L’AC Milan réalise une très bonne saison en étant actuellement second de Serie A sous les ordres de Stefano Pioli. Pourtant, le club lombard aurait dû être entrainé par Ralf Rangnick. Le bâtisseur allemand aurait également occupé le poste de directeur technique. Cet imbroglio n’a cependant pas fait chuter la côte de popularité de cet homme au profil si particulier. Retour sur le travail culturel qu’il a insufflé en Allemagne et qui profite aujourd’hui aux techniciens germaniques.
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Ralf Rangnick est un nom bien moins connu que celui de certains de ses compatriotes. Entre Jurgen Klopp qu’on ne présente plus ou ses héritiers Thomas Tuchel et Julian Nagelsmann. Klopp a réalisé une modeste carrière de seconde division allemande tandis que les trois autres se sont contentés de clubs amateurs avant de se consacrer très tôt au métier d’entraineur. Si Tuchel et Nagelsmann ont pu exercer si jeunes, c’est d’ailleurs grâce à la révolution qu’a mené Rangnick au sein du football allemand. Un choc tactique qui a ensuite débordé sur le plan institutionnel.
Professeur marginal
C’est au crépuscule du XXe siècle que Ralf Rangnick se fait remarquer en tant qu’entraineur. A la tête du SSV Ulm, il écrase la concurrence dans le championnat de troisième division, alors appelé Regionalliga Sud. Pour cela, il use d’une défense à 4 mettant fin au poste de libéro et instaure un pressing grâce un marquage en zone aussi agressif que structuré. En 1998, année du titre avec Ulm, il est invité sur la chaîne de télévision allemande de la ZDF pour donner une leçon de coaching. Celle-ci va d’abord le faire passer pour un professeur marginal.
Il explique laisser le moins de temps possible à son adversaire pour l’empêcher de mettre en place son jeu. En bougeant les aimants dans tous les sens sur le tableau noir, il semble plus que maitriser son sujet. Ce n’est pourtant pas du goût de Franz Beckenbauer. « Toutes ces discussions n’ont aucun sens » clame le kaiser qui n’a que faire de ces préoccupations tactiques. Surtout quand elles sont énoncées par un intellectuel au look d’informaticien et à l’unique carrière de joueur amateur et d’entraineur de troisième division. La leçon ne dure que cinq petites minutes mais irrite les hautes sphères du football germanique.
A la fin de cette saison, le SSV Ulm est promu en 2. Bundesliga grâce à un jeu proactif aussi bien offensivement que défensivement. Fort de cette expérience et cette nouvelle médiatisation, Ralf Rangnick parcourt le pays entre Stuttgart, Hanovre et Schalke. C’est dans ces trois clubs qu’il remplit son armoire à trophées : une coupe Intertoto avec le VfB Stuttgart, un championnat de deuxième division avec Hanovre 96 et une Coupe de la Ligue avec Schalke 04. Il remporte également la Coupe d’Allemagne 2011 et la Supercoupe de la même année lors de son retour dans la Rhur.
Hoffenheim pour commencer…
Après ces diverses expériences à travers l’Allemagne, Ralf Rangnick pose ses valises dans l’Etat de Bade-Wutemberg pour entrainer le TSG Hoffenheim. C’est ici qu’il va officier le plus longtemps de sa carrière, soit quatre ans. Il fait d’un club végétant en troisième division un véritable laboratoire. L’année précédente, il avait participé à la Ligue des Champions avec Schalke en 2005/06, une belle preuve de l’état d’esprit de ce bâtisseur. C’est d’ailleurs cette qualité qui lui a permis de se détacher de la masse footballistique.
Malgré l’intéressant projet de Dietmar Hopp, le TSG Hoffenheim ne semble pas capable de passer le cap de la Regionalliga Sud. Deux saisons suffiront pourtant à Rangnick pour hisser le club dans l’élite allemande. Deux promotions consécutives dès ses deux premières années avec, à la base, toujours un jeu inspiré du Milan de Sacchi. Heureux d’avoir les mains libres, le professeur étudie son sujet de bout en bout afin de livrer la meilleure leçon possible.
Malgré un cours déjà presque parfait avec un passage éclair de la troisième à la première division nationale, les chances de se maintenir en Bundesliga semblent très faibles au départ de la saison 2008/09. Pourtant, Rangnick et ses hommes réalisent le nouvel exploit d’être sacrés champions d’automne dès leur première saison dans l’élite. Le meilleur buteur Vedad Ibisevic est victime d’une rupture des ligaments croisés, et le modeste promu baisse inévitablement de niveau terminant cependant à une belle septième place.
