« Séville 1982 » est resté pour beaucoup l’un des évènements majeurs de cette fameuse Coupe du Monde en Espagne. Cet incident mettant en scène le gardien de la sélection allemande, Harald Schumacher, plaquant à la tête Patrick Battiston n’est pas le seul qui a alimenté les polémiques durant le mondial. Dans un match arrangé, un soir d’été 82, la RFA et l’Autriche ont démontré qu’ils pouvaient pousser la honte à son paroxysme.
Une première historique. Le 25 juin 1982, à Gijon, l’Algérie bat l’Allemagne de l’Ouest (2-1) lors de son premier match de poule pendant la Coupe du Monde en Espagne. Un évènement majeur dans l’histoire du football car c’est la première fois qu’une sélection africaine bat une nation européenne en Coupe du Monde. Malheureusement, c’est sûrement cette victoire qui ne permettra finalement pas aux Algériens de sortir de leur poule. Dans un groupe composé de la RFA, de l’Autriche, de l’Algérie et du Chili, seuls les trois premiers pays auront la possibilité de se qualifier à l’issue de la toute dernière rencontre, chacune ayant son sort entre ses mains. L’Algérie, opposée au Chili, doit se défaire de son adversaire sud-américain sur un score de 4-0 pour obtenir son billet. Malgré une avance de 3-0 à la mi-temps du match, la sélection africaine n’a pu remporter le match que sur le score de 3-2. Évidemment, les options de victoires se réduisaient légèrement suite à cette remontée, la qualification pouvant s’obtenir tout de même en cas d’un nul, d’une victoire de l’Autriche ou d’une large victoire de la RFA. Il restait donc pas mal d’options à l’Algérie pour aller chercher cet exploit retentissant pour une sélection d’un continent aussi peu représenté sur la scène internationale. Mais l’Allemagne a finalement enterré les rêves algériens avec une petite victoire sur le score de 1-0, laissant ainsi les Fennecs à la 3ème place du classement. Pourtant, même si le scénario était largement envisageable, de nombreux éléments laisseront éclater au grand jour une grande supercherie qui qualifiera cette partie de « match de la honte ».
Une qualification offerte
C’est sûrement la majorité des observateurs, amateurs ou biens professionnels, et l’effet de masse qui ont permis aux soupçons de naitre lors des débriefings classiques d’après match. Tous, ou presque, ont remarqué la passivité des deux équipes après l’ouverture du score de la RFA. En effet, après le premier but d’Horst Hrubesch, les deux sélections ont livré un spectacle extrêmement navrant. Des minutes entières défilaient sans qu’aucune équipe ne daigne tenter quoi que ce soit. On pouvait déceler, que ce soit dans les déplacements, dans les intentions ou dans le manque d’agressivité, que les équipes n’avaient clairement aucun objectif de faire avancer le score. Un arrangement entre les deux adversaires est alors déduit par de nombreux journalistes et experts du football qui affirment que l’Autriche aurait accepté la défaite face à leurs adversaires, tandis que les Allemands promettaient de ne pas infliger un score trop large. Un argument plus que valable lorsqu’on voit à quel point les équipes semblent refuser le jeu durant toute la partie.
Les détracteurs de cette hypothèse très largement partagée, affirmaient que la RFA désirait garder son score, qui ne lui offrait pourtant pas vraiment de garantie si l’Autriche égalisait, tandis que les Autrichiens, ne croyant plus à leur victoire, ne voulaient pas risquer de prendre d’autres buts, en refusant le jeu. Evidemment, cette version là ne sera pas vraiment retenue dans l’opinion public. Michel Denisot, commentateur sur TF1 à l’époque avec Henry Michel, déclarera au micro de la chaine nationale : « C’est le match de la honte (…) On devrait retirer leur licence à ces 22 là. ». L’arbitre de la rencontre, l’Ecossais Bob Valentine, extrêmement anxieux avant la rencontre étant donné l’enjeu, déclarera en 2018 au Sunday Post : « C’était comme un échauffement, beaucoup de petites passes, mais aucune initiative. Le plus fou, c’est quand il y a eu un corner, un moment donné. Le ballon a rebondi sur un panneau publicitaire avant de revenir jusqu’à moi. Je l’ai récupéré et envoyé vers le poteau de corner. Un joueur allemand m’a dit : ‘doucement, monsieur l’arbitre!’. Une déclaration lourde de sens qui témoigne donc de la volonté de ne pas jouer le match dans les règles de l’art. Un peu moins au coeur de l’action, le commentateur de la chaine allemande ARD, Eberhard Stanjek, dira lors de cette rencontre : « On ne peut pas appeler ça du football. Ça n’a rien à voir avec un match de Coupe du monde. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais la fin ne justifie pas de tels moyens » avant de finalement stopper son commentaire : « Vous m’autoriserez maintenant à ne plus commenter ce que nous voyons sur le terrain car ce que les deux équipes nous offrent est un moment honteux ». Stopper son métier en même temps que les 22 acteurs sur le terrain, tout un symbole.
Un match lourdement critiqué
Les critiques autour du match vont alors fuser dans la presse internationale au lendemain de la rencontre. Certains médias allemands et autrichiens vont condamner ce match dans leurs colonnes, comme le bi-hebdomadaire Kicker qui publiera : « Nous ne pouvons donner d’étoiles à aucun participant, car il n’y a pas eu de match de foot à Gijón” . Le quotidien Bild a lui aussi ajouté sa pierre à l’édifice en publiant en couverture « Honte à vous ». Willi Schulz, ancienne gloire de la sélection, demandera au Conseil de Surveillance de la fédération de football ouest-allemande de punir ses joueurs. Le sélectionneur de l’époque, Jupp Derwall, insistera sur le fait que son équipe voulait seulement se qualifier, et ne pas jouer au football. La question autour de ce match se posait alors : tous les moyens sont-ils bons pour gagner un match, quitte à refuser le jeu ? L’immense majorité condamnera ce match jusqu’à aujourd’hui, mais certains continueront d’affirmer qu’il n’y a aucune honte à se qualifier même en arrêtant toute adversité lors d’un match comme celui-ci.
La plupart des supporters allemands n’iront pas dans le sens des joueurs qu’ils étaient venus acclamer quelques heures plus tôt puisqu’au lieu de fêter la qualification, ils iront en bas de leur hôtel pour crier leur mécontentement. Ils seront finalement reçus par des joueurs allemands qui leur balanceront des seaux d’eau à la figure pour les remercier de leur soutien. Charmant. Malgré les plaintes de la sélection algérienne, qui essaiera de faire disqualifier les deux équipes, la FIFA n’invalidera pas le match, affirmant que l’Allemagne avait le droit de jouer la sécurité, même s’il paraissait évident que « jouer la sécurité » n’était pas le terme adéquat. Cet évènement engendrera tout de même un changement pour la prochaine Coupe du Monde. Le dernier match de poule se jouera désormais en même temps pour toutes les nations du groupe, afin d’éviter tout arrangement entre deux sélections.
Après toutes ces années, de nombreux Allemands de l’époque délieront leur langue pour apporter de nouvelles versions. Si Karl-Heinz Rummenigge, Manfred Kaltz ou encore Lothar Matthaüs réfuteront l’hypothèse d’une tricherie, Halfrad Schumacher avouera lors d’une cérémonie d’un journal algérien en 2008 qu’il y avait bien eu une entente entre les deux sélections, avant de demander pardon au sélectionneur algérien de l’époque, Mahieddine Khalef. De quoi alimenter les soupçons, encore bien présents aujourd’hui dans la tête des spectateurs du fameux « match de la honte ».