FC Barcelone : 14 titres. Bayern Munich : 7 titres. Manchester City : 11 titres. L’armoire à trophées de Pep Guardiola donne le tournis. Adulé par certains, raillé par d’autres, l’entraîneur catalan continue de faire couler beaucoup d’encre, quinze ans après ses débuts d’entraîneur en professionnel. Mais avant de coacher les meilleurs joueurs du monde, il a remporté son plus beau titre avec la réserve du Barça, en quatrième division espagnole.
« Si demain il fait ça avec une équipe lambda, sans avoir un budget de trois milliards, je lui dis que c’est le meilleur entraîneur du monde. Là ce n’est pas le cas. Le résultat est implacable. » Au lendemain de l’élimination de Manchester City en demi-finale de Ligue des Champions 2022 face au Real Madrid, Emmanuel Petit ne mâchait pas ses mots à propos de son ancien coéquipier. Ils n’ont évolué qu’une saison ensemble au FC Barcelone – le Français a d’ailleurs vu son temps de jeu se réduire considérablement lorsque Carles Rexach, proche du capitaine catalan, est arrivé comme entraîneur. Le champion du monde 1998 l’a ensuite traité de « manipulateur » et de « machiavélique » dans son ouvrage Franc-tireur.
La brouille est donc lointaine mais le constat semble partagé par beaucoup : Pep Guardiola n’aurait entraîné que les meilleurs joueurs de la planète. « Il est certainement un grand entraîneur, mais dites-lui de venir prendre le 19e budget de Ligue 1 avec l’effectif qui ne bouge pas. Et on verra si les progrès sont édifiants », relativisait Pascal Dupraz durant son aventure toulousaine. Un retour en arrière s’impose.
Du restaurant au banc
Avant d’officier en tant qu’entraîneur, Pep Guardiola a tout connu au FC Barcelone comme joueur. Natif de Santpedor à quelques kilomètres de la capitale catalane, il fait ses gammes dès 13 ans dans les catégories jeunes du club avant d’intégrer le Barça B, puis l’équipe première. Avec le mythique maillot blaugrana, il dispute 386 matchs professionnels, remporte la Ligue des Champions 1992 sous les ordres de Johan Cruyff ou encore six championnats d’Espagne.
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Il est ensuite parti échanger quelques ballons avec Roberto Baggio à Brescia, puis avec Francesco Totti à l’AS Roma, récupérer quelques billets à Al Ahli et s’abreuver de tactique en la compagnie de Juanma Lillo à Sinaloa. C’est cette soif de tout connaître sur le jeu qui a poussé le jeune retraité à partir à Maximo Paz, en Argentine. Là-bas, il rencontre Marcelo Bielsa, alors sans club, autour d’un asado (barbecue). S’ils se sont croisés depuis, en Espagne et en Angleterre lors de leurs expériences respectives, les deux hommes ne se voyaient que pour la première fois en ce jour d’octobre 2006.
La discussion est animée, différentes vidéos sont projetées sur un écran, les tables et les choses bougent dans tous les sens comme les joueurs durant un entraînement à haute intensité. Entre deux pièces de viande, l’aîné s’est interrogé : « Pep, pourquoi, alors que tu connais si bien le milieu du foot et les ordures qu’il y a, le haut degré de malhonnêteté de certains, tu veux quand même y retourner et, en plus, entraîner ? Tu aimes à ce point le sang ? » Le disciple était prêt : « J’en ai besoin. » Après ces douze heures passées au restaurant en compagnie de l’érudit, le jeune Pep Guardiola pouvait s’en aller vers sa destinée.
Retour aux sources
Avant d’entraîner Lionel Messi, Xabi Alonso ou Kevin De Bruyne, il se fait les dents avec la réserve du FC Barcelone. En juin 2007, après avoir obtenu ses diplômes de coach, le club lui confie le Barça B. Après une saison catastrophique sous la houlette de Quique Costas, l’équipe se retrouve reléguée en Tercera División, quatrième échelon espagnol. Malgré son statut d’ancienne vedette locale, Pep Guardiola a la lourde tâche de sortir la réserve de ce pétrin. Ainsi, il dissout l’équipe C pour fusionner les deux collectifs et tenter de rehausser le niveau global. Six ans après avoir disputé son dernier match en tant que joueur, il se retrouve sur le banc mais dans un tout autre monde.