… Leipzig pour sublimer
Après cette belle expérience, Ralf Rangnick revient à Schalke où il remporte deux titres précédemment cités et arrive jusqu’en demi-finale de Ligue des Champions. Il démissionne dès 2011 pour des raisons de santé et se rend en 2012 dans la filiale Red Bull en tant que directeur sportif de Salzbourg et Leipzig. En se concentrant sur le recrutement, il fait monter le Rasenballsport Leipzig de la quatrième à la seconde division nationale. Une fois ce palier atteint et la politique sportive des deux clubs bien huilée, il décide de prendre la tête du club allemand.
Il officie en tant qu’entraineur lors de la saison 2015/16 avec l’objectif de faire monter Leipzig en Bundesliga après une cinquième place l’année précédente. Mission accomplie sereinement avec une deuxième place pour le Rasenballsport et une nouvelle promotion à l’échelon supérieur pour Ralf Rangnick. Trois lors des quatre premières saisons où il officie au sein de la filiale possédant le club allemand. Le professeur retourne à son poste de directeur sportif dès l’ascension dans l’élite et laisse sa place de coach à Ralph Hasenhüttl.
Le RB Leipzig est depuis cette saison un club dominant du football allemand. Ralf Rangnick n’y est pas étranger, que cela soit dans le jeu pratiqué par l’équipe première ou par rapport à la politique sportive au sein de l’institution. Il est d’ailleurs nécessaire de noter qu’il a retrouvé le poste d’entraineur du Rasenballsport lors de la saison 2018/19 entre le départ de Ralph Hasenhüttl et l’arrivée de Julian Nagelsmann. Deux de ses élèves idéologiques.
Le gegenpressing selon Rangnick
Ralf Rangnick a tant inspiré car ses victoires ont été établies grâce à un jeu révolutionnaire. Alors que l’Allemagne remporte le mondial 90 dans un 3-5-2 avec un libéro et que l’ensemble des équipes germaniques jouaient de la sorte, il décide de supprimer ce poste et de passer à une défense à 4. Il instaure un pressing en zone mais toujours orienté vers le ballon. Le gegenpressing nait alors et son créateur dit :
« Tactiquement, cette approche te permet de gagner la majorité de tes matchs. Tu réussis à créer une unité entre tes joueurs, et en plus, ça plait aux supporters. Pour moi, le marquage en zone est plus jouissif et stimulant pour les joueurs qu’un marquage individuel strict. »
Si cette notion de plaisir est important, la rigueur reste de mise car l’entraineur allemand exige un effort maximal notamment dans les courses de ses joueurs. Huit secondes pour récupérer le ballon à sa perte et dix pour marquer serait l’action parfaite selon lui. Le collectif doit être extrêmement bien huilé pour pouvoir réaliser un pressing organisé. Celui-ci sert à empêcher la contre-attaque adverse mais également à enclencher la sienne. L’organisation défensive est en réalité créatrice d’opportunités.
Professeur, élèves et disciples
Après son intervention sur le plateau de la ZDF, Ralf Rangnick est moqué par le milieu corporatiste du football allemand de la fin du siècle dernier. Pourtant, il fait aujourd’hui figure de professeur dans cette cour. Les entraineurs allemands n’ont jamais été si réputés et son travail n’y est pas étranger. Tuchel, Nagelsmann, Klopp, Schmidt ou Hasenhüttl sont, chacun à leur manière, ses disciples. Que cela soit tactiquement, avec le gegenpressing, ou d’une manière plus générale dans le management.
Dans l’ouvrage Manager United, Ben Lyttleton s’est penché sur le travail du professeur à propos de la formation où il considère les jeunes joueurs comme des élèves. Lorsqu’il fait monter Hoffenheim en Bundesliga, l’équipe type a une moyenne d’âge de 21,9 ans, tandis qu’il a fait baisser les moyennes d’âges de Salzbourg et Leipzig de 30 et 29 à 24 ans. L’aspect cognitif est alors aussi important que celui de la récupération des efforts.
Ralf Rangnick a un impact incalculable sur le football d’aujourd’hui, allemand ou non. Son travail à propos de la tactique est sans faille tout comme celui à propos de la politique sportive des clubs où il a officié. Dès qu’un poste d’entraîneur se libère, son nom est évoqué partout sur le Vieux continent. Mais pour que son travail soit réussi, il est nécessaire de donner les pleins pouvoirs au professeur et de le laisser composer sur une feuille blanche.
Sources :
- Ben Lyttleton, Manager United
- Maxime Brigand, « La Gegenétique », So Foot n°175
- Rémi Dendani, Ralf Rangnick : « Les clubs doivent sérieusement envisager comment remplacer le football de rue », La Grinta
Crédits photos : Icon Sport