En 2001, l’Argentine est en pleine crise économique, sociale et politique. Le mois de décembre marqua l’explosion de la crise avec une dévaluation de la monnaie, ce qui provoque de nombreuses émeutes. Dans un contexte pesant, la lueur d’espoir pour de nombreux argentins passe par le football et plus particulièrement une équipe : le Racing Club.
Le Racing Club occupe une place forte dans le football du pays, au point de faire partie des “cinq grands du football argentin”. A l’aube du championnat d’ouverture 2001, La Academia, le surnom du club, reste sur une disette de 35 ans au niveau national. Une éternité pour ce club mythique qui a remporté pas moins de quinze fois le championnat entre 1913 et 1967. Entre malédiction, faillite et crise, rien ne semble aller dans le sens du Racing.
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La malédiction d’un grand
35 ans sans le moindre trophée national, pour un club comme Racing, cela s’apparente à un calvaire. Pendant pratiquement 20 ans, de 1949 à 1967, le Racing va asseoir son hégémonie dans le pays. D’abord avec son stade, l’Estadio Presidente Juan Domingo Perón, surnommé El Cilindro, d’une capacité de 51 000 places, faisant de cette antre le plus grand stade du pays à l’époque. Entre 1965 et 1967, le Racing remporte 3 championnats d’affilée, une première dans l’histoire. Toujours en 1967, la Copa Libertadores revient à La Academia, puis le club va glaner la Coupe intercontinentale, une première là-aussi pour une équipe argentin. Une domination écrasante qui va brutalement prendre fin. A partir de là, plus rien ne semble aller dans le sens du Racing, qui va même connaître l’une de ses pires humiliations.
En 1983, et pour la première fois de son histoire, le Racing est relégué en deuxième division. Dans le même temps, son plus grand rival, Independiente, devient champion. De nombreux socios vont alors chercher à comprendre ce qui peut bien arriver au club d’Avellaneda. Dans un pays à majorité catholique, de nombreuses malédictions vont être évoquées. La plus connue est celle des “six chats noirs”, soit disant enterrés sous la pelouse du Cilindro. Les coupables ? Les fans de l’Independiente bien entendu, dont l’une des couleurs est le rouge, représentant le diable. Les plus fervents supporters sont allés vérifier par eux-mêmes cette rumeur à l’aide de pelles pour déterrer les éventuels cadavres.
Mais rien n’a été trouvé, pas même des crapauds enterrés par les mêmes supporters pour tenter de conjurer le sort. Il faut dire que les superstitions vont bon train, notamment lorsque le Racing se met à perdre des rencontres où la victoire leur tendait les bras. Des remontadas où les bleus et blancs menaient largement au score avant d’être défaits. Prêt à tout pour retrouver les sommets du championnat, le Racing va alors se tourner vers… des prêtres. Des rites, des processions, des marches sont alors organisés.
Le père Horacio Della Barca va bénir tout le stade, du terrain aux projecteurs en passant par les filets. Insuffisant puisque La Academia s’inclinera le soir-même, ce qui fera dire au prêtre : “Dieu n’a pas l’air trop fan de cette équipe”
La renaissance
Le Racing connaît une période plutôt sombre à la fin des années 1990. En 1999, il est au bord de la faillite. Mais la passion de ses supporters va le sauver. Ces derniers organisent de nombreuses manifestations et remplissent le stade coûte que coûte, même sans match, dans l’unique but de maintenir le club en vie. Ce jour-là restera gravé à jamais comme “el dia del hincha”. C’est alors qu’un organisme fiduciaire, géré par les socios du Racing, va reprendre en main toutes les finances et la gestion du club. Son nom : Blanquiceleste. Le Racing doit encore faire attention et s’appuie alors sur des joueurs du cru, dont un certain Diego Milito. La future légende va sauver de justesse son équipe de la relégation lors du Clausura de la saison 2000-2001. Un premier renouveau pour une suite historique.
L’Apertura du championnat 2001-2002 voit le Racing au coude à coude avec un autre grand du pays, à savoir River Plate. Les bleus et blancs devancent leur rival de trois points. Il leur manque alors un match nul à décrocher sur la pelouse de Vélez pour être sacré et retrouver l’ivresse d’un titre national. Mais le Racing est maudit, et la fin du calendrier correspond à la période la plus sombre de la crise économique argentine. Le mois de décembre est particulièrement sanglant et le football n’est alors plus une priorité. Les médias diffusent sans cesse des images de pillages. Les voitures brûlent, les argentins sont dans la rue. L’entraîneur de La Academia Reinaldo Merlo confiera : “le football est secondaire si le pays est en feu”. Toute la saison, ce dernier ne voulait pas entendre parler de titre, par peur d’invoquer le mauvais œil. Une pratique tellement ancrée dans le club et ses supporters que ceux-ci criaient “chut” lorsqu’ils entendaient le mot interdit dans le stade : campeones.
