En 1920, à Anvers, la Belgique remporte son premier succès en compétition officielle. Un an après, Raymond Goethals naît à Bruxelles. Si Raymond est né sous les meilleurs auspices, durant sa jeunesse, le football belge ne décolle pas. À l’entame des années 1960, les faits d’armes du football belge ne sont pas légion, pour ne pas dire inexistants.
La venue de Raymond au football est modeste. Le Bruxellois évolue au poste de gardien de but pour des clubs belges de seconde zone. Dès la fin de sa carrière, il entame une reconversion d’entraîneur dans son ancien club du RFC Hannutois. Un passé dans lequel il tire sûrement ses plus grandes forces, son humilité, son franc-parler et une profonde connaissance de son sport. Goethals est un individu à part, tout à fait iconoclaste. Maladroit à l’envie, son accent bruxellois amplifie son air goguenard. Le genre d’individu que l’on voit rarement dans le football entre spontanéité, innocence et obstination. C’est aussi un look, imper beige, mèche à la Colombo et cigarette au coin des lèvres. Pourtant, peu d’entraîneurs cumulent un sens tactique si aiguisé et des qualités managériales aussi développées.
Il se révèle aux yeux du Royaume à partir de 1959 avec Saint-Trond où, malgré de faibles ressources, il attire le regard des suiveurs du championnat belge. En 1966, il parvient même jusqu’à la deuxième place d’un championnat outrageusement dominé par Anderlecht. Un succès qui vient avant tout de derrière, habitué à observer son équipe depuis les cages, la défense représente pour Goethals, les fondations de son équipe. « On ne construit pas un building en commençant par le dixième étage ! »
Le sorcier plaisante de tout, sauf de la solidité défensive, car oui, pour lui, une défense solide est un premier pas vers la victoire. Et que cela soit aux cartes dans un café d’Anderlecht ou sur un terrain de foot, Goethals n’envisage pas la défaite : « Si je peux gagner par un demi à zéro, cela me suffit. »
Au chevet des Diables Rouges
Séduite par son travail à Saint-Trond, la Fédération belge intègre le coach de 45 ans au staff des Diables Rouges. La Belgique est alors au plus mal, aucune compétition internationale disputée depuis 1954, et elle vise à intégrer le concert des nations du football. Risée de l’Europe, la Belgique est surnommée ironiquement « championne du monde des matchs amicaux ». Goethals reléguera rapidement ce sobriquet à l’état de vague souvenir. Il a de l’ambition pour les Diables Rouges et compte sur son apport tactique pour métamorphoser la sélection. Et l’espoir existe, Paul Van Himst, star d’Anderlecht, semble capable d’emmener les Diables Rouges dans son sillage vers le championnat d’Europe et la coupe du Monde.
Après des éliminatoires pourtant convaincants, les Belges échouent à atteindre la phase finale du championnat d’Europe 1968. Raymond Goethals hérite alors du fardeau de ramener la Belgique en compétition internationale. Celui que l’on surnomme « le sorcier », s’appuie alors sur un groupe réduit, Goethals fonctionne à la confiance. Obsédé par la victoire, Raymond cherche ses relais sur le terrain, des acharnés de la victoire, des joueurs pour qui seul le foot compte. Peu importe la qualité technique des joueurs, pour plaire à Raymond, il faut dégager cette capacité à tout sacrifier, à monter au front. Et ses joueurs en sont bien conscients. Odilon Polleunis, passé sous les ordres de Goethals à Saint-Trond, est directement installé dans le onze belge. Le succès est immédiat, Polleunis plante cinq pions et permet aux Diables Rouges d’accéder à la coupe du Monde 1970. Seize ans après, la Belgique retrouve le Mondial, pour l’une de ses plus belles éditions. Malgré son humilité, Raymond la science ne se déplace pas au Mexique pour faire du tourisme. Sous son air joyeux et son plaisant accent bruxellois, Goethals est animé par la victoire. Pas la victoire finale, non, pas maintenant. On commence par le début, Raymond Goethals pose la première pierre de l’existence du football belge à l’ère moderne, une première victoire en coupe du Monde. Une victoire contre le Salvador avant de perdre contre l’URSS et le Mexique.
