et offrant au monde l’une des images les plus iconiques de l’histoire du ballon rond.
« Quand j’étais petit, je rêvais de remporter la Coupe du monde avec l’Italie, contre le Brésil. C’était le rêve parfait, mon rêve préféré. Sauf que je ne savais pas comment ce rêve finissait. Eh bien voilà : il s’est terminé de la pire façon possible. J’ai toujours pensé qu’il aurait mieux valu perdre cette finale trois-zéro que de la perdre aux tirs au but. C’est mon plus grand regret, une amertume immense. » – Roberto Baggio à SoFoot
La Coupe du Monde 1998 n’apportera rien de neuf à Baggio, qui avait pourtant réalisé un très gros mondial : deux buts, deux passes décisives et à quelques centimètres de crucifier la France, chez elle, sur une superbe reprise de volée, proche du but en or. Finalement, l’Italie file jusqu’aux tirs aux buts et, malgré la réussite de Baggio, s’incline. La suite est connue : la France se qualifie et remporte le premier mondial de son histoire, chez elle.
« Contre l’Argentine en 1990, l’Italie perd aux tirs au but. Contre le Brésil en 1994 aussi. Et en 1998, pareil, contre la France. Le tout sans perdre un match. Si tu y penses, c’est étrange. Mais c’est comme ça. » – Roberto Baggio
Résumer l’immense Roberto à sa carrière et à ses malédictions en Coupe du Monde serait une chose bien futile. Au-delà de ses échecs milanais et de son penalty manqué avec la Squadra, Baggio était un virtuose. Un musicien, un artiste, un génie. Le genre de joueur qui oblige tout un stade à retenir son souffle dès qu’il touche le ballon et s’approche de la surface adverse, promettant alors au public un moment de football hors du commun. Ce joueur n’est pas un 9, ni même un 10. Si le 9,5 semble être le poste qui lui correspondrait le plus, c’est un chiffre qui ne suffit pas non plus. Baggio savait divertir. Baggio savait dribbler. Baggio savait passer. Et bien au-dessus de tout cela, Baggio savait inventer. L’Italien n’a probablement – en termes de talent et de virtuosité – jamais eu aucun égal dans le monde football, ou alors ceux-ci se comptent sur le bout des doigts. Bien qu’il ait porté le numéro 10 pendant l’immense partie de sa carrière, Baggio était bien plus que ça : il était la complexité, la créativité, la vision et la passion. Roberto Baggio était le football.
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Sources :
- Onze Mètres, la solitude du tireur de penalty
- SoFoot, S’il ne devait en rester que 100 : Numéro 10, Roberto Baggio
- These Football Times, The Battle of the 10s
- These Football Times, In celebration of Roberto Baggio, the divine ponytail
Crédits photos : Icon Sport