Avant de connaître les sommets du football international, Diego Armando Maradona a dû faire ses gammes comme les autres jeunes joueurs de son âge. Promis à un avenir brillant par son talent inné et vite repéré, celui que l’on surnommait seulement « El Pelusa » a confirmé les espoirs placés en lui lors de la coupe du monde U20 de 1979.
Sous le maillot rouge et blanc d’Argentinos Juniors, un gamin fait parler de lui pour ses pieds en or massif depuis son plus jeune âge. Professionnel dans son club formateur à quinze printemps, il porte pour la première fois la mythique tunique nationale moins d’un an plus tard. Cette première sélection en février 1977 face à la Hongrie prouve au grand public qu’il faudra compter sur lui dans les années à venir. Les Argentins, eux, le connaissent déjà et rêvent de le voir s’imposer au plus haut niveau.
Une première déception
Cette première cape s’accompagne de certains désirs pour le jeune Diego Armando Maradona également. Encore adolescent, il aspire à devenir un joueur incontournable de l’Albiceleste. « J’ai deux rêves, disputer une Coupe du monde, et la remporter avec l’Argentine », déclarait-il lors d’un reportage à seulement douze ans. L’occasion semble parfaite puisqu’un mondial se profile en 1978 dans son pays. Celui-ci est plongé dans la sombre dictature militaire de Jorge Videla et ne demande qu’à s’enthousiasmer devant les exploits de sa pépite.
LIRE AUSSI : Argentine 1978, la dictature championne du monde
L’homme qui permet au jeune meneur de jeu de faire ses grands débuts avec les grands n’est autre que le légendaire César Luis Menotti. Sélectionneur depuis 1974, il entend former un groupe solide pour remporter le Graal sur son sol quelques mois plus tard. El Flaco doit tout de même s’adapter au contexte difficile régnant au sein du pays sud-américain. En plus de la situation politique qui ne sied guère à ce communiste convaincu, Menotti doit également faire face à un obstacle de taille dressé par deux soutiens nécessaires. En effet, dès 1975, les géants de Boca Juniors et de River Plate refusent d’envoyer leurs joueurs en sélection obligeant le coach à se tourner vers un vivier moins connu.
Autour de Mario Kempes, Daniel Passarella ou encore Alberto Tarantini, le sélectionneur donne sa chance à Diego Armando Maradona, la jeune pousse d’Argentinos Juniors. Critiqué par les médias locaux avant même la compétition, César Luis Menotti est confronté à de terribles dilemmes pour établir sa liste finale. Parti avec un groupe de 40 joueurs, il en laisse d’abord 15 sur la touche avant de se séparer des trois derniers éléments à onze jours du coup d’envoi du tant attendu Argentine – Hongrie. Le 19 mai 1978, Victor Bottaniz, Humberto Bravo et Diego Maradona voient le ciel leur tomber sur la tête. Ils ne feront pas partie du groupe remportant la première coupe du monde de l’histoire argentine.
Veillée funèbre et retour attendu
Malgré la réputation du joueur qui n’a pas encore 18 ans, Pelusa ne se faisait pas tant d’espoirs après seulement quatre matchs amicaux disputés et un seul comme titulaire. Pas dans les plans de César Luis Menotti pour son expérience trop maigre, il doit faire ses valises et regarder le Mundial depuis chez lui. Malgré des signes avant-coureurs, le choix reste difficile à avaler pour le joueur que l’on annonce comme le futur meilleur du monde. « La veille de la décision, Francisco Cornejo est venu me voir et m’a trouvé en train de pleurer dans ma chambre. C‘est pour cela que je dis que je l’ai vu venir. Quand Menotti a fait son annonce, Leopoldo Luque et El Tolo Gallego sont venus me voir, et c’est tout. Enfin, c’est compréhensible. Tout le monde voulait disputer ce Mondial et chacun défendait son bifteck », écrivait le principal intéressé dans son autobiographie.
Dès la discussion avec César Luis Menotti terminée, El Pibe de Oro quitte le camp argentin avec une légère amertume envers le sélectionneur. Toujours dans son livre Yo soy el Diego, il se remémore ce jour de mai 1978 : « On aurait dit un veillée funèbre, se rappelle l’idole exclue, toute ma famille pleurait, me disait que j’étais le meilleur, que je ne devais pas m’en faire, que je jouerais d’autres Coupes du monde. Ce fut le jour le plus triste de ma carrière et je me suis alors promis d’avoir ma revanche ». Il veut prouver à l’Argentine et à son coach qu’il a les épaules pour aller au sommet tout en portant son pays.
À peine majeur, il doit encore engendrer de l’expérience – et le vice qui fera sa légende huit ans plus tard – pour prétendre disputer une Coupe du monde avec l’Albiceleste. El Flaco, lui, n’a pas tiré un trait sur le prodige et observe avec intérêt ses performances avec Los Bichitos Colorados. Diego Armando Maradona ne déçoit pas pour son retour aux affaires en s’affichant comme l’un des meilleurs joueurs du championnat domestique.
Menotti compte sur lui
Un an après le jour le plus triste de sa carrière, le jeune numéro 10 est appelé par le sélectionneur qui l’avait « trahi » en 1978. Cette fois, ce n’est pas avec les champions du monde en titre mais avec les joueurs de son âge. Avec l’étiquette de joueur professionnel collée au front depuis longtemps, il fait figure d’OVNI pour disputer le mondial U20 en septembre 1979.
César Luis Menotti aussi intrigue puisqu’il arrive fort du sacre dans la plus grande compétition de football et pourrait donc ne pas préparer avec la même rigueur un tournoi de jeunes. Qu’importe le prestige des matchs, le tacticien arrive à Tokyo avec la ferme intention de soulever un nouveau trophée. Pour cela, il compte évidemment sur son poulain aux pieds d’or.