Goethals n’a pas bousculé la hiérarchie du football mondial, mais il a le mérite d’essayer d’y faire sa place. En quelques années à la tête de la sélection, Raymond Goethals a su trouver ses hommes de confiance, ses cadres (Raoul Lambert, Odilon Polleunis, Christian Piot, Paul Van Himst, Erwin Vandendaele). Le football belge connaît enfin un horizon dégagé. Cette génération pionnière se qualifie brillamment pour la phase finale du championnat d’Europe 1972. Les Diables Rouges écartent l’Italie vice-championne du monde en titre pour accéder aux demi-finales. La RFA sera une épreuve trop difficile pour les Belges qui décrochent tout de même une troisième place historique. Les communautés belges commencent alors, à l’unisson, à vibrer au rythme des exploits des Diables Rouges.
La rumeur monte et la coupe du Monde 1974 se fait attendre. Pour les qualifications, la Belgique tombe sur un os, l’un des favoris à la victoire finale, les Pays-Bas de Johan Cruyff. Le football hollandais est à son apogée et nourrit un nouveau complexe d’infériorité belge par rapport à son voisin. Mais la Belgique est en confiance, pour le dernier match de la poule, les Pays-Bas et la Belgique s’affrontent à Amsterdam. Les deux nations sont à égalité, la Belgique n’a pas concédé le moindre but mais accuse un retard au goal-average.
Alors que les Pays Bas dominent largement, Goethals voit la qualification lui échapper. Quelques secondes avant la fin de la rencontre, Van Himst s’apprête à tirer l’ultime cartouche belge. Le coup franc est bien placé, côté gauche. Paul Van Himst envoie un extérieur millimétré au second poteau, puis dans la stupeur amstellodamoise, Jan Verheyen surgit pour couper la trajectoire. La Belgique y croit, mais le but est refusé pour un hors-jeu litigieux. Malgré l’échec final, les Diables Rouges ont fait bonne impression et inspirent une future génération de footballeurs. En 1976, c’est encore face aux Pays-Bas que la Belgique échoue à se qualifier pour les demi-finales de l’Euro. Raymond Goethals se retire alors en son poste d’entraîneur fédéral (comme on dit en Belgique), après avoir transfiguré les Diables Rouges.
Le travail abattu par le Bruxellois a aiguisé les appétits et participe à l’émergence d’une nouvelle génération de footballeurs talentueux et plus généralement au début de l’âge d’or du football belge. Sous l’égide de son successeur, Guy Thys, les Diables Rouges seront vice-champions d’Europe en 1980 et demi-finalistes du mondial 1986.
Les gloires européennes d’Anderlecht
Naturellement, pour son retour au football de club, c’est à Bruxelles que Goethals pose ses valises, à Anderlecht plus précisément. Contrairement à ses précédentes expériences, le club qu’il reprend est au sommet de sa gloire. En 1976, les Mauves viennent de remporter la coupe des vainqueurs de coupes face à West Ham, le premier trophée continental du football belge. Logiquement, le premier test pour Raymond la science est la supercoupe d’Europe contre le Bayern Munich. Raymond Goethals reconduit peu ou prou l’équipe de la saison précédente, tout en lançant le jeune Franky Vercauteren. Son équipe s’appuie sur des internationaux belges et quelques hollandais dont l’international Robby Rensenbrink. Véritable artificier, le Batave est le joueur phare du club bruxellois. Face au Bayern, il ne manque pas de se mettre en évidence et inscrit deux des quatre buts bruxellois du match retour. Malgré une défaite à l’aller, Goethals tape fort et remporte la supercoupe d’Europe.