« La division espagnole Tercera est très, très difficile. Il y a beaucoup de joueurs vétérans et nous avions de très jeunes gars, mais ils étaient comme des éponges, ils ont tout appris si vite », se souvient Domènec Torrent, adjoint historique de Guardiola, dans les colonnes de Goal. L’ancien entraîneur du FC Palafrugell connaissait parfaitement la Tercera et a donc été un atout de choix pour le débutant à ses côtés. De la même façon, Pep Guardiola a emmené Carles Planchart en tant qu’analyste vidéo avant qu’il ne le suive en équipe première, à Munich et Manchester. Pas encore autant en vogue, l’avancée technologique voulue par le staff a permis une plus value non négligeable lors de cet exercice 2007-2008. Enfin, son adjoint le plus proche était évidemment Tito Vilanova, son meilleur ami de longue date.
Déjà obsédé du moindre détail, Pep Guardiola profite de la pré-saison pour se rendre autour des terrains des premiers adversaires. « Dès le premier ballon, j’ai vu qu’il savait déjà comment nous jouions », dira plus tard Quim Ayats, entraîneur de Premià à El Periodico. « J’ai dit à notre gardien : “Change, change ! Fais-le encore plus vite” ! » Pas suffisant pour l’emporter, résultat final : 0-0.
Guardiola et ses convictions
Une seule victoire sur les trois premiers matchs de Tercera División après des matchs amicaux déjà balbutiants. La défaite 2-0 contre CE Manresa, futur relégué en fin de saison, fait douter l’entraîneur. « Lundi, j’ai pensé que je devais changer parce que nous ne pouvions pas jouer de cette façon. Je suis arrivé mardi et j’ai dit qu’il fallait changer parce que les terrains sont si petits », expliquera-t-il à Sky Sports une fois son arrivée à Manchester City. Cruyffiste convaincu, Pep Guardiola remet en cause son jeu à cause des conditions de la quatrième division. Il va en réalité s’en servir pour gonfler sa confiance en cette tactique :
« J’ai dit que si nous pouvions gagner et jouer un assez bon football sur un petit terrain, je pourrais le faire à un niveau supérieur avec de meilleurs joueurs et de meilleurs terrains. J’ai douté pendant deux jours. C’était un moment important parce que j’étais nouveau, je n’avais pas d’expérience. J’avais beaucoup de choses auxquelles je croyais mais je devais faire mes preuves. »
Au fur et à mesure, ses idées se mettent en place. Comme le souligne Domènec Torrent, les joueurs épongent les consignes données par le staff. Les vidéos – qui ne duraient jamais plus de dix minutes pour éviter de déconcentrer un jeune groupe – permettent une professionnalisation du travail. Si le fameux « ADN Barça » suintait déjà de l’effectif, celui-ci restait évidemment perfectible. Pep Guardiola s’est appuyé sur ces failles pour donner une importance majeure au jeu.
Une équipe malléable
Loin de compter un gardien aussi habile balle au pied que Manuel Neuer, un maître de la passe comme Xavi ou un finisseur de la trempe d’Erling Haaland, l’entraîneur a dû composer avec un collectif en apprentissage. Les amateurs de football venant assister de plus en plus nombreux au fil de la saison aux matchs sur les terrains annexes du Camp Nou ont ainsi pu assister à l’éclosion de Sergio Busquets et Pedro qui ont ensuite fait les beaux jours de l’effectif professionnel… sous les ordres de Guardiola.
Pourtant, ce ne sont pas forcément ceux qui se font le plus remarquer. Busquets a 19 ans et Pedro 20 ans en 2007. Ils sont par exemple loin du phénomène de précocité Thiago Alcantara et ses 16 printemps. Impressionnant de vivacité et de confiance en lui, on ne lui décèle pas encore son style caractéristique qui fera son charme en professionnel. Pour les deux autres si, même si la technique de Busquets ne laisse pas entrevoir un futur champion du monde. Il n’est encore que le fils de Carles, gardien de but de la Dream Team, et celui dont El País écorche le prénom en le renommant Sergi.
Parmi le reste de l’effectif, les autres joueurs n’ont pas laissé de grande trace au FC Barcelone hormis Jonathan dos Santos et ses 29 matchs jusqu’en 2014. Xavi Torres, souvent placé sentinelle laissant Sergio Busquets plus haut, fait partie des attractions de l’équipe. Il a ensuite connu différents club de Liga et une peine de dix mois de prison pour corruption. Victor Vazquez, issu de la promotion de Lionel Messi et Cesc Fabregas, n’a également pas eu la carrière que les matchs de la saison 2007-2008 laissaient penser. La faute, notamment, à une blessure au genou l’année suivante entre quelques passages en équipe première. Devant, c’est Gaï Assulin qui fait le spectacle avec 10 buts à la clé et l’étiquette de future star montante de La Masia. Lui aussi sera blessé la saison suivante et bourlingué à travers l’Europe par la suite.