Au moment de débuter la coupe du monde des moins de 20 ans, Diego Armando Maradona compte déjà plus de 50 buts en première division argentine. Il est incontestablement le joueur le plus expérimenté et celui à qui on promet le plus bel avenir. Lors de trois semaines sous les ordres d’El Flaco, il confirme les espoirs placés en lui. Il garde en mémoire la frustration de l’année précédente mais s’en sert pour donner le meilleur de lui-même. « Je voulais une revanche du Mondial, et je l’ai eue. Cette équipe fut, et de loin, la meilleure dans laquelle j’ai évolué. Jamais je ne me suis autant amusé sur le terrain. Qu’est-ce qu’on jouait bien ! », se souvient celui qui venait de sortir de son adolescence en ne pensant qu’à jouer au football et à dépenser ses premiers salaires dans les cadeaux pour ses parents et Claudia, sa fiancée et future femme.
Maradona et les autres
En 1978, le résultat final avait donné raison à César Luis Menotti. Un an plus tard également puisque le tacticien obtient son deuxième titre mondial à quelques mois d’intervalle. De l’Argentine sous le joug de la dictature, les pibes et leur coach s’envolent vers un pays inconnu pour la plupart : le Japon. La discipline nippone va servir aux jeunes argentins qui n’en perdent pas pour autant leur créativité balle au pied. Constamment poussés vers l’avant par El Flaco, et toujours dans les pas d’El Pelusa, le groupe bleu ciel et blanc dispose de chaque adversaire avec une facilité déconcertante.
Alors que Mario Kempes et ses coéquipiers humiliaient le Pérou 6-0 en demi-finale de la Coupe du monde 1978 – avec quelques soupçons de corruption – Diego Armando Maradona et ses potes multiplient les scores fleuves. Même si le succès sera utilisé à des fins politiques par le pouvoir mis en place par Jorge Videla, le fait de jouer à l’autre bout du globe permet aux jeunes joueurs ne pas se sentir sous l’emprise du dictateur au contraire de leurs aînés. Une certaine liberté qui se retrouve aisément sur les terrains d’Omiya.
Dès l’ouverture de son tournoi, Diego impressionne avec un doublé face à l’Indonésie. Malgré la faible adversité, les Argentins marquent un grand coup en s’imposant 5-0 grâce, également, à trois réalisations de Ramón Diaz alors bien moins connu que son compère mais qui finira meilleur buteur de la compétition. Parmi les autres fessées données, un joli 4-1 face à la Pologne avec un but de Maradona ou encore un nouveau cinglant 5-0 assené à l’Algérie en quart avec une réalisation du 10 et trois de l’avant-centre. En finale, c’est l’URSS qui a plié devant les assauts sud-américains en perdant 3-1 avec un dernier coup-franc maradonesque du héros éponyme. En six matchs, ils n’auront encaissé que deux petits buts tout en trouvant le chemin des filets vingt fois. Diego Armando Maradona termine deuxième meilleur marqueur avec six inscriptions, deux de moins que Ramón Diaz.
La postérité par le jeu
Si l’on se souvient de cette coupe du monde U20 de 1979 c’est en partie grâce aux performances du numéro 10 argentin, vingt-six ans avant celles de Lionel Messi dans l’édition de 2005. Balle au pied, Pelusa est déjà au-dessus du lot et fait vivre un calvaire à toutes les défenses rencontrées. Brassard de capitaine autour du bras, il confirme être un leader également en dehors du terrain en emmenant ses jeunes coéquipiers sur le toit du monde. Après avoir été privé de la compétition de ses rêves, la future légende napolitaine ne semble plus rancunier envers César Luis Menotti et savoure en sa compagnie ce titre mondial.
Évidemment, celui-ci semble bien moins important que le sacre planétaire de 1986 pour Diego mais conserve une saveur particulière pour les amoureux de football argentin. Le décalage horaire les oblige à se lever la nuit pour suivre les exploits de leur pibes mais pour des souvenirs ineffaçables. Le journal national Olé se rappelle justement d’un « football inoubliable ». Ruben Rossi, défenseur central de la formation a été interrogé par Eurosport sur cette épopée mémorable : « Cette équipe a généré autant de nostalgie parce qu’elle a touché le cœur des gens. Cette victoire n’est pas affaire de chiffres, de leur froideur, on parle de bonheur, de sensibilité, de joie ».
Ballon constamment au sol avec des passes rapides et précises ainsi que des buts à foison, les jeunes Argentins impressionnent le monde grâce à leur entraîneur si particulier. « El Flaco Menotti m’a appris que la beauté n’apparaît pas en la recherchant, Picasso ne recherchait pas le beau quand il peignait, García Marquez non plus quand il écrivait, mais ils peignaient et écrivaient si bien que la beauté apparaissait seule. Il en était de même pour nous. Menotti ne nous disait pas de jouer beau mais de bien jouer, et quand on joue très bien à un moment la beauté apparaît, comme avec le Brésil 70 ou le Barcelone de Guardiola (…) Comme dit mon ami Jorge Valdano : nous aspirons tous à gagner mais seuls les médiocres renoncent à la beauté », explique Ruben Rossi avec une poésie si chère à l’Argentine. Un sacre qui lança définitivement l’histoire d’amour entre Diego Armando Maradona et son pays à travers le jeu et le romantisme.
Sources :
- Thomas Goubin, « Coupe du monde 1979 : la belle Argentine de Maradona et Menotti », Eurosport
- « Le jour où Menotti n’a pas retenu Maradona pour un Mondial », So Foot
- « Moi, Diego », Diego Maradona, 2001, Calmann-Lévy
Crédits photos : Icon Sport