Sur le plan national, Anderlecht ne parvient pas à ébranler la domination du Club Bruges, mais les performances européennes restent excellentes. Peu habitué aux émotions européennes, le public belge en redemande, il sera servi. Les Mauves semblent bel et bien capables de réaliser le back to back. Ils éliminent successivement le Roda JC, Galatasaray, Southampton et Naples avant de défier Hambourg en finale. Le jeu offensif des Anderlechtois n’est pas récompensé, les hommes de Goethals concèdent deux buts sur des contre éclair et le titre leur échappe. Un mois plus tard, Goethals échoue encore en finale de coupe de Belgique, mais se qualifie tout de même pour la C2 (Bruges ayant fait le doublé).
Une aubaine pour Goethals, cette fois-ci, la chance ne lui échappera pas. Le football belge est en pleine bourre et outre Anderlecht qui tape à la porte du gotha européen, Bruges porte aussi dans toute l’Europe, les couleurs du Royaume. Alors que Bruges échoue de justesse en finale de C1, Goethals emmène une nouvelle fois sa bande en finale de C2. L’équipe s’appuie toujours sur les mêmes hommes de confiance (Van der Elst, Van Binst, Vercauteren, Rensenbrink, Haane) une constante chez Goethals. Les Mauves se vengent et se payent Hambourg récemment renforcé par l’arrivée de Kevin Keegan.
Les Bruxellois se frayent facilement un chemin vers la finale où les Autrichiens de l’Austria Vienne font figure de petit poucet. En quelques années, le statut d’Anderlecht a profondément évolué en faisant désormais une équipe redoutée au niveau européen. Au Parc des Princes, les supporters belges sont venus en nombre pour assister au deuxième sacre européen de leur équipe favorite. La finale est une formalité pour les hommes de Goethals qui balayent les Autrichiens (4-0). Pour la première fois, à Paris, on célèbre un titre européen.
L’homme à la mode du football belge échoue, pour un point, à devancer Bruges en championnat. Il se console en glanant une seconde supercoupe d’Europe, au détriment de Liverpool cette fois-ci. En profitant du précieux travail de son prédécesseur, Goethals parvient, en s’appuyant sur un groupe restreint mais talentueux, à faire d’Anderlecht une des meilleures équipes d’Europe. Des résultats qui permettent à Rob Rensenbrink de se hisser pour la deuxième fois sur le podium du Ballon d’or. La troisième et dernière saison de Raymond la science sur le banc des Mauves sera plus décevante avec une élimination prématurée en C2. Si Goethals a envie d’ailleurs, il ne profite pas de ses succès pour rejoindre un grand club européen. Il débarque en cours de saison 1979/1980 à Bordeaux pour reprendre une équipe engluée dans le fond du classement, et donner corps à l’ambitieux projet de Claude Bez. Malgré quelques mois convaincants, Goethals renonce à poursuivre l’aventure, éconduit ses courtisans (Porto, Benfica, Anderlecht) et, empêtré dans un divorce douloureux, Raymond prend de la distance.
Le technicien bruxellois quitte l’Europe, séduit par une aventure brésilienne. Un séjour court mais fructueux sur le banc de São Paulo. Raymond la science s’adjuge tranquillement le championnat paulista avec 19 victoires en autant de matchs. Calmement, la réputation de Goethals traverse les frontières. Assez pour que la Belgique exige le retour de son héraut. En 1981, c’est le Standard de Liège qui contacte le technicien pour lui proposer un nouveau défi. Les Rouches attendent un triomphe national depuis 1971. Séduit, Goethals succède à Ernst Happel sur le banc du Standard.
Standard et magouilles
Lassé de voir Bruges et Anderlecht dominer le championnat, le secrétaire général du Standard, Roger Petit, parvient donc à convaincre Raymond la science. Pas besoin d’aligner les zéros, c’est l’aspect sportif qui convainc Goethals qui déclarait d’ailleurs : « Je n’ai pas beaucoup de dépenses à part mes paquets de Belga et ma teinture. » De plus, cet inlassable gagnant doit encore ajouter le championnat de Belgique à son palmarès. Sous Goethals, les Standardmen réalisent une saison plus qu’aboutie, à quelques journées de la fin du championnat, le titre leur tend les bras. En parallèle, l’entraîneur bruxellois a sublimé son équipe dans sa compétition favorite, la coupe des vainqueurs de coupes. Sans jamais perdre, les Liégeois rejoignent le FC Barcelone en finale après avoir sorti le tenant du titre, le Dinamo Tbilissi, et le FC Porto.
