En arrivant à Split par la route et en vous baladant dans la ville, il est impossible de ne pas croiser des peintures murales à la gloire du Hajduk. Toute la Dalmatie vibre pour les Bili (Les Blancs). En s’approchant du stade Poljud, le nombre de graffitis s’intensifient sur les façades d’immeubles. La Torcida, plus vieux groupe de supporters d’Europe fondé en 1950, y affiche fièrement ses couleurs. Après un tour rapide du stade de 35 000 places, vous marchez un petit kilomètre dans la même rue et découvrez le Stadion Park Mladeži (Stade du parc de la jeunesse). Avec ses 4000 places, le plus vieux stade de la ville encore debout, bâtit dans les années 1950 est l’antre d’un club particulier : le RNK Split (Football club des travailleurs de Split).
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Des anarchistes à l’assaut du football
Fondé en 1912 par des anarchistes sous l’impulsion d’un certain Šimun Rosandić, le club rassemble des ouvriers, des paysans et surtout des étudiants partageant les mêmes idéaux. Le club s’appelle alors le HRŠD Anarh. Tandis qu’ils tapent leurs premiers ballons, la répression s’abat déjà sur eux. Après l’assassinat de François-Ferdinand d’Autriche le 28 juin 1914 à Sarajevo, les autorités dissolvent le club pour couper court à toute ambition séditieuse. En janvier 1919, le club fait son retour sous le même nom mais encaisse une première lourde défaite 11-0 contre les voisins du Hajduk. Quelques mois plus tard, rebelote. Néanmoins, cette fois-ci les esprits s’échauffent et une bagarre éclate entre les deux équipes. Cet épisode donnera une nouvelle justification aux autorités pour dissoudre le club. Il est temps de changer de nom. Le club s’appelle alors le JSNK Jug (Sud). Malgré ça les difficultés persistent. En 1921, le communiste Alija Alijagić assassine le ministre de l’Intérieur du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, Milorad Drašković. Le roi Alexandre Ier durcit de nouveau sa politique répressive. Le club est donc interdit. Par la suite, d’autres tentatives se révèlent infructueuses. Il faut attendre les années 1930 pour voir le club réapparaitre et participer à la structuration balbutiante du football yougoslave.
Un engagement sur le front
Le club se démarque également par ses engagements extra-sportifs. Effectivement, le club essaye d’envoyer 150 volontaires auprès la coalition antifasciste lors de la guerre d’Espagne (1936-1939). Ce fut un échec puisque la police interrompt l’opération avant même que le bateau ne parte. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux membres rejoignent le camp des Partisans dirigé par Josip Broz Tito. Ce mouvement communiste armé mène des actions de guérilla contre les fascistes italiens, les Nazis ainsi que les Oustachis. C’est une défaite et ces derniers proclament l’indépendance de l’Etat croate en 1941 après avoir collaboré avec les Nazis. Ils mettent ainsi fin au royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Certains membres du club sont arrêtés comme l’ancien président Petar Nisiteo qui est emprisonné par l’occupant italien. D’autres ont un destin plus tragique. En tout, 120 personnes liées au club meurent. En 1945, les Alliés gagnent la guerre et les résistants communistes mettent en place la « république fédérative populaire de Yougoslavie ». Les Partisans deviennent donc l’Armée populaire yougoslave.
La chute avant le retour au sommet
Par la suite, le football yougoslave se restructure difficilement : fusion de clubs, changement de noms… En 1952, la stabilité revient et le club s’appelle désormais l’Association sportive des travailleurs de Split (RSD Split). Cette même année la construction du Stadion Park Mladeži débute. Pendant des années, les Reds végètent parmi les divisions inférieures avant la chute du bloc de l’Est en 1991. Avec la réorganisation des championnats, le club intègre finalement la deuxième division croate. Comme énormément de clubs issus de l’éclatement de la Yougoslavie, le désormais NK Split souffre du changement de système économique. Le club fait faillite au début des années 2000 et tombe alors jusqu’en 4ème division.
