Avec 117 titres remportés en 150 ans d’histoire, le Rangers FC est le club le plus titré au monde. Mais parmi ces trophées, un seul s’est fait sur la scène européenne. Il s’agit de la Coupe des coupes (C2), compétition disparue depuis, conquise en 1972, pour les 100 ans du club. Une épopée épique à jamais dans l’histoire.
Le début des années 1970 est une période plutôt sombre pour les Rangers. Tout le monde a en mémoire le « désastre d’Ibrox » qui causa la mort de 66 personnes, dont beaucoup étaient mineures, et plus de 200 blessés. Une catastrophe survenue lors du Old Firm face au Celtic, ennemi juré et autre grand d’Ecosse, lorsque les Rangers égalisent quelques secondes après avoir encaissé l’ouverture du score en fin de rencontre. Un drame qui changea à tout jamais le football écossais, ainsi que la sécurité dans les stades. Sur le plan sportif, les Rangers sont à la peine derrière leurs rivaux du Celtic. Mais ces derniers peuvent se vanter d’avoir remporté le trophée le plus prestigieux de tous : la Coupe des clubs champions européens, l’ancêtre de la Ligue des Champions, en 1967, une semaine après la défaite en finale de Coupe des coupes… des Rangers. Quelques années plus tard, lors de la saison 1970-1971, les Rangers finissent à la quatrième place du championnat d’Ecosse, se qualifiant donc pour la prochaine édition de la Coupe des coupes.
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Une édition haut de gamme
Cette édition 1971-1972 de la Coupe des coupes ne ressemble à aucune autre. Des grands noms figurent sur la liste des équipes engagées : Liverpool, Chelsea, Barcelone ou encore le Bayern Munich. Pour les Rangers, le parcous sera semé d’embûches. Une campagne européenne épique qui démarre en France, à Rennes, premier adversaire des Teddy Bears. Des ours prêts à rugir, mais que rien ne prédestinait à un tel destin. Au premier tour, les Rangers triomphent timidement de Rennes. Après un match nul (1-1) en France, les écossais s’imposent sur le plus petit des scores, suffisant pour se qualifier en huitièmes de finale. Une équipe combattante, mais qui pratique de « l’anti football » pour le coach des Bretons Jean Prouff. Rennes nourrit bien des regrets mais ne parvient pas à se défaire du piège écossais. Un premier tour pourtant prolifique, qui voit le Sporting s’imposer 7-0 sur l’ensemble des deux matchs face au club norvégien de Lyn et Chelsea écraser les luxembourgeois de la Jeunesse Hautcharage… 21-0 en deux rencontres. C’est face au Sporting que les Rangers sont confrontés en huitièmes de finale, une rencontre au dénouement improbable.
Une défaite pour une qualification
Au moment d’évoquer cette double confrontation face au Sporting, impossible pour les joueurs de l’époque d’oublier ce scénario complètement fou. Peter McCloy, le gardien des Rangers, qualifie cet affrontement de « fiasco du Sporting ». Ou quand un arbitre a du mal à comprendre les règles. Les écossais s’imposent à domicile sur le score de 3-2. Avant le match retour, le trajet devient un calvaire lorsque le brouillard retarde le départ de leur avion. Résultat, les Rangers arrivent sur place à peine 24 heures avant le coup d’envoi. Cette fois-ci, ce sont les portugais qui s’imposent trois buts à deux sur leur pelouse. Direction les prolongations, où chaque équipe va marquer un but. 6-6 sur l’ensemble des deux matchs, mais la règle du but à l’extérieur, mise en vigueur quelques années plus tôt, est censée donner la victoire aux Rangers. Censée, car l’arbitre ordonne une séance de tirs au but. Le capitaine John Greig a beau protester, rien n’y fait. Dans un stade Jose Alvalade chauffé à blanc, où les supporters descendent au bord de la pelouse pour assister à la séance des tirs au but, les Rangers craquent. Avec deux échecs, ils s’inclinent. La pelouse est envahie, Dimas, le gardien du Sporting est porté en héros. William Waddell, le coach écossais, rentre au vestiaire en larmes devant cette injustice. Avant que l’impossible se produise. Un journaliste écossais, John Fairgrieve, est venu annoncer à l’équipe qu’elle était finalement qualifiée pour le prochain tour. Un incroyable imbroglio, comme un signe du destin que rien ne pouvait empêcher cette équipe d’une épopée. La finale est encore loin, d’autant que d’autres cadors se dressent sur la route des Ours.