Le 8 mai 1982, quatre jours avant d’aller défier le Barça au Camp Nou (le hasard était du côté du Barça), le Standard affronte Waterschei pour l’ultime journée du championnat. Un résultat est indispensable pour s’adjuger le championnat, mais les deux équipes ont des échéances à venir la semaine suivante, le Standard la C2 et Waterschei la finale de coupe de Belgique. Si proche du but, la panique monte en Wallonie et la corruption de commodité vire à la paranoïa. Le Bruxellois convainc son président, Roger Petit, de frapper le premier affirmant même : « Si on ne le fait pas, les autres le feront. » Le capitaine du Standard, Eric Gerets, approche alors ses homologues de Waterschei. Il serait dommage que des joueurs se blessent à un moment si décisif pour les deux clubs. Ni vu ni connu, le Standard lance une cagnotte, notamment alimentée par les primes de match des joueurs, puis Gerets remet une valise remplie de billets au capitaine de l’équipe adverse. Champion de Belgique pour la première fois, Goethals s’envole en Catalogne l’esprit léger, on vous l’a dit, la gagne à tout prix. La rencontre commence idéalement pour les Standardmen qui ouvrent le score avant d’être fatalement repris par les stars locales Quini et Simonsen.
L’année suivante, Raymond la science entérine le renouveau du football wallon et s’adjuge un nouveau championnat de Belgique. Alors que tout se passe à merveille, les vieux dossiers du Standard refont surface. Le 29 février 1984, alors que les Diables Rouges se préparent pour l’Euro 1984 en France, les locaux du Standard sont perquisitionnés. La corruption ne fait plus de doutes. Une affaire qui précipite la fin de la belle époque du Standard, et qui va durement impacter l’équipe nationale. Profondément divisée, la sélection belge se fait balayer par l’équipe de France 5-0 au Stade de la Beaujoire. L’opprobre s’abat sur Liège, Roger Petit est radié à vie de toute activité en lien avec le football, Goethals ne passe pas loin de la même sanction tandis que Gerets, Preud’homme et les autres cadres sont suspendus un an.
Renoncer au football n’est pas une option pour Goethals qui s’exile alors au Portugal pour diriger le Vitoria Guimarães. Au terme d’une saison sans relief, le coach retrouve sa Bruxelles natale en qualité de manager général du modeste Racing Jet Bruxelles. Heureux de pouvoir retrouver sa ville natale et le football, il effectue, en 1987, son retour à Anderlecht. Un bref passage de deux ans, le temps de remporter deux coupes de Belgique et retrouver la coupe des vainqueurs de coupes.
En 1989, les affaires de corruption ou d’achat de matchs ne font pas peur au sulfureux Claude Bez. Lui-même exposé aux poursuites judiciaires, ce n’est pas le juge d’instruction mais bien Bernard Tapie qui hante les nuits du notable bordelais. La victoire de l’OM l’an passé a été l’affront de trop, et c’est pour conquérir l’hexagone que le Bordelais contacte le Belge. Bez se veut ambitieux et engage la pépite belge du moment, Enzo Scifo. Mais l’Italo-Belge ne s’intégrera jamais, Raymond Goethals le considère comme un joueur inutile, inefficace et le condamne rapidement au banc de touche. Têtu, Goethals n’accordera jamais de seconde chance à Scifo. Ravi du départ de Scifo, le Bruxellois souhaitera bien du courage à Guy Roux pour faire briller le talentueux numéro dix. Pourtant, sous les ordres du Bourguignon, Scifo explose enfin. Malgré une seconde place probante obtenue lors de l’exercice précédent, la pression s’accentue sur Claude Bez et les Girondins en proie à de grandes difficultés financières. Goethals est remercié après trois journées seulement, une aubaine pour le rival marseillais.
