Il y a des années qui ne s’oublient pas. En France, tout le monde se souviendra pour l’éternité de 1998. Mais il y a une ville, un club, pour qui cette année si particulière représente plus encore qu’un titre de champion du monde. À Lens, 1998 rime avec historique : finale de Coupe de France, titre de champion de France et exploit européen retentissant. À tout jamais dans la légende Sang et Or.
Wembley. Une institution, un stade, une légende. Le Wembley de 1998 n’est pas celui de 2023. Mais ce stade, détruit au début des années 2000 pour être reconstruit en vue de la candidature de l’Angleterre pour recevoir la Coupe du Monde 2006, a marqué l’histoire du football anglais. Presque 80 ans de bons et loyaux services, dont la consécration a lieu en 1966 avec un titre de champion du monde pour les Three Lions au terme d’un match épique face à la RFA. Mais pendant tout ce temps, cet écrin ne réussit pas à la France. Le bilan est simple, aucune victoire, ni pour la sélection, ni pour un club. Tout ça avant l’année dorée, l’année historique : 1998. Et un club, le RC Lens.
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Au sommet du football français
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Cette citation de Mark Twain se rapproche peut-être le plus de ce qu’a réalisé le RC Lens. Le Mark Twain des sang et or, c’est le regretté Daniel Leclercq. C’est lui qui prend les rênes de l’équipe première en 1997, après le départ de Roger Lemerre pour l’équipe de France en vue de la Coupe du Monde. Bollaert aussi fait peau neuve. Désigné pour accueillir des matchs du Mondial, il voit sa capacité réduite à 42 000 places. C’est ici que la lumière vint de Laurent Blanc un soir de juin 1998. Pour Lens, l’objectif de la saison 1997-1998 est de finir entre la deuxième et la sixième place, dixit le druide Daniel Leclercq.
À l’automne, les sang et or sont dans les clous, sixièmes et invaincus à domicile. La seconde partie de saison sera épique. Treize victoires, un match nul et seulement trois défaites, dont une à domicile contre l’Olympique de Marseille. Le tournant a lieu à la 30e journée. Lens, deuxième au classement, se rend sur la pelouse du FC Metz, leader. Une victoire sur le score de 2-0 et voilà les Lensois en tête de la Première Division, place qu’ils avaient seulement occupée après… la première journée. Et une place qu’ils ne lâcheront plus. Avec un match nul lors de la dernière journée à Auxerre, Lens termine avec le même nombre de points que son dauphin messin. Mais avec une meilleure différence de but, ils sont sacrés champion de France pour la première et unique fois de leur histoire. Surtout, les voilà qualifiés pour la prochaine Ligue des Champions, l’occasion de se confronter aux plus grands d’Europe.
Un cadeau et beaucoup de plaisir
Un bourreau du RC Lens sur l’année 1998 s’appelle le Paris Saint-Germain. Le club de la capitale a éliminé les sang et or en demi-finale de Coupe de la Ligue avant de s’imposer une deuxième fois, en finale de Coupe de France. Des parcours qui font tout de même la fierté des Nordistes. L’été passe, Lens savoure, la France brille. Le pays bascule dans un autre monde. La tête dans les étoiles. Pour Lens, ce sont les étoiles de la Ligue des Champions. Les joueurs de Daniel Leclercq vont y participer pour la première fois. Et le tirage leur réserve une belle surprise : Arsenal.
Champions d’Angleterre en titre, les Gunners sont obligés de laisser leur stade d’Highbury pour la compétition européenne, car jugé trop petit. Direction Wembley donc. « Arsenal au tirage, c’est déjà un cadeau formidable, c’est le top en Europe. Le deuxième cadeau, c’est de savoir qu’on va jouer à Wembley parce qu’Highbury est trop petit. C’est purement exceptionnel », se remémore le portier Lensois Guillaume Warmuz. Pour tous, Arsenal est le grand favori du groupe. En plus des Gunners, Lens devra affronter le Dynamo Kiev et le Panathinaïkos.
