Si le rock avait une couleur politique, elle serait certainement de gauche. Par ses nombreux courants musicaux, le rock a souvent été revendicatif, révolté ou plus simplement populaire. Le punk anglais persistant jusqu’à aujourd’hui a toujours refusé le conservatisme britannique, qu’il soit mené par Thatcher ou Johnson, tandis que le rock français n’a jamais non plus caché sa tendance de gauche. En revanche, le football a-t-il une couleur politique ? S’il en a une, elle ne vient pas si subitement que celle accolée au rock. Le football d’aujourd’hui véhicule d’ailleurs des valeurs penchant à droite par son économie et sa marchandisation à outrance. Alors, le rock et le football peuvent-ils cohabiter malgré ses disparités politiques apparentes ? Le rock français l’a démontré à plusieurs reprises, c’est un grand oui !
Le football de gauche est le football amateur ?
Mettons de suite Johnny Hallyday à l’écart. Lui, qui ne correspond certainement pas à la description du rock dressée en introduction, a pourtant œuvré pour le football avec son Tous ensemble pour la Coupe du Monde 2002 portant la poisse plutôt qu’autre chose aux Bleus… En effet, pour trouver de véritables fans de football chez les artisans du rock français, qui ne confondent pas Zizou et Zazie, il faut chercher d’avantage parmi les figures moins exposées ou médiatisées que n’a pu l’être Johnny.
Des groupes de rock français tirent leur nom d’évidentes références au football : Déportivo, Équipe de Foot ou encore Astonvilla. Pour ces rockers, la passion du football n’a jamais été cachée. C’est aussi le cas de Miossec qui dès son premier album, Boire en 1995, écrit un titre sur sa vision du ballon rond : Évoluer en troisième division. On pourra difficilement se rapprocher davantage du football populaire. Le Brestois décrit ici un latéral de D3 plus intéressé par la bière et les tacles que par la tactique. Chanteur de gauche par excellence, Miossec réfute le football rempli de clubs achetés par des fonds d’investissements étrangers. Pour lui, le PSG version QSI c’est «de la science-fiction. Les Qatariens se servent du sport à des fins géopolitiques. Et au milieu de tout ça, il y a une équipe de foot»¹. Ici, le rock se mêle donc bien au football, de gauche…
Le rock pour crier son amour aux légendes du football
Si Miossec met en avant le joueur amateur, d’autres rockers français ont préféré matérialiser à travers une chanson leur amour pour une légende du football. Le rock peut donc aussi s’intéresser aux stars surmédiatisées et évoluant dans les clubs les plus riches du monde…? Manu Chao a consacré deux chansons au plus grand : Diego Maradona. La première avec la Mano Negra, Santa Maradona, est un titre qui rend plus généralement hommage à la passion que suscite le football, El Pibe de Oro étant utilisé pour personnifier cette ferveur populaire. Plus tard, en solo, Manu Chao chante à la gloire de son idole dans le film Maradona par Kusturica. La scène voit le champion du monde écouter attentivement le chanteur français pendant que celui-ci clame :
Si yo fuera Maradona
Saldría en mondovision
Para gritarle a la FIFA
Que ellos son el gran ladrón
Si j’étais Maradona
Je sortirais en mondovision
Pour crier à la FIFA
Que c’est elle la voleuse
Avec La vida tombola, Manu Chao ne se prive pas d’apporter le caractère subversif du rock à une chanson acoustique et avant tout écrite pour célébrer l’un des dieux du football.
Une autre légende du football est facilement assimilable au rock. Eric Cantona est l’une des figures rebelles les plus marquantes que ce sport ait connu. Si les meilleurs moments de sa carrière ont eu lieu en Angleterre, il est évident que les inventeurs du rock ont chanté à plusieurs reprises en l’honneur du King. Cependant, ils ne sont pas les seuls. Le pays d’origine de Canto lui a aussi rendu hommage en chansons. Le joueur français le plus subversif est d’ailleurs un amateur de rock français : il reconnaît être un fan de Noir Désir et de Bertrand Cantat et est un ami de Gaëtan Roussel et Cali. Ce dernier a d’ailleurs écrit la chanson française la plus marquante et la plus juste concernant Eric Cantona.
« Quand j’étais vivant
Je voulais pas ça
Moi je voulais être Eric Cantona
Et marquer ce but contre Sunderland
Et lever les bras »
En se positionnant clairement comme un fan, Cali renie tout pour être Eric Cantona. Il qualifie même le football comme une sensation d’être vivant, comme si jouer au football et marquer un but splendide suivie d’une célébration qui l’est tout autant était le point d’orgue d’une vie, d’un être vivant. Il faut ajouter à cette très bonne chanson, son clip dans lequel figure la légende de Manchester United. Avec des expressions très cantonesques, l’ancien footballeur fixe Cali qui lui crie au visage qu’il voulait être lui, que cela était la plus belle des façons de vivre.
Transmettre les émotions d’un match par la fièvre du rock
Si le portrait de joueur semble être la façon la plus évidente de mêler le rock au football, certains ont choisi de mettre un match en chanson. On se souvient tous du premier match nous ayant mis en larmes, qu’elles soient de joie ou de tristesse. Elles coulent souvent lors de la Coupe du Monde, un événement déterminant dans la construction émotive d’un fan de football. France-Brésil 86 a inspiré Jean-Louis Murat pour le titre Achille à Mexico. En évoquant le souvenir victorieux des Bleus en quart de finale, Murat revient surtout avec beaucoup de nostalgie sur la blessure au talon de Michel Platini, l’empêchant d’être au maximum de sa forme jusqu’au bout de la compétition et privant ainsi les Bleus d’un titre mondial qui leur était promis après avoir effacé le Brésil.
Un autre souvenir, cette fois-ci plus douloureux et une nouvelle envie de refaire le monde : France-RFA 82. Ce drame a bouleversé le football et le rock français. Hubert-Félix Thiéfaine, intègre ainsi des commentaires du match dans son titre Solexine & Ganja tandis que les Bombardiers ont su dans une tradition prolétarienne qu’est la oi! mettre en chanson le traumatisme de toute une génération.
Avec un vocabulaire presque guerrier, le groupe punk-rock bordelais refait le match jusqu’à la faute de Schumacher sur Battiston. Ce procédé de description des événements d’un match est risqué car il n’est d’habitude pas un exercice que l’on met en chanson. Cependant, le punk-rock permet une rusticité naturelle et limpide pour unir autour de refrains triviaux mais harmonieux menés par des «oh-oh-oh» et des guitares. Une conception du football finalement pas si éloignée de celle de Miossec. Il n’y aurait-il qu’un pas entre France-RFA 82 et la troisième division arrosée à la bière ? C’est sûrement ce que veut nous faire comprendre le rock français lorsqu’il nous parle de football.
¹ Miossec : « Ce PSG c’est de la science-fiction », Le Parisien, 28 janvier 2012
Crédit photo : Iconsport