Raymond le Provençal
Raymond la science redevient tranquillement Raymond Goethals pendant six mois et reprend ses habitudes d’arpenteur des cafés bruxellois. Une tranquillité éphémère. Au début de l’année 1991, Bernard Tapie contacte le flegmatique septuagénaire. Sans détour, l’homme d’affaire intime à Goethals de le rejoindre : « Tu m’as tellement fait chier l’année dernière, je veux que tu viennes à Marseille. » Appelé à la rescousse pour remplacer Franz Beckenbauer, c’est la chance d’une vie pour le Belge. Sans doute amusé par ce président un peu fou, Goethals accepte le défi.
À son arrivée, on se demande bien ce que Bruxelles et Marseille ont en commun. Beaucoup de choses visiblement, puisque le Belge déclare : « Marseille ? J’y suis venu parce qu’ici, les gens sont aussi fous que moi ! » Une proximité inattendue se crée immédiatement. Si la figure de Beckenbauer intimait le respect, Goethals transpire la sympathie et l’humilité. La gouaille du Bruxellois plaît en Provence. Conscient de la qualité phénoménale de son effectif, le Belge s’attelle à trouver ses hommes de base nécessaires à chacun de ses succès. Deschamps, Pelé, Boli, Di Meco et Papin seront à la hauteur de la confiance du Belge. Il réussit à fédérer son groupe autour de son air débonnaire, la réelle prouesse consistant à dissimuler le stress inhérent au contexte marseillais. Lorsqu’Eric Cantona déclare qu’on ne le met pas sur le banc et réclame une place de titulaire, que fait Goethals ? Simple, il explique franchement, sans détour et non sans ironie à Cantona qu’il n’a pas sa place dans le onze et que, s’il ne veut pas prendre place sur le banc, il n’a qu’à prendre une chaise et s’installer à côté. Pour distraire la presse marseillaise ? Eh bien Raymond invente des blessés.
Un flegme qui s’avère essentiel pour survivre dans les Bouches-du-Rhône. Le précédent entraîneur, Franz Beckenbauer, lessivé, n’a supporté Bernard Tapie que pendant quatre mois avant de céder sa place d’entraîneur. Et si les immixtions de Tapie sur le terrain sportif irritaient Beckenbauer, Goethals ignore tout simplement les commentaires de son président.
« Tapie, il débarquait avec sa tactique, puis Goethals faisait à sa sauce, souvent complètement l’inverse. Mais il avait l’intelligence de faire croire au président qu’il avait raison ! »
Durant son passage à Marseille, Bernard Tapie imprime une pression intenable, il menace régulièrement son entraîneur de le virer. Le Belge, lui, demande simplement à être prévenu en avance afin de pouvoir prendre le dernier avion pour Bruxelles. Après une énième incursion de Tapie dans le vestiaire marseillais, Goethals n’hésite pas à prendre le contre-pied du boss : « J’espère que vous n’avez pas écouté toutes les conneries qu’il vient de raconter. »
Une apparente décontraction appréciée par le vestiaire Marseillais, et puis Goethals est conscient qu’il entraîne la meilleure équipe de sa carrière et l’une des meilleures équipes du monde. Le Bruxellois accorde donc une importance primordiale à la cohésion du groupe. Ce sera pour lui, la voie du succès. Il ne se prive néanmoins pas, pour formater les joueurs à son schéma tactique, en particulier les défenseurs qu’il aime voir évoluer loin de leur but. En 30 ans de carrière, le Belge s’est adapté aux évolutions de son temps. L’OM défend en zone et se déplace en bloc. Raymond dédie sa vie au football et quelques minutes lui suffisent pour déceler les forces et faiblesses de ses adversaires. Le rapport de Goethals à son vestiaire, c’est sans doute Basile Boli qui en parle le mieux :
