« Les gens disaient qu’il était lent, mais pas du tout. » contestait l’illustre capitaine brésilien, Cafù, à propos de Rivaldo. Une réflexion qui pourrait paraître anodine venant d’un coéquipier qui aurait une vision magnifiée du numéro 10 avec qui il a soulevé la Coupe du monde. Mais c’est bien plus que cela. Rien qu’en prononçant ces mots, Cafù relève un fléau qui suivra Rivaldo tout au long de sa carrière : le manque de reconnaissance. Hué par ses propres compatriotes lors des qualifications pour la Coupe du monde 2002, la carrière de Rivaldo n’a pas été sans accrocs. Et c’est sûrement cette force de caractère et son immense talent qui ont fait de lui l’un des plus grands artistes du ballon rond.
Le timide jeune garçon naît le 19 avril 1972 à Recife dans le Nord-Est du Brésil. Élevé dans l’extrême pauvreté de la favela de Beberibe, lui et ses deux frères cultivent un rêve devenu presque universel pour les jeunes brésiliens : réussir dans le football. Pour l’instant, l’histoire de Rivaldo ressemble au « cliché » du petit garçon qui se sort de la misère grâce au sport. Mais il n’y a aucun romantisme dans ce récit. Le gaucher brésilien a dû surmonter bien des obstacles, et pas seulement footballistiques. Rivaldo expérimente le quotidien cruel d’un jeune garçon des favelas. Les crayons et cahiers d’école sont troqués pour quelconques objets susceptibles d’être vendus sur les plages de Recife. Troisième d’une fratrie de sept enfants, le garçon aux jambes arquées entretient un lien particulier avec son père. Romildo est persuadé qu’un des ses fils fera son trou dans le monde professionnel et Rivaldo plus encore. Mais comme si la vie n’avait pas assez handicapé le futur numéro 10 de la Seleção, un soir de janvier 1989 a failli priver définitivement le football d’un de ses plus grands artistes. De fait, la mort de Romildo dans un accident de la route a presque fait disparaître de l’esprit de Rivaldo toute volonté de continuer dans le foot. Mais la force de caractère unique et naturelle du milieu offensif de 16 ans le mène à signer son premier contrat professionnel avec Santa Cruz.
Petit à petit au sommet du football brésilien
Très vite au-dessus du lot en deuxième division, c’est le club de São Paulo, Mogi Mirim, qui lui fait goûter à l’élite du football brésilien dès 1992. Mais des doutes concernant sa capacité physique à évoluer en première division émergent. Il souffre de malnutrition en arrivant et n’est plus le joueur phare de l’effectif. Il ne lui suffira que d’un an et demi pour révéler toute l’étendue de son talent. En 31 matchs avec les Sapão, Rivaldo inscrit 27 buts. Ses aptitudes impressionnent et Corinthians se fait prêter le milieu offensif pour six mois. En un rien de temps, il devient la vedette d’un des plus grands clubs brésiliens. Si bien qu’en 1994, les supporters du Timão vont jusqu’à militer pour que leur jeune pouce fasse le voyage aux Etats-Unis avec la Seleção. Au terme de la saison 1993-94, la signature définitive est une évidence dans les couloirs du Stade du Pacaembu. Cependant, le contrat sur lequel Rivaldo apposera sa signature ne sera pas celui comportant le sceau du Corinthians. Pire, le numéro 10 s’engagera avec le rival et voisin, Palmeiras.
Si son statut n’est plus à confirmer, son physique pose encore question. Son coéquipier, César Sampaio, raconte même que lors de sa visite médicale on lui avait annoncé qu’il arrêterait sa carrière autour de ses 25 ans. Plus que de faire mentir ces prédictions, « Garroto » ou l’assommeur va illuminer le championnat. Rivaldo martyrise les défenses à coups de crochets vifs, de sombreros en tout genre et de feintes de frappes déroutantes. Mais ce qui lui valait ce surnom c’était son tir. D’apparence, ses longues jambes et sa frêle carrure ne laissaient pas présager qu’il était en réalité doté d’une lourde frappe. Puissante, et surtout précise. Quand il ne débloquait pas la situation par un dribble ou une inspiration géniale, Rivaldo était capable de gagner un match à lui tout seul en envoyant un puissant tir entre les jambes du gardien, sous la barre ou en pleine lucarne. A lui de voir. Dynamiteur d’un Palmeiras retrouvant des couleurs, l’attaquant polyvalent est enfin appelé par la Seleção pour sa première compétition internationale avec les Jeux-Olympiques de 1996. Aux côtés d’un Ronaldo qui survole la compétition, Rivaldo et le Brésil seront stoppés par le Nigéria en demi-finale. Une élimination frustrante pour la Seleção dont la responsabilité est attribuée à Rivaldo. Pointé du doigt pour sa perte de balle menant à la réduction du score de Victor Ikpeba, il est désigné comme seul responsable de la déroute brésilienne. La pression populaire et les critiques scellent son départ pour le Deportivo la Corogne à l’été 1996.