Quelques joueurs de ballon mais loin de Rafael Marquez, Andrés Iniesta ou Thierry Henry présents avec l’équipe professionnelle. Pep Guardiola a profité de cette immaculation pour leur inculquer son propre style. « Il arrêtait l’entraînement pour corriger certaines choses, principalement avec les défenseurs et le milieu défensif. Il aimait beaucoup travailler sur les sorties de balle, il essayait toujours de trouver des solutions lorsque l’adversaire nous pressait de différentes manières, et nous l’avons beaucoup pratiqué à l’entraînement », se souvient Marc Valiente, capitaine, pour Goal.
Laboratoire pré-révolution
La première partie de saison est réussie sur le plan statistique et les victoires consécutives permettent au jeune entraîneur de créer sa propre crédibilité. Grâce à une rigueur remarquée sur et en dehors du terrain, il façonne petit à petit une équipe à son image. Sur Sky Sports, Dimas Delgado, ancien milieu du Barça B, racontait la particularité de son management : « Il avait des idées très claires et il était fantastique pour les expliquer. Chaque joueur de l’équipe a compris son travail et le plan pour gagner chaque match. Je pense que c’est son secret. »
Johan Cruyff, très attentif à l’équipe de son fils spirituel, n’hésitait pas à échanger avec lui au même titre que Juanma Lillo. Sur les doutes comme lors d’une série de trois victoires en sept matchs, mais surtout sur le jeu pratiqué. « Les deux fondements du style de mes équipes, le pressing haut et la construction, n’ont pas changé. De l’équipe du Barça B jusqu’à maintenant. C’est exactement la même chose. La façon dont nous attaquons devant a changé parce que la qualité des joueurs est différente avec chaque équipe », expliquait-t-il à Ara, média catalan, en 2019. Tous les joueurs parlent de « changement » dans leur carrière après cette saison 2007-2008.
16 victoires lors des 22 dernières rencontres, 19/21 à domicile sans aucune défaite, le titre de Tercera División est la preuve de la compréhension parfaite des consignes pour cet effectif. La victoire 6-0 en barrage retour face à Castillo CF témoigne de l’alchimie présente en fin de saison. Quatre buteurs différents, Dimas Delgado et Emilio Guera auteurs de doublé puis Pedro et Chico Flores, mais surtout une alchimie collective digne des équipes que Guardiola a entraîné par la suite. « Les terrains étaient très petits et on croyait, à l’époque, qu’il était impossible de jouer au football dessus. Mais Pep et ses concepts nous ont fait comprendre qu’il était possible de jouer au football sur ce sol », se remémorait l’ailier Sergio Urbano pour Sky Sports. À quelques semaines d’être intronisé entraîneur du grand FC Barcelone, Pep Guardiola a marqué les esprits par sa capacité à faire performer une équipe quatrième division comme il l’entend. Il a ensuite mérité d’entraîner les meilleurs joueurs du monde.
La suite, on la connaît. Pep Guardiola est passé sur le banc du Barça, du Bayern et de Manchester City. Des réussites sportives, certes avec des joueurs de qualité, mais surtout une révolution menée chaque jour depuis 15 ans qui fait évoluer le football de haut-niveau, mais pas seulement. Les quelques spectateurs présents au bord des terrains annexes entre septembre 2007 et juin 2008 pourraient attester que les relances courtes, le faux-9 et les latéraux à l’intérieur de jeu n’ont pas commencé avec un effectif construit à coups de milliards. Les autres, eux, diront que ce Barça B n’a même pas réussi à remporter la Ligue des Champions !
Sources :
- Adam Bate, « Pep Guardiola’s title victory with Barcelona B should not be ignored », Sky Sports
- Alejandro Segura, « ¿Dónde están los canteranos del Barça B que ascendieron con Guardiola de Tercera a Segunda B ? », Marca
- Sam Lee, « How Barcelona B shaped Pep Guardiola » Goal
- « Manchester City: La charge de Petit contre Guardiola après l’élimination face au Real », RMC Sports
Crédit photos : Icon Sport