« Avec Raymond Goethals, j’ai retrouvé le côté papy de Guy Roux, mais en moins compliqué. J’étais donc heureux. Goethals n’était pas très difficile, il avait son équipe en tête, un onze auquel il ne dérogeait quasiment jamais. Il aurait quasiment pu aligner les mêmes hommes pendant 30 ans ! Il ne pratiquait pas trop la rotation, tant il avait confiance en ses joueurs. Il en avait juste deux ou trois pour compléter quand il fallait tuer un match, pallier une blessure, etc. Mais le reste du temps, il allait au combat avec ses mêmes onze guerriers. C’était un entraîneur “à l’ancienne”, qui avait de l’affect pour ses joueurs, qui avait de l’expérience et de l’intelligence tactique. »
À la conquête de l’Europe
Recruté pour gagner la C1, Goethals ne fait que peu de cas du championnat de France qu’il considère bien inférieur au championnat belge. En 1991, le troisième titre consécutif de champion de France est glané aisément. En C1, par contre, l’affaire est plus sérieuse. Et si les faits d’armes des équipes entraînées par Goethals en C2 sont nombreux, le succès le fuit dans la plus grande des coupes d’Europe. Que cela soit à la tête du Standard ou d’Anderlecht, le sosie officieux de Colombo n’a jamais dépassé les quarts de finale. Goethals ne bénéficiera pas de tour de chauffe. Pour son premier match européen sur le banc olympien, il hérite directement du Milan d’Arrigo Sacchi. Même privé de Marco van Basten, le Milan est un monstre qui terrorise l’Europe depuis maintenant deux années. Un adversaire à la hauteur du talent tactique de Goethals.
Goethals raffole de ce genre d’opposition. Il n’est pas un révolutionnaire du foot comme Cruyff ou Sacchi, mais il sait exactement comment faire déjouer les plus grands tacticiens. À San Siro, Goethals aligne une défense à trois avec Mozer, Casoni et Boli, qui se positionne très haut sur le terrain. Raymond la science prend Sacchi à son propre jeu, le pressing marseillais étouffe les Milanais qui, quand ils cherchent la profondeur, se retrouvent régulièrement pris au piège du hors-jeu. Après un match nul à l’aller (1-1) l’OM est en ballottage favorable. Au retour, Marseille tient le choc avant que l’attaque marseillaise se mette en action. Centre d’Abedi Pelé, tête de Papin, reprise de Waddle. Marseille écarte le grand Milan. Il ne reste qu’une poignée de minutes à jouer, la victoire semble acquise quand l’éclairage du Vélodrome lâche. Les Milanais veulent profiter de l’incident technique pour obtenir une victoire sur tapis vert. Alors que l’éclairage est rétabli, les Milanais ne reviennent pas sur la pelouse. Milan est finalement disqualifié et sera même suspendu pour l’édition 1991/1992.
La voie est tracée, l’OM se dirige vers un nouveau titre en championnat et dispose sereinement du Spartak Moscou en demi-finales de C1. En finale, l’Étoile rouge de Belgrade affiche le visage de l’outsider. Les observateurs prédisent beaucoup de souffrance aux Yougoslaves face à un OM en pleine bourre. Pourtant, et c’est symptomatique de l’approche de Goethals, cet OM n’assume pas son statut de favori et est plus à l’aise dans le rôle de l’outsider. À Bari, Belgrade, malgré ses talents (Pancev, Savicevic, Mihajlovic), ferme totalement le jeu. L’OM ne se lance jamais vraiment et ne parvient pas à manœuvrer le verrou Yougoslave. La suite est connue, l’OM laisse filer sa chance aux tirs au but.
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Goethals vieillissant sent qu’il vient de laisser passer la chance de sa vie. Le Belge prend un peu de hauteur et devient manager, tandis que Tomislav Ivic s’installe sur le banc. Le début de saison est catastrophique, Marseille, bâtit pour l’Europe est éliminé dès les huitièmes de finale par le Sparta Prague. Le retour de Goethals sur le banc permet à l’OM d’écraser une nouvelle fois le championnat. La situation se reproduit la saison suivante, Jean Fernandez débute sur le banc mais laisse rapidement sa place au Bruxellois. Celui-là, il l’espère, sera son dernier run. Certes, Raymond Goethals est fatigué et vieillissant (71 ans), mais son amour du foot le pousse à continuer, il ne sera libéré qu’une fois qu’il aura soulevé la C1.