En 2008, le RNK Split voit la lumière… Et quelle lumière. Slaven Žužul, un magnat de la construction de routes, de tunnels, de bateaux et son frère Jozo rachètent le club puis épongent la dette d’à peu près 3,6 millions d’euros (27 millions de kunas). Le club réalise alors trois montées en à peine trois ans et accède à la première division. En 2011, les Reds terminent 3ème de 1.HNL et jouent les tours préliminaires d’Europa League. Après avoir battu le club slovène de Domžale, le RNK Split se heurte à Fulham qui gagne 2-0 malgré un nul 0-0 au match aller. En 2014, les Reds réalisent une seconde épopée européenne incroyable en accédant au dernier tour préliminaire d’Europa League. Ils échouent aux portes des phases de poule après un dernier barrage très accroché avec le Torino. Il suffit seulement d’un but au match retour pour mettre fin aux espoirs des Reds. Le club réussit ensuite à se maintenir en première division croate jusqu’en 2017.
Retrouver une identité passée sur fond de fraude fiscale
En 2009, le premier ministre croate Ivo Sanader démissionne. Un an plus tard, il est arrêté pour corruption. Slaven Žužul est lui aussi placé en garde à vue pour une potentielle fraude fiscale. Le lien entre les deux hommes est le père de Slaven, Miomir, ancien ambassadeur qui a bien connu Ivo Sanader. En 2011, ça sent le roussi pour les frères Žužul et leurs magouilles. Entre 2008 et 2011, ils auraient versé à peu près 1,3 million d’euros (10 millions de kunas) en liquide pour les salaires des joueurs et employés sans même les déclarer. Cette pratique est monnaie courante en Croatie, mais les autorités disent stop et coulent ainsi beaucoup de clubs qui ne peuvent pas rembourser de grosses sommes. N’étant pas à leur coup d’essai, les deux frères n’investissent plus dans le RNK Split. Ce manque d’investissements se fait sentir peu à peu, et les Reds retombent dans les tréfonds du football croate malgré une belle résistance jusqu’en 2017.
Durant cette courte période de gloire (2008-2017), un groupe de supporters tente de redorer l’identité du club : les Crveni Davoli (Les Diables Rouges). Créé initialement dans les années 1960, le groupe ressuscite dans les années 1990 avant de tomber à nouveau dans l’oubli. C’était sans compter sur des nostalgiques qui repartent à l’aventure en 2008. Ils regroupent des documents d’archives, produisent un fanzine et décernent le prix du joueur le plus combattif chaque fin de saison. En 2012, ils accrochent même un drapeau rouge sur le clocher de l’église de Saint Duje (Saint protecteur de la ville de Split) pour le centenaire du club.
En ce 2 février 2021, l’équipe de 3ème division s’entraine sur le synthétique qui borde le Stadion Park Mladeži. Pour ces jeunes joueurs précaires, car il faut rappeler qu’en Croatie, les joueurs de football ont le statut d’auto-entrepreneur, l’identité historique du club leur parait bien loin. Même aux abords de leur stade, les graffitis à l’effigie du Hajduk Split fleurissent. Les Reds n’ont malheureusement jamais su conquérir le cœur des Splitois face à l’ogre voisin. Il faut dire que leur histoire est plutôt chaotique comme leur situation financière. Aujourd’hui, les frères Žužul sont toujours au club tandis qu’une poignée de Diables Rouges tentent de redorer une identité passée.
Sources :
- rnksplit.hr
- rnksplit.hr
- rnksplit.hr
- Damien F, « RNK Split et situation précaire des footballeurs croates », Footballski, 12 avril 2017
- Guillaume Rathelot, « RNK Split, les Anars sortent de l’ombre », Les Cahiers du Football, 11 octobre 2012
- hns-cff.hr
Crédits photos : Icon Sport