A la fin des années 1980, le punk et le post-punk s’essoufflent. A Manchester, qui a vu grandir des noms importants de ces deux scènes, la mode est davantage à la dance et à l’électro mélangés aux drogues, l’ecstasy en tête. Le tout réuni en un lieu : les clubs. Une boîte en particulier symbolise cette période où fleurissent les sound systems : l’Haçienda. Ce club mancunien devenu l’un des lieux les plus importants de la ville industrielle permet d’évoquer une page capitale du rock anglais à une époque où s’affirme la relation entre le rock et le football, à Manchester.
La ville de Manchester est souvent représentée comme obscure, faite de briques et enfermée dans son histoire ouvrière. Si elle devient l’une des villes les plus importantes du rock où fleurissent de nombreux groupes mythiques (Joy Division, The Smiths, The Stone Roses…) c’est certainement grâce à cette représentation plutôt juste. En effet, pour échapper à la trajectoire professionnelle liée à l’activité industrielle de la ville, les jeunes Mancuniens choisissent le rock ou le football pour s’exprimer. Les années 1990 voient une deuxième vague de cette jeunesse : Manchester United est sur le toit de l’Angleterre avec cinq titres de champion et une Ligue des Champions. Dans le même temps, Manchester réinvente le rock : Oasis est le groupe le plus populaire du monde.
Oasis, symbole du lien entre football et rock
S’il est un groupe qui symbolise au mieux la relation étroite entre football et rock, c’est bien Oasis. Les frères Gallagher ont toujours identifié leur image à celle de Manchester City et n’ont cessé de démontrer leur supportérisme. Le célèbre photographe Kevin Cummins participe à cette association City-Oasis en prenant des clichés devenus mythiques. L’un où Liam et Noel Gallagher posent avec deux maillots de Manchester City alors sponsorisé par l’entreprise japonaise Brother, un autre où Liam fixe l’ancien stade des Citizens, Maine Road, face aux typiques bâtiments rouges ornés d’une publicité pour le sponsor des Blues.
Les histoires mêlant Oasis à leur amour pour Manchester City sont nombreuses. La séparation du groupe en 2009 n’empêche pas les frères Gallagher d’exprimer ce supportérisme invétéré. En 2012, Liam se fait exclure du Santiago Bernabeu pour avoir trop exprimé sa joie sur un but des Citizens face au Real Madrid. Quelques années auparavant, Noel reçoit une guitare en forme de demande de dédicace venue de la femme de Wayne Rooney pour l’anniversaire du Red Devil. Le guitariste lui renvoie l’instrument entièrement peint en bleu, décoré des paroles de Blue Moon, l’hymne de City, et y ajoute : «Happy Birthday Spongebob !».
Les légendes de Manchester United en chansons
Récemment, Liam Gallagher a fait figurer Eric Cantona dans son clip Once. Un film insolite lorsque l’on connaît le passé de voiturier du chanteur et sa tendance à cracher sur les véhicules des joueurs de United. Si le titre Once n’est pas une chanson en l’honneur du numéro 7 légendaire de Manchester United, Cantona ne manque pas d’hommages rock. Ils viennent des Halftime Oranges, de Louis Philippe (qui n’est autre que le journaliste Philippe Auclair) mais surtout de Raymond Bizarre qui chante « Merci France pour Eric Cantona » et le compare à d’autres Français célèbres : Gérard Depardieu, Charles Baudelaire ou François Mitterand.
George Best, un autre mythique numéro 7 des Red Devils, a lui aussi le droit a de nombreux titres en son honneur de la part du rock anglais. Celui que l’on surnomme le cinquième Beatle a inspiré New Order (Best & Marsh), The Devoted (I love George Best) et surtout The Wedding Present qui doit le nom de son premier album à la légende de United. Les chansons en l’honneur de joueurs ne représentent pas l’intégralité des titres footballistiques que le rock mancunien a pu produire. On peut citer Kicker Conspiracy de The Fall ou encore World in Motion de New Order, écrit à l’occasion du Mondial 1990, dans lequel on entend Paul Gascoigne et Chris Waddle aux chœurs.
Le conflit United/City dans le rock
L’opposition United/City est omniprésente dans le football à Manchester. Elle est d’ailleurs renforcée par le fait que chaque époque a son club mancunien au sommet du football anglais. Si City occupe aujourd’hui le haut de l’affiche et est le meilleur club de Manchester, dans les années 1990 c’était bien United. L’influence d’Oasis dans le monde entier et son affiliation aux Citizens a permis à Manchester City d’avoir des supporters alors que le club connaît la deuxième division et que United est l’un des clubs les plus importants d’Europe. Lorsque les frères Gallagher se produisent en Asie, de nombreux spectateurs portent le maillot de City sponsorisé Brother pensant qu’il s’agit d’un tee-shirt du groupe.
La relation que partage Oasis avec Manchester City ne se retrouve chez aucun autre groupe de rock. Cependant, de nombreux artistes ont revendiqué leur attachement à un club mancunien. Liam et Noel Gallagher ont en quelque sorte lancé une forme de mouvement de supportérisme obligatoire chez les rockers à Manchester : chaque groupe doit être Blue ou Red. Ainsi, en plus d’Oasis, Ian Curtis (le chanteur de Joy Division) et Johnny Marr (guitariste de The Smiths) ont également déclaré leur penchant pour City. Tandis que The Stone Roses, The Buzzcocks, Morrissey, Bernard Sumner (guitariste de Joy Division puis de New Order) ou encore Shaun Ryder (chanteur des Happy Mondays) sont des fans de United.
Manchester est le plus grand témoin de l’étroitesse du lien entre football et rock. La fin des années 1980 voit l’Haçienda devenir un haut-lieu du rock où se produisent les meilleurs groupes mancuniens. C’est là que naît Oasis et le conflit City/United au sein des rockers au point d’avoir une influence considérable sur les groupes mais aussi sur les deux clubs de football. Le pilier de l’inspiration mancunienne du rock est la morosité de cette ville ouvrière. C’est pourtant ce qui permet à Manchester de voir grandir des légendes du rock et du football. Ces jeunes ont su transformer leur grisaille quotidienne en ce que les fans de rock et de football ont vu de meilleur.
Sources :
- MINONZIO Pierre-Etienne, Petit manuel musical du football, Le mot et le reste, 2014
- ROBB John (trad. CARO Jean-François), Manchester Music City, Payot & Rivages, 2012
Crédits photo : Iconsport