L’appel forcé de l’Europe
Lorsqu’il pose le pied en Espagne, Rivaldo fait face à l’habituel scepticisme qui le suit depuis ses premiers pas sur les terrains. Mais cette fois, on ne questionne pas son physique mais sa capacité à pouvoir remplacer un Bebeto décevant sur l’exercice 1995-96. Et cela ne lui prendra que trois mois, le temps de s’acclimater au rythme de vie espagnol selon lui. Collectivement, Rivaldo goûte déjà au podium de la Liga avec une remarquable troisième place. Mais c’est surtout individuellement que le meneur de jeu explose. 21 buts, faisant de lui le quatrième meilleur buteur du championnat (à égalité avec un certain Raúl Gonzalez), et 3 passes décisives qui installent le gamin de Recife parmi les meilleurs joueurs de première division. Ce qui arrive ensuite est encore plus fou. Lié sur cinq ans avec le Deportivo la Corogne, Rivaldo aide à construire une belle page du club galicien. Néanmoins, à l’été 1997, le FC Barcelone toque à la porte. N’ayant pas réussi à garder un Ronaldo inarrêtable, les Blaugranas cherchent une autre vedette à ajouter à leur effectif. Emballés par la première saison du Brésilien, les dirigeants catalans font sauter sa clause (qui s’élevait à 24 millions d’euros) et Rivaldo rejoint le Barça.
1997-2002 : au sommet de son art
La tunique rayée de bleu et de grenat restera, sans l’ombre d’un doute, celle qui allait le mieux à Rivaldo. Celle à laquelle on pense instantanément lorsque son nom est prononcé. Le succès ne tarde pas pour la première du Brésilien au Camp Nou. Dauphin à seulement deux points du Real Madrid la saison précédente, le FC Barcelone va mettre fin à la disette de quatre ans. Entouré de joueurs comme Josep Guardiola, Luis Figo ou autres Hristo Stoichkov, Rivaldo confirme. Il inscrit moins de buts mais sert plus régulièrement ses coéquipiers. C’est un joueur complet que découvrent les Cules du Barça. Lancé, ses crochets vifs étaient presque inarrêtables. A l’arrêt, il ne fallait lui laisser aucun espace pour tirer sinon sa patte gauche se chargeait d’envoyer un tir surpuissant. Même dans les airs Rivaldo était redoutable. Il lisait instinctivement le jeu et avait l’art de se placer au bon endroit ou de faire la bonne feinte. Mais n’oublions pas le spectacle. En digne héritier de la ginga (sorte de liberté créative dans les dribbles) des Garrincha, Pelé ou Vavá, le Blaugrana fait valser les défenses du championnat espagnol. Résultat, pour sa première saison avec le FC Barcelone, Rivaldo réalise un triplé coupe-championnat-Supercoupe d’Europe. Un exercice 1997-98 qui lui permettra de disputer sa première Coupe du monde avec la Seleção (avec qui il venait de remporter la Coupe des Confédérations). Une occasion rêvée pour le numéro dix de se refaire une image auprès des Brésiliens. Associé à Ronaldo, Rivaldo va réaliser une belle Coupe du monde, auteur de 3 buts dont un en quarts de finale contre le Danemark qui met en valeur son pied gauche exceptionnel. La fin de l’histoire, tout le monde la connaît ; le meneur de jeu et ses coéquipiers atteignent la finale et sont défaits au Stade de France.