De la solidité pour aller au Camp Nou
Ce qui fait la force des Rangers de Waddell, c’est une combativité mêlée à un sens tactique magné à la perfection. Pas de grandes stars mais une équipe qui se connaît, certains évoluant déjà ensemble lors de la finale perdue cinq ans plus tôt. Alors quand se dresse sur la route des écossais les italiens du Torino, le plan est tout trouvé : pratiquer un « McCatenaccio » comme s’est amusé, ou pas, à renommer la presse italienne. Waddell est un fervent admirateur d’Hellenio Herrera, aux préceptes de jeu bien connu. John Greig, le capitaine lors de cette épopée européenne, évoque cette tactique dans son autobiographie : « Nous étions disciplinés et dotés d’une grande capacité d’adaptation à l’adversaire ». Aussi, le capitaine avait une mission, celle de sortir du match Claudio Sala, la pépite du Torino, par n’importe quel moyen. Un partout à l’aller, une nouvelle victoire courte sur le score d’un but à zéro au retour, le plan se déroule à merveille et le leader du championnat d’Italie tombe face à la révélation de la saison. Bien dans son foot, bien dans sa peau. Jock Wallace, préparateur physique des Rangers, mais également adjoint de Waddell, avait une technique bien particulière pour que ses joueurs soient en forme. Il leur frottait la tête avec du whisky pour les réchauffer lentement avant de les asperger d’eau glacée, pour rétablir ce qu’il appelait « l’équilibre cosmique ». Wallace appréciait le film de Sidney Lumet, La colline des hommes perdus, pour trouver ses exercices de préparation. Des courses sur des collines de sable, des sessions de 40 minutes… Un entraînement militaire mais qui finit par porter ses fruits.
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La vengeance face au Bayern
Les Rangers poursuivent leur chemin en Coupe des coupes. Après la France, le Portugal et l’Italie, place maintenant à l’Allemagne. Et pas n’importe quel club : le Bayern Munich, leur bourreau cinq ans plus tôt. Le club de Beckenbauer, Gerd Müller ou encore Uli Hoeness, peut-être l’une des meilleures équipes de l’histoire. Mais là-aussi, les Rangers ont un plan plus que minutieux. Le onze aligné est le même que face au Torino. L’une des pièces maîtresses de ce match est Derek Jonhstone, chargé de marquer de très près Uli Hoeness. Une phrase résume cela : « ils ne peuvent pas se permettre d’être sans lui, nous pouvons nous permettre d’être sans toi ». Même si les Bavarois dominent de la tête et des épaules la rencontre, la préparation physique des Rangers leur permet de tenir et de ramener un match nul un but partout du Grünwalder Stadion. Le match retour vit la ville de Glasgow dans ce qu’elle a de plus beau. Le Celtic reçoit l’Inter en Coupe d’Europe des clubs champions, les Rangers accueillent le Bayern en Coupe des coupes. 80 000 personnes dans chaque stade, et un bruit phénoménal à en faire perdre la tête aux adversaires. Dans une ambiance des grands soirs, Ibrox Park n’a pas attendu longtemps pour vibrer encore plus. 45 secondes auront suffi au regretté Sandy Jardine pour envoyer le ballon dans la lucarne de Sepp Maier. 20 minutes plus tard, le jeune Derek Parlane, remplaçant du capitaine John Greig, double la mise et donne une avance confortable aux siens, que jamais le Bayern ne remontera.