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Mais à deux journées de la fin, Reinaldo Merlo lâcha enfin la phrase tant attendue : “nous serons champions ». La saison du Racing est très prolifique, et ils ne comptent qu’une seule défaite sur la pelouse de Boca Juniors. Mais voilà, comme il l’a dit ensuite, le football devient secondaire. Les manifestations se multiplient dans la capitale du pays, et la répression policière provoque la mort de 38 personnes. Le Président fuit le pays en le laissant dans un état de crise profonde. Difficile alors pour les joueurs comme pour les fans du Racing de se placer, tant la situation du pays est grave, mais tant celle du club peut leur redonner de l’espoir. Finalement, la dernière rencontre de championnat est reportée.
La première date évoquée retardait l’échéance au mois de février, après la trêve estivale pour la zone Amsud. Problème, de nombreuses personnes au sein du club ne seraient plus sous contrat à cette date. Les hinchas font alors pression en organisant eux aussi des manifestations. Ce qui, dans un contexte social plus que tendu, fut pris très au sérieux. Un homme va alors tout changer : Ramon Puerta, président du pays pendant… trois jours. Fan de Boca, il comprend l’amour que les supporters du Racing éprouvent pour leur équipe. L’une de ses deux mesures sera de faire jouer le match du Racing coûte que coûte. Un choix aussi bien sportif que politique. En effet, Ramon Puerta jugeait bon que la télévision diffuse autre chose que le chaos du pays. Et quoi de mieux que de parler de football en Argentine pour oublier ses problèmes. Le rendez-vous est pris, l’issue du championnat se décidera le 27 décembre 2001.
Un match pour l’histoire
La date fatidique approche. Certains joueurs ont désobéi au coach en se rendant sur les lieux des manifestations parfois sanglantes. La vie du pays est en jeu et le football passe, le temps de quelques jours, au second plan. Mais la dernière rencontre de championnat occupe tout de même une place importante dans les pensées collectives du peuple bleu et blanc. Ce 27 décembre 2001 va alors marquer une page d’histoire. 40 000 hinchas vont remplir le Cilindro pour suivre le match… sur écran géant. Car le Racing se déplace à Vélez. Si ces 40 000 personnes ne sont pas du voyage, 26 000 supporters de La Academia ont pu faire le déplacement, Vélez permettant une vente plus large du précieux sésame.
Un fait que les fans n’ont pas oublié, eux qui disent avoir rempli, pour la première fois de l’histoire, deux stades pour un seul match. L’ambiance est électrique mais pesante. Les supporters présents dans chacun des stades ont bien entendu en tête la situation hors de l’enceinte. Mais le temps d’une après-midi, de 90 minutes, le ballon rond reprend sa place et permet à tout un peuple de respirer, difficilement tant la rencontre est étouffante. Sous une pluie battante, aucune équipe ne parvient à prendre le dessus sur l’autre. Comme ce match n’a rien de normal, un fait de jeu va tout changer. En début de deuxième mi-temps, Gabriel Loeschbor ouvre le score pour le Racing d’une tête plongeante à la suite d’un coup franc. Une délivrance, le stade chavire, le but est bien validé. Mais il n’aurait pas dû, le défenseur étant hors-jeu au départ du centre. Un fait de jeu comme on peut en voir beaucoup, mais qui prendra une tournure différente lorsque Loeschbor confiera des années plus tard avoir rencontré le fameux arbitre de touche n’ayant pas signalé le hors jeu.
Sa particularité ? C’est un fan du Racing. Quelques jours plus tard, le défenseur reçoit de la part de cet arbitre le drapeau de touche du match. Bien aidé par ce coup de pouce du destin, le Racing va se faire peur en concédant l’égalisation sur une erreur de Vitali, son défenseur droit, ancien joueur… d’Independiente. De quoi passer une fin de match terrifiante, tant les malédictions ont fait subir de longues nuits blanches à tout le peuple racinguista. Après un dernier cafouillage dans la surface de réparation du Racing, l’arbitre délivre tout le monde. 35 ans après, Racing est enfin champion d’Argentine. Une euphorie s’empare alors des gradins, les larmes coulent sur les visages. Ce titre est vécu comme une libération, la fin d’un long chemin de croix pour ce club mythique du pays. Ce succès offre une bouffée d’oxygène dans un pays qui en a bien besoin. Une citation résume pour le mieux ce moment d’histoire. Elle a été prononcée par Ubaldo Fillol, le gardien de la sélection argentine championne du monde en 1978 : “Dans un pays en proie à tellement d’injustices, que Racing soit enfin champion n’était que justice”.
Il aura fallu attendre 35 ans pour que le Racing Club retrouve les sommets du championnat argentin. 35 longues années marquées par des désillusions, des malédictions, et une faillite proche. Mais ce club n’est pas comme les autres. Dans une Argentine où le football est roi, chaque équipe est une institution et fait partie de la vie des hinchas. Face à toutes les difficultés possibles, économiques, politiques, sociales, le Racing se sera battu jusqu’au bout pour s’adjuger ce précieux sésame. Un moment de bonheur comme le foot sait en donner.
Sources :
- Nicolas Cougot, « L’histoire d’un nom (19) : Racing Club de Avellaneda », Lucarne Opposé
- Christofer Hallez, « Argentine : le jour où Racing a rempli deux stades », La Grinta
- « La malédiction des chats noirs du Racing Avellaneda », Ultimo Diez
- Georges Quirino-Chaves, « Racing Bulle », So Foot, Décembre 2021
Crédits photos : Icon Sport