L’année qui suit est une démonstration : Rivaldo éblouit l’Espagne de tout son talent (24 buts et 12 passes décisives), puis l’Amérique du Sud. Le Barça conserve son titre et le Brésilien fait à nouveau un peu de rab avec la sélection à l’été 1999. Il arrive en pleine bourre et soulève pour la troisième fois un trophée sous les couleurs de son pays. La doublette Rivaldo-Ronaldo est destructrice (10 buts à eux deux) et ne fait qu’une bouchée de l’Uruguay en finale de la Copa America. Et là encore, quelque chose cloche. Les Brésiliens ont l’impression que Rivaldo se réserve avec la sélection et affiche son meilleur visage seulement avec le Barça. Le meneur de jeu se retrouve donc dans une impasse : plus il joue bien en Catalogne, plus la méfiance s’accroît à son sujet dans son pays natal. Mais peu importe la reconnaissance au Brésil, Rivaldo a marqué la planète football et obtient la distinction individuelle la plus prestigieuse, le Ballon d’Or.
La saison qui suivit marqua un petit coup d’arrêt pour l’homme à tout faire de l’attaque catalane. Seulement 12 buts et six passes décisives et une relation qui se dégrade avec Louis Van Gaal, qui préférait le voir jouer sur une aile. Le coach néerlandais parti, Rivaldo renaît et sort une saison 2000-2001 à 23 buts et 9 passes décisives en championnat. Malgré cela, le Barça a du mal à être régulier et la qualification pour la Ligue des Champions se joue lors de la dernière journée, contre Valence. C’est le moment que choisit Rivaldo pour rappeler qu’il était plus qu’un simple finisseur, mais un véritable grand joueur. Celui qui sortait du lot dans les grands matchs, le seul de ce Barça en fin de cycle. Dans une ambiance plus que tendue, le meneur de jeu brésilien ouvre le score sur coup franc magnifique qui laisse Canizares à terre. Mais la bête noire de ces Blaugranas revient au score et parvient même à prendre l’avantage. Encore une fois, les Catalans s’en remettent à la patte gauche de Rivaldo qui envoie un missile sous le portier des Blanquinegros. Le reste appartient à l’histoire. Sur une passe de Franck de Boer, le Brésilien, dos au but, contrôle de la poitrine et envoie une bicyclette légendaire dans les filets adverses. Le Barça est en Champions League. A l’image d’un soir de célébration d’un titre, les supporters barcelonais vont envahir la pelouse du Camp Nou après un triplé légendaire.
La dernière saison de Rivaldo en Catalogne annonce, sans le savoir, le début de la fin. Louis Van Gaal est de retour et il dispute vingt matchs, pour huit buts et quatre passes décisives. Au Brésil, son image va se ternir un petit peu plus. Jusqu’au point où lors d’un match de qualification contre la Colombie (remporté 1 à 0), Rivaldo est hué par l’audience et des drapeaux brésiliens lui sont jetés. Mais pour ses coéquipiers, cela ne fait aucun doute, leur numéro 10 était essentiel à la campagne réalisée par le Brésil lors de la Coupe du monde 2002. Dans une attaque à trois renversante avec Ronaldo et Ronaldinho, le numéro 10 va être un artisan majeur de la cinquième étoile brésilienne. Derrière un Ronaldo Luiz Nazário de Lima stratosphérique, Rivaldo va tout de même terminer troisième meilleur buteur de la compétition, mais surtout avec une médaille d’or autour du cou.
Rivaldo le globe-trotter
Pour lui, cela ne fait aucun doute, son départ a été acté par le retour de Louis Van Gaal. Rivaldo quitte donc l’Espagne et débarque en Italie, chez le grand AC Milan. Une arrivée médiatisée et très attendue qui ne s’avèrera pas être un franc succès. Plus aussi décisif qu’en Espagne, Rivaldo n’est plus la star du XI et Carlo Ancelotti n’organise pas son fameux 4-4-2 en losange autour du Brésilien. Il n’apparaîtra que 22 fois en championnat en deux ans. Bloqué par des blessures et un style de jeu qui ne lui était pas adapté, il ne disputera même pas la finale de Ligue des Champions remportée par les Milanais en 2003. L’année suivante, Rivaldo fait ses valises et s’apprête à sillonner le globe. Il passe trois belles années sous les couleurs de l’Olympiakós (trois titres de champion) puis vagabondera en Ouzbékistan et en Angola avant de boucler la boucle chez le club qui lui a donné sa chance en première division, Mogi Mirim.
Rivaldo était l’un des joueurs offensifs les plus complets du début du siècle. Intelligent, vif, excellent finisseur, dribbleur déroutant et surtout décisif dans les grands rendez-vous. Il n’a peut-être pas assez reconnu dans son pays natal pour ses qualités mais aux yeux de tout admirateur de football, Rivaldo reste un Ultimo Diez.
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