En 2018, l’Australie participe à sa quatrième Coupe du Monde consécutive, la cinquième de son histoire. Une époque dorée pour les Socceroos, mais qui fait suite à trois décennies de disette. Une absence terriblement longue, qui prendrait sa source à cause d’un sorcier africain.
La sorcellerie peut-elle avoir un effet sur un match de foot ? Les débats existeront toujours pour savoir si on fait face à un mythe ou à une réalité. Certaines malédictions sont connues dans l’histoire du ballon rond, si bien qu’en 2016, le Rwanda a interdit la sorcellerie après un incident en pleine rencontre. Mais des décennies plus tôt, c’est sur l’Australie qu’un sort semble avoir été jeté. Une histoire longtemps méconnue du grand public qui refait surface lorsque Johnny Warren, légende du football australien des années 1960-1970, en parle dans son autobiographie au début des années 2000.
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Retour à la fin des années 1960. Le chemin pour se qualifier pour la Coupe du Monde 1970 s’avère être un véritable branle-bas de combat. Le format à seize équipes ne facilite pas les choses pour les petites nations et les petites zones. Encore plus lorsqu’un état récemment indépendant se mêle à la course. Non reconnu par une grande majorité de pays africain, la Rhodésie se retrouve alors dans la zone Asie-Océanie à affronter le vainqueur d’un groupe de trois équipes, en l’occurrence l’Australie. C’est de ce grand chamboulement que va naître la malédiction. Les rencontres se déroulent au Mozambique, et après deux matchs nuls, un match d’appui doit avoir lieu. Problème, les Australiens butent sur un portier Rhodésien au top de sa forme. C’est ce qu’évoque des membres du staff avec un journaliste, qui va alors leur parler d’un “docteur” pratiquant la magie noire.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le contact est pris avec ce mystérieux docteur qui promet alors d’aider les Australiens. Quelques jours après, le brillant gardien passe totalement à côté de son match, sortant même sur blessure. Les Australiens s’imposent 3-1. Le début des problèmes. Tout travail mérite salaire, et le sorcier entend bien être récompensé pour son acte. Il réclame 1000 livres, somme impossible à payer. Jusqu’à leur départ du Mozambique, les Australiens sont poursuivis par cet homme qui finit par crier qu’il allait leur jeter un sort. La suite de l’histoire semble confirmer ce fait.
Le sort s’acharne
Après cet épisode du sorcier, l’Australie va aller de déboires en déboires. D’abord dans la suite de ces qualifications. Après sa victoire face à la Rhodésie se dresse une dernière marche : Israël. Un voyage interminable de 36h va fortement affaiblir les Socceroos qui s’inclinent 1-0, avant de faire match nul au retour à Sydney (1-1). L’Australie aura joué neuf matchs, dont huit à l’extérieur, pour une seule défaite qui lui sera fatale… après le passage du sorcier. Pas de Coupe du Monde au Mexique donc, pour l’une des plus belles générations australiennes. Quatre ans plus tard, l’Australie parvient à se qualifier pour la première Coupe du Monde de son histoire. La fin du mauvais sort ? Pas sûr. Trois matchs, un nul et deux défaites, aucun but marqué. Retour à la maison. Et le début de 32 ans sans Coupe du Monde, et avec en prime quelques défaites cruelles et inattendues.
Rien ni personne ne pensait à une malédiction, simplement un manque de forme, ou une moins bonne génération. Mais Johnny Warren va repenser à cette période dans son autobiographie, et faire monter dans l’opinion publique l’idée d’un mauvais sort jeté sur la sélection. Et pas que sur la sélection A, mais sur tout le football Australien. L’une des plus grosses déception surviendra lors des qualifications pour le Mondial 1998 en France. Une élimination en barrages face à l’Iran alors que les Socceroos menaient par deux buts d’avance à un petit quart d’heure de la fin. En 1999, ce sont les U17 qui sont proches de l’exploit. En Nouvelle-Zélande, ils se hissent en finale de la Coupe du Monde. Une finale perdue aux tirs au but sur le score de 8-7 face au Brésil. Enfin en 2000, lors des Jeux Olympiques organisés à Sydney, les Socceroos sont attendus. Mais trois défaites en phases de groupes scelleront le sort de la sélection. Des défaites et des déceptions, encore et toujours, que Johnny Warren ne cesse de se remémorer. Son chapitre sur cette malédiction se termine même ainsi :
« Je pense que le football australien devrait envoyer quelqu’un au Mozambique avec mille livres en poche, chercher le sorcier et le payer pour qu’il mette un terme à cette malédiction. Cela pourrait valoir le coup d’essayer. »
Faire cesser la malédiction
Ce chapitre prend énormément de place dans l’opinion des australiens. Si bien qu’en 2004, un sondage révèle que 55% de la population pense que ce qui arrive au football australien est causé par le sorcier. C’est là qu’un homme intervient. Il s’agit de John Safran, un présentateur radio, comédien, documentariste, auteur… et bientôt sauveur. Il anime une série documentaire intitulée “John Safran VS God”. Pour ce passionné de religion, il est impératif de conjurer le sort, et cela passe par retrouver le sorcier au Mozambique. Problème, l’histoire remonte à plus de trois décennies, et après de nombreuses recherches, John apprend que ce sorcier est décédé. Il décide alors de chercher un nouveau sorcier. On le met en relation avec un marabout afin que ce dernier rentre en contact avec le sorcier décédé. La magie n’est jamais finie. Mais plus qu’un simple contact, c’est une cérémonie complète qu’il faut organiser. La magie noire et la sorcellerie sont des éléments pris très au sérieux, et un protocole précis doit être respecté pour qu’elles soient efficaces. La cérémonie se déroule à l’Estadio da Machava.