Une finale pour l’histoire
Rennes, le Sporting, le Torino et le Bayern éliminés, il reste plus qu’un match aux Rangers pour écrire l’une des plus belles pages de leur histoire. Cette marche, elle s’appelle le Dynamo Moscou, et elle se trouve en Espagne, pour une rencontre au Camp Nou. Quoi de mieux pour finir un tour d’Europe fructueux. Forcément pour les fans des Rangers, ce match est une fête. Ils sont plus de 20 000 à se rendre à Barcelone. Au programme, sangria et sombreros. Un voyage culturel somme toute. De plus, pas de problèmes avec les supporters extérieurs, car le régime soviétique interdisait les voyages. Barcelone se transforme alors en Glasgow. Et sur le terrain, le match appartient aux Rangers. En 50 minutes, les écossais marquent par trois fois et semblent se diriger vers le titre. Mais quand le Dynamo marque un premier but, puis un second à trois minutes de la fin, le scénario catastrophe commence à effrayer les supporters des Teddy Bears. Déjà défait en finale de la même compétition en 1961 et en 1967, les Rangers ont l’avantage de l’expérience, là où les Moscovites disputent leur première finale européenne. La tension est palpable au point que la fin de match ne se passe pas comme prévu. Dans les derniers instants, l’arbitre signale une position de hors-jeu. Un coup de sifflet qui aurait pu être anodin mais qui va changer le cours de la soirée, et même peut-être de l’histoire des Rangers. Les supporters, comme les joueurs, pensent que l’arbitre signale la fin du match. Résultat : envahissement de terrain immédiat. Il faudra de longues minutes pour faire remonter tout le monde en tribune et ainsi terminer les quelques secondes qui restaient. Suffisant pour que les russes se plaignent. Mais cela ne change rien, et les quelques secondes jouées, la pelouse est envahie de nouveau, cette fois pour de bon. Les responsables de l’UEFA craignent des incidents et décident de vite rapatrier tout le monde au vestiaire et de procéder à la remise du trophée dans les travées du stade, sans supporters donc, une première dans l’histoire des coupes européennes.
Une victoire, mais des regrets
La victoire est là, mais la fête va laisser un goût d’inachevé à toute une équipe qui vient d’écrire la légende du club. Déjà, les incidents ayant eu lieu au moment du fameux hors-jeu ont entraîné la suspension du club pour deux saisons européennes, réduites finalement à une. Impossible donc de défendre ce premier titre. Et surtout, cette suspension a entraîné bon nombre de départs et notamment de joueurs clés. Une mauvaise gestion de l’après qui laisse amer certains joueurs de l’époque. Ils en sont persuadés, continuer de jouer ensemble aurait pu de nouveau amener les Rangers sur les sommets européens. L’un des principaux regrets reste bien entendu de ne pas avoir pu célébrer sur la pelouse avec les milliers de supporters ayant fait le déplacement. Mais également un manque de reconnaissance de la fédération écossaise. Le soir de la finale, la sélection nationale affronte les Pays de Galles, pour une victoire 1-0 totalement tombée aux oubliettes. Si peu de personne était au stade, le match des Rangers n’a pas été diffusé en direct à la télévision, la fédération ne voulant pas de concurrence. Du côté du Dynamo, le comportement des supporters écossais les a poussé à demander à ce que le match soit rejoué, en vain. Les Rangers ont pu célébrer dès le lendemain de la finale dans Glasgow, au cours d’une parade ou le bleu royal règne sur la ville.
Ce succès européen reste à ce jour le seul pour les Rangers. Depuis, ils ont disputé deux finales de Ligue Europa, dont la dernière cette année, mais n’ont pas réussi à rééditer l’exploit de 1972. Ce succès résonne également comme un hommage au victime du drame d’Ibrox un an plus tôt. Une épopée épique qui restera gravée à jamais dans la légende du club.
Sources :
- Robin McKie, « Camp Nou glory : remembering Rangers’ 1972 European triumph », The Guardian
- Laurent Vergne, « Les Grands Récits – Ligue Europa – Glasgow Rangers : la folle histoire des « Ours de Barcelone » », Eurosport
- David Currie, « Rangers: Willie Johnston, Colin Stein & Peter McCloy relive 1972 Cup Winners’ Cup win », BBC
- Daniel Harris, « The forgotten story of … Rangers’ 1972 European Cup Winners’ Cup win », The Guardian