Mais un mot revient à la bouche de tout le peuple sang et or : Wembley. D’autant que le scénario rend cette rencontre de la 5e journée cruciale. En championnat, Lens est en difficulté. Michaël Debève se souvient : « À cette période des matchs de poule, on n’était pas très bien en championnat, il y avait un peu le feu. Les matchs de Ligue des champions nous permettaient de garder la tête au-dessus de l’eau. » Dès la première journée, Lens résiste et accroche le match nul à la dernière minute face à Arsenal à Bollaert (1-1), grâce à un but de l’inévitable Tony Vairelles. Deux nuls, une victoire et une défaite. Le bilan est le même pour Arsenal et Lens, qui s’apprêtent donc à se retrouver en ce 25 novembre 1998, dans la mythique enceinte de Wembley.
Un match pour l’histoire
Le jour de gloire est arrivé. 73 707 personnes assistent à la rencontre, un record à l’époque pour Arsenal. De quoi effrayer les Lensois ? Pas vraiment. 8 000 supporters ont fait le court déplacement jusqu’au nord de Londres. Et dès le coup d’envoi, on n’entend qu’eux. Ils ne se sont pas trompés, et Jean-Michel Larqué le rappelle au début du match : « défaite interdite pour les deux équipes ». Sur le terrain, les cadres sont là. Warmuz, Déhu, Sikora, Vairelles… Côté Gunners, deux français sont titularisés par Arsène Wenger. Petit et Vieira ? Non, Rémi Garde au milieu et Nicolas Anelka à la pointe de l’attaque. C’est lui qui est le plus en vue en début de match, et sa vitesse pose quelques problèmes à la défense lensoise. « Dès le départ, on sent qu’ils essaient de muscler le jeu. Ils ont vite vu qu’on avait du répondant. » Michaël Debève se rappelle bien de ce match.
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La rencontre se tient à un rythme effréné et les occasions s’enchaînent. Dans son but, Warmuz est sur un nuage. Rien ne l’effraie. Il arrête d’une main le centre de Ljungberg, sort loin de son but devant Anelka, bloque la frappe puissante de Parlour. Si bien qu’à 0-0 à la mi-temps, tout le monde se dit qu’il y a un gros coup à réaliser. Un homme le sait plus que les autres, c’est Daniel Leclercq. Il le dira à ses joueurs : « les gars, il y a quelque chose à faire ». Arsenal déjoue. Beaucoup d’erreurs, de ballons perdus. Et petit à petit, les Lensois se rapprochent de la cible. Devant, Nouma ne concrétise pas ses nombreuses occasions. Warmuz continue sur sa lancée, Déhu est infranchissable derrière, et Smîcer est tel un maestro.
C’est de lui que le moment de grâce vient. À la 72e minute, il rentre dans la surface de réparation, élimine Dixon d’un crochet dévastateur puis envoie un centre-tir qui passe devant le but. Personne ne touche le ballon et au second poteau, à la limite du hors-jeu, Michaël Debève pousse le cuir au fond des filets. Plein d’émotions, le coach sang et or se rappelait de ces vingt dernières minutes à Bolla… Wembley. « C’est la première fois que ça m’arrivait : on mène 1-0 et je ne regarde plus le match. Je regarde les supporters lensois. Il y a 70 000 ou 80 000 personnes dans le stade, mais on se croirait à Bollaert. On est à Bollaert ! »
« On est chez nous »
Les vingt dernières minutes de cet Arsenal – Lens sont pleines de tension. Les fautes s’enchaînent dans une ambiance complètement dingue. Les supporters lensois se font encore plus entendre que pendant les soixante-dix minutes précédentes. « On est chez nous » ou encore « on vient, on gagne et on s’en va » résonnent dans un Wembley groggy.. Yoann Lachor, titulaire en défense, se rappelle très bien : « Les supporters, ils étaient des milliers à être venus. Il y avait vraiment une ambiance de fou. » Des supporters qui replongeaient également dans l’euphorie du 12 juillet 1998. « Et un, et deux, et trois zéros », scandent les 8 000 Lensois. Le 3-0, les Lensois n’y arrivent pas, même s’ils ont tout fait pour marquer ne serait-ce qu’un deuxième but, avec l’entrée remuante de Wagneu Eloi. Puis le fameux air de « I Will Survive » retentit aussi du virage. Une ambiance de fête, un moment unique, qui se termine dans la confusion sur le terrain. Parlour est expulsé côté Gunners suite à un mauvais geste à destination de Cyril Rool. Quelques secondes plus tard, c’est Tony Vairelles qui se voit exclu, à sa plus grande surprise.