Une cérémonie pour le moins… surprenante, et disponible en vidéo dans le documentaire de John Safran. Le rituel, c’est d’égorger un poulet avant d’étaler le sang sur John Safran, vraiment prêt à tout pour replacer l’Australie sur la carte du football mondial. Mais comme au foot, il faut un match retour, et une nouvelle cérémonie en Australie. Cette fois-ci, pas de poulet, pas de sang, mais de la terre argileuse, que John Safran et Johnny Warren ont dû se répandre sur le corps au milieu de la pelouse du Telstra Stadium de Sydney. Des images insolites, mais une Coupe du Monde vaut bien ça.
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Les miracles arrivent enfin
Comment savoir si le sort a bien été conjuré ? En repartant de l’avant. Place aux qualifications pour la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. Comme souvent, l’Australie domine de la tête et des épaules la zone Océanie. Place alors à un barrage contre l’Uruguay. Après une défaite 1-0 à l’extérieur, les Australiens sont condamnés à gagner chez eux lors du match retour au… Telstra Stadium de Sydney. Tout un symbole. Le match est serré, tendu. Les Australiens mènent 1-0 et poussent l’Uruguay aux tirs au but. 32 ans d’attente, de malheur, se jouent sur cette ultime séance. Dans une ambiance irrespirable, Mark Schwarzer, le portier des Socceroos, détourne deux tentatives Uruguayennes et envoie l’Australie en Allemagne. A ce moment-là, tout le pays ne pense qu’à un seul homme : Johnny Warren, décédé un an plus tôt, et qui n’aura pas connu cette immense joie collective. Le commentateur de la télé nationale s’exclame même : “Johnny Warren, this is for you”.
Bien évidemment, on pense aussi à John Safran, qui semble avoir conjuré le sort. Les analystes évoquent davantage les qualités du sélectionneur de l’époque, Guus Hiddink, et d’une génération talentueuse avec ses légendes Tim Cahill et Schwarzer. Les autres préfèrent y voir un coup d’œil du destin, une aide de la magie, après tant d’années où elle leur aura desservi. Parce que les belles histoires font toujours rêver. Si la qualification pour la Coupe du Monde 2006 est célébrée comme il se doit, le conte de fée se poursuit. En 2006, l’Australie décide de se rattacher à la zone Asie, jugé plus qualitative et offrant davantage de places au Mondial. Trois ans plus tard, elle atteint son meilleur classement Fifa, avec une quatorzième place. Dominateurs dans cette région, les Socceroos parviennent à se qualifier aux Coupes du Monde 2010, 2014 et 2018… soit 100% de qualifications.
L’Australie tente aujourd’hui de se qualifier pour la Coupe du Monde au Qatar en 2022, ce qui serait sa cinquième participation consécutive. Une pérennité qui permet d’en faire un pays reconnu sur la carte du football international. Cette histoire de sorcellerie reste tout de même dans les mémoires collectives et aura marqué de nombreuses générations de supporters. Il aura fallu plus de 30 ans et des cérémonies rituelles pour y mettre fin. C’est aussi ça la magie du football et de la Coupe du Monde.
Sources :
- Laurent Vergne, « Sorcellerie pour une malédiction, l’incroyable destin des socceroos », Eurosport
- « Sheilas, wogs and poofters, an incomplete biography of Johnny Warren », Johnny Warren, 2002
Crédits photos : Icon Sport