Avant d’attaquer ce nouvel exercice, l’équipe marseillaise n’est pas la plus talentueuse de l’ère Tapie : Papin, Waddle et Mozer quittent le navire. Pour les suppléer, Barthez, Dessailly et Völler arrivent sur la Canebière. Le championnat se déroule comme à l’habitude et Marseille domine tranquillement les clubs de l’Hexagone. En Europe, pareil, sans difficultés, les Olympiens accèdent à la phase de groupe (le premier de la poule accède directement à la finale). Le FC Barcelone, tenant du titre, ne parvient pas à accéder aux poules, une seule équipe semble alors armée pour stopper la progression marseillaise, l’AC Milan, évidemment. Les hommes de Goethals ne concèdent pas une seule défaite durant la phase de poule, et décrochent leur billet pour la finale avec un point d’avance sur les Glasgow Rangers. Dans l’autre poule, le Milan de Capello est encore plus glaçant que celui de son prédécesseur. Six matchs, six victoires, onze buts marqués, un seul encaissé. Le Milan de Capello est un ogre qui ne laisse rien passer. Cette saison, Milan avale une nouvelle fois le championnat.
La configuration idéale finalement pour Raymond Goethals qui concocte une nouvelle défense à trois pour défier les Milanais. Le Belge aligne Di Meco à gauche et, plus surprenant, Abedi Pelé côté droit. Un milieu à trois capable de supporter l’impact physique milanais : Sauzée-Deschamps-Eydelie. Et, devant, Rudi Völler, qui décroche et oriente, épaule Alen Boksic. En face, l’armada milanaise est au complet, à l’exception de Gullit suspendu. En coulisse, Berlusconi insiste pour que Van Basten, blessé, débute le match. La rencontre est fermée, le bloc marseillais attend et les attaquants milanais se retrouvent facilement sous la pression d’un des centraux marseillais. L’AC Milan domine mais Barthez joue les hommes providentiels, puis à moins d’un quart d’heure de la mi-temps, Basile Boli se blesse dans un contact. Alors que Goethals prépare le changement, Tapie imite Berlusconi et ordonne à son entraîneur de laisser Boli sur le terrain. Confus, Boli demande des explications à son entraîneur : « L’autre con ne veut pas que tu sortes. » Seulement voilà, dix minutes plus tard, Boli monte sur le corner, s’élève entre trois joueurs et marque de la tête. Le reste appartient à l’histoire.
Raymond Goethals peut être fier, il a enfin réussi à remporter la plus grande des compétitions européennes, il devient le plus vieil entraîneur à remporter la C1. Après le match, alors que le stade et le terrain se sont vidés, Goethals demeure seul, face à sa carrière. Le Bruxellois est alors rejoint par Basile Boli. Soulagé, il lui lance « tu vois, Basile, j’ai toujours couru derrière cette coupe aux grandes oreilles. Maintenant, je l’ai. Quand je partirai, mon nom sera dessus. Toi, tu es encore jeune, tu peux encore voir venir… » Une juste récompense pour un passionné qui aura fait du football belge une référence continentale avant d’écrire la plus belle période de l’Olympique de Marseille. Raymond Goethals aura marqué son époque par ses qualités tactiques, sa capacité à déjouer les plus grands stratèges de son époque et un caractère attachant.
Sources :
- « Le sorcier belge de Marseille Derrière le succès de l’Olympique de Marseille, vainqueur du championnat de France un entraîneur étranger haut en couleur : Raymond Goethals », Le Monde, 19 mai 1991.
- CHARAF, « Analyse du match Olympique de Marseille – AC Milan, la finale du 26 mai 1993 », Ultimo Diez, 26 mai 2017.
- JOUS Manu, « Hommage à Raymond Goethals : Basile Boli se souvient », RTBF, 6 décembre 2018.
- POTET Frédéric et STROOBANTS Jean-François, « Raymond Goethals, le Bruxellois qui avait conquis Marseille », Le Monde, 7 décembre 2004.
Crédits photos : Icon Sport