Ce dimanche, le Paris Saint-Germain reçoit l’Olympique de Marseille. Le match que l’on appelle le « classique » du championnat de France a connu une histoire particulière et tout à fait singulière. Si les deux clubs se rencontrent dès les années 1970, lorsque le club parisien émerge, la rivalité n’apparaît qu’à la fin des années 1980. Elle est alors construite artificiellement par les dirigeants des deux clubs et se pérennise par la suite grâce à de nombreux acteurs. Nous sommes aujourd’hui dans une longue période de huit années sans défaite pour le PSG face à l’OM, ce qui fragilise cette pérennité.
Deux villes diamétralement opposées
La rivalité entre le PSG et l’OM est d’abord une rivalité entre Paris et Marseille. Du moins elle a été possible en opposant sociologiquement ces deux villes. Une première différence géographique frappe à l’échelle de la France entre la capitale et la cité phocéenne. Vient ensuite la dimension centralisatrice de Paris, la « Ville lumière » attire tous les projecteurs sur elle jusqu’à en devenir méprisante et adopter un caractère hautain vis à vis de la province. C’est ce postulat qui fait de Marseille sa parfaite antithèse en la présentant comme étendard de la révolte provinciale, d’un certain militantisme poussé parfois à l’extrême (une dimension souvent observée chez la ville provençale car en effet, la théâtralisation et l’exagération appartiennent au folklore marseillais). Une nature révoltante qui a valu à Marseille de se faire débaptiser et ainsi nommer « la ville sans nom » par la Convention en 1793 après une révolte anti-jacobine. Ou de voir les deux villes se disputer l’exposition coloniale de 1906 organisée par Jules Charles-Roux. Ou de voir la Police de