« Je regarde tout ça, et là je sens quelqu’un qui vient me rentrer dedans avec son épaule. Et le mec, il tombe par terre ! Je me retourne, je me demande s’il fait pas un malaise, je suis étonné. Et là, t’as tous les mecs d’Arsenal qui se retournent vers nous, qui me courent dessus. Adams me chope même par le colbac. L’arbitre arrive près de nous, il écarte les joueurs d’Arsenal, je me dis : « C’est bon, il a compris. » Il me met à l’écart, se retourne, main à la poche, bam, carton rouge. » Tony Vairelles à propos de son carton rouge.
Aucun ralenti ne montrera la scène, mais le mal est fait. Il ratera la dernière rencontre décisive face au Dynamo, tout comme Sikora et Rool, averti pendant le match. Des pertes importantes qui furent fatales. Mais sur le moment, l’euphorie permet d’oublier les suspensions. Oui, le RC Lens vient de s’imposer sur la pelouse de Wembley face à Arsenal.
Un moment de grâce
Arsène Wenger ne serre pas la main de Daniel Leclercq. Soit. Les minutes qui suivent le coup de sifflet final paraissent éternelles. Les héros du jour restent longtemps célébrer avec leurs supporters. Pendant ce temps, David Seaman, le portier d’Arsenal, attend Guillaume Warmuz pour le féliciter. Des moments que les Lensois n’oublieront jamais, et veulent graver dans leur mémoire.
« Je ne sais pas pourquoi, je ressors par le tunnel et je vais m’asseoir sur le premier strapontin. Il n’y avait plus personne dans le stade et je suis resté cinq, dix minutes à savourer, en plénitude après l’euphorie, tout seul. Voilà, j’ai gagné à Wembley, je suis le premier Français à gagner là-bas, là où le cœur du foot a été inventé. » Guillaume Warmuz à So Foot.
Lens est à un match nul d’une qualification historique en quart de finale de la plus belle des compétitions. Les absences pèsent, et Lens s’incline à Bollaert face au Dynamo Kiev, qui termine en tête de la poule et ira jusqu’en demi-finale. Les sang et or terminent à une belle seconde place, insuffisante toutefois pour continuer l’aventure européenne. Mais ce 25 novembre 1998, tout le peuple lensois a fait rêver la France.
Plus de 24 ans après, les souvenirs sont présents chez les supporters lensois. Daniel Leclercq, décédé en 2019, a été érigé en légende. Quelques mois après cet exploit retentissant, l’équipe de France s’impose à son tour à Wembley grâce à un doublé de… Nicolas Anelka. Lens avait ouvert la voie.
Sources :
- Philippe Broussard, « La rénovation de Wembley désespère la vieille Angleterre », Le Monde, 25 novembre 1998.
- Simon Butelle et Eric Carpentier, « Le jour où Lens s’offrait la première victoire française à Wembley », So Foot, 25 novembre 2018.
- « Wembley : des bleus, des bosses », Les Cahiers du Football, 15 novembre 2010.
Crédits photos : Icon Sport