Quand on pense Pays-Bas, on pense forcément football offensif. Venant d’un pays qui a enfanté Cruyff, Van Basten, Gullit, Bergkamp ou Robben, il ne saurait en être autrement. Celui qui fût pourtant le plus proche de donner une Coupe du monde aux Oranjes reste pourtant dans l’ombre de tous ceux-là et nous a quitté cette année : l’immense Robbie Rensenbrink.
Rensenbrink est un paradoxe dans l’autre pays du fromage. Incontestable en équipe nationale en n’ayant jamais joué ni pour l’Ajax, ni pour le PSV, ni pour Feyenoord. Néerlandais, il demeure une icône avant tout chez le voisin et rival Belge. Ayant régné sur le football européen de clubs avec Anderlecht sans jamais avoir gagné la Coupe d’Europe des clubs champions. Même son exceptionnel mondial 1978 est éclipsé par l’épopée néerlandaise de 1974. Dont il fut certes aussi, mais dans l’ombre de sa majesté Johan. Au fond, Rensenbrink est peut-être un concentré de football néerlandais à lui tout seul : un talent de génie incontestable, mais le statut et le palmarès qui devaient aller avec n’arrivèrent jamais totalement.
Les débuts en Hollande puis en Belgique
Né en 1947, Robert Rensenbrink débute le football en pro dans sa région d’origine, à Amsterdam. Mais pas à l’Ajax. A l’époque, le football amstellodamois n’a pas encore succombé aux charmes des ajacides volants, dont l’histoire débute à peine. Et la ville se partage entre l’Ajax et le DWS où Rensenbrink tape ses premiers ballons professionnels en 1965. Quatre saisons honorables au cours desquelles le jeune ailier gauche à la technique soyeuse connaît une progression régulière passant des cinq buts la première saison à treize lors de la dernière. Le tout en connaissant ses premières sélections avec la Hollande à partir de 1968.
En 1969, Rensenbrink décide d’aller voir plus haut que le DWS…en partant en Belgique, au FC Bruges. Au bord de la mer du Nord, il découvre la coupe d’Europe, qui deviendra son terrain de jeu favori, ouvre son palmarès en gagnant une Coupe de Belgique (la première des cinq de sa carrière) en 1970 et glâne deux places de vice-champion de Belgique.
Mais ces deux saisons brugeoises ne convainquent pas totalement le joueur, qui quitte Bruges pour le rival Anderlecht. C’est le début d’une histoire d’amour qui durera neuf saisons et dix titres entre Rensenbrink et le club bruxellois. En 1971-1972, dès la première saison du joueur dans son effectif, Anderlecht est champion de Belgique. En 1973, c’est une Coupe de Belgique qui tombe dans l’escarcelle des mauves et un nouveau titre de champion en 1974.
Consacré à Bruxelles
A la fin de la saison 1974, Rensenbrink part pour le mondial avec l’équipe de Hollande. Signe de son aura grandissante, Piet Keizer, pourtant incontournable complice de Cruyff à l’Ajax, se voit obligé de lui céder son poste d’ailier gauche. Il sera de l’aventure jusqu’en finale malgré deux polémiques. La première concerne sa participation, avec Cruyff, à une pool party « avec filles et champagne » après la demi-finale. La deuxième concerne une blessure qui lui fit jouer la finale sur une seule jambe. Blessure qu’il aurait sciemment cachée au staff dans le but de toucher la prime de son équipementier promise en cas de participation (pratique usuelle aujourd’hui, mais assez rare à l’époque). Rensenbrink se défendra en expliquant que jouer une finale de Coupe du monde était son rêve de joueur, et que la prime n’avait rien à voir avec son envie de jouer.
Après l’immense déconvenue de la finale perdue face à l’Allemagne de l’Ouest, Rensenbrink reprend les affaires courantes avec Anderlecht et ouvre ce qui demeure encore peut-être la plus grande période de l’histoire du club et assurément celle de la carrière de Rensenbrink.
En 1975, Anderlecht gagne une nouvelle Coupe de Belgique. Coupe qui lui offre une participation à la Coupe des coupes pour la saison 1975-1976. Coupe d’Europe que Rensenbrink illuminera de sa classe à tous les tours avec six buts en huit matchs jusqu’à la finale. Finale à sens unique que les bruxellois gagneront « à domicile » face à West Ham United au stade du Heysel sur le score de 4-2, avec un doublé de Rensenbrink. Quelques années plus tard, une polémique éclatera, sans durer, selon laquelle Frank Lampard senior (le père de l’actuel), chef d’orchestre de la défense des Hammers aurait été corrompu…en bières. En fin de carrière (cette finale était d’ailleurs son dernier match) Lampard préparait sa reconversion en patron de pub et avait été accusé d’avoir cédé face à la corruption de brasseurs belges sponsors d’Anderlecht qui lui auraient offert des fûts gratuits.
Rensenbrink au Heysel, après la finale de Coupe des coupes 1976
Mais c’est surtout la Supercoupe d’Europe disputée face aux monstres munichois du Bayern qui va définitivement acter l’arrivée des mauves chez les grands d’Europe. Battus 2-1 à l’aller en Allemagne, les mauves renversent la vapeur 4-1 au retour (dont un doublé de Rensenbrink) dans un parc Astrid en fusion.
Son statut de tenant du titre offre à Anderlecht la qualification pour l’édition suivante que Rensenbrink illumine encore de sa classe avec sept buts marqués jusqu’en finale (Anderlecht battra notamment Galatasaray en huitième sur le monstrueux score cumulé de 10-2). Mais la magie n’opèrera pas cette fois-ci et Hambourg fait tomber les bruxellois 2-0. La saison 1976-1977 est d’ailleurs la première de Rensenbrink où le club ne gagne aucun titre.
Mais sa place de finaliste en Coupe de Belgique face aux brugeois qui ont réalisé le doublé cette saison-là offre malgré tout au club une nouvelle participation à « sa » Coupe des coupes. Rensenbrink peut donc encore une fois illuminer sa compétition fétiche.
Presque champion du monde
Avec cinq buts de Rensenbrink en six matchs, Anderlecht atteint une nouvelle finale. Non sans s’être offert deux plaisirs au passage. Une victoire 8-1 en cumulé face au Lokomotiv Sofia en seizième de finale et surtout l’élimination d’Hambourg en huitième pour se venger de la finale précédente.
La finale voit les Belges affronter l’Austria Vienne au Parc des princes. Et c’est un nouveau doublé de Rensenbrink, complété d’un autre de Gilbert Van Binst, qui offre une victoire sans appel 4-0.
Rensenbrink aura donc emmené Anderlecht en finale trois fois consécutives, dont deux victoires, avec la bagatelle de vingt buts en vingt-six matchs. Dont quatre en trois finales.
A l’issue de cette saison 1977-1978, Rensenbrink part pour l’Argentine disputer le mondial avec la sélection néerlandaise. Promu leader offensif en l’absence de Cruyff qui est absent de la compétition, Rensenbrink va être à la hauteur de son rang.
Il inscrit un triplé face à l’Iran en ouverture et un but lors de la défaite en poule face à l’Ecosse. But qui restera dans les annales comme le millième de l’histoire de la Coupe du monde.
Mais son parcours exceptionnel va être terni par ce qu’il se passera en finale. Le score est de un but partout dans les arrêts de jeu lorsque Krol, le capitaine néerlandais, met une ouverture longue distance lumineuse pour Rensenbrink. Ce dernier réceptionne la passe dans le dos de la défense et s’en va affronter et battre Ubaldo Fillol, le gardien argentin. Mais le tir de Rensenbrink s’écrase sur le poteau droit de l’Albiceleste. La Hollande ne s’en remettra jamais. Et Rensenbrink vient de rater l’occasion de gagner à la fois la Coupe du monde et le trophée de meilleur buteur. Car Mario Kempes, avec qui il était à égalité jusque-là, crucifiera la Hollande en prolongation. Rensenbrink vient de manquer son rencard ultime avec la gloire. Celui qui aurait dû le consacrer à la hauteur de son talent. Même si des voix s’élèveront pour dénoncer un mondial truqué par la dictature militaire argentine. Certains joueurs hollandais reconnaîtront d’ailleurs en off qu’ils n’auraient pas été sûrs de quitter le stade vivants si Rensenbrink avait effectivement marqué.
La fin à Anderlecht, et la fin tout court
Après son excellent mondial, malgré la conclusion ratée, Rensenbrink revient à Anderlecht en espérant terroriser encore l’Europe.
Mais pour remonter au sommet européen, Anderlecht doit aussi reconquérir la Supercoupe d’Europe. Cette fois-ci, l’adversaire n’est plus un Bayern Munich en fin de course mais un fringant double champion d’Europe venu d’Angleterre : le Liverpool FC de Bob Paisley, tombeur du FC Bruges lors de leur dernière finale de C1 à Wembley.
Anderlecht a plus de mal que face aux bavarois. Une victoire 3-1 au Parc Astrid, avec encore un but de Rensenbrink, couplée à une défaite 2-1 à Anfield permettent aux bruxellois de reprendre aux forceps leur trophée gagné deux ans plus tôt.
Mais c’est le chant du cygne du génial néerlandais du côté de la capitale belge. Après ce trophée, il ne gagnera plus rien avec les mauves.
Il arrête sa carrière internationale à la fin de la saison 1978-1979 et quitte Anderlecht au cours de la saison suivante avec le bilan de 200 buts tout rond en 348 matchs dont 33 en 46 matchs européens, ce qui montre à quel point la coupe d’Europe était son terrain de jeu fétiche. Sur le plan individuel, il a gagné un titre de co-meilleur buteur du championnat belge en 1973 et un de meilleur joueur en 1976. En 1976, il inaugurera aussi le palmarès du trophée du Onze d’or, décerné au meilleur joueur mondial de la saison et élu par les lecteurs du magazine français Onze (devenu ensuite Onze Mondial). En 2008, il sera élu meilleur joueur de l’histoire d’Anderlecht à l’occasion du centenaire du club.
Il part alors aux Portland Timbers en NASL où il ne jouera qu’une saison en 1980.
Puis il revient finir sa carrière en Europe à Toulouse en D2. Saison bizarre où il ne jouera que douze match (mais sera gratifié du titre de champion de D2 remporté par les violets), à cause d’une mésentente flagrante avec l’entraîneur Pierre Cahuzac. « Il était impressionant racontera des années plus tard Jean-Philippe Durand, jeune pro toulousain et futur international. Mais il n’a pas eu le bon coach. Cahuzac imposait un marquage individuel aux onze joueurs et ne proposait aucune stratégie collective. Il avait une telle qualité footbalistique, une aptitude à faire jouer les autres et un pied gauche superbe, pourtant. »
« La seule chose que j’ai retenu de Cahuzac à Toulouse, c’est comment boire le pastis » ironisa le néerlandais des années après cette fin en eau de boudin.
Pendant sa retraite, Rensenbrink est resté philosophe sur une carrière certes très belle mais pas forcément à la hauteur de son immense talent : « Si ma frappe avait eu une trajectoire différente de cinq centimètres nous aurions été champions du monde. Accessoirement j’aurais été meilleur buteur et peut-être meilleur joueur du mondial en effectuant le même match. C’est pourquoi je relativise. » Retiré dans les environs d’Amsterdam, il n’a gardé aucune attache particulière dans le monde du football, préférant la pêche. Il est décédé à Oostzaan, sa ville d’origine, le 24 janvier dernier d’une amyotrophie spinale.
Sources :
– « Mort de Robbie Rensenbrink: les Pays-Bas pleurent un artiste, Anderlecht une icône.« , Eurosport.fr, 2020.
– « Rensenbrink, l’autre Cruyff…« , Sofoot.com, 2020.
– « Robbie Rensenbrink, une sortie sans lumière à Toulouse ».« , L’équipe.fr, 2020.
Crédits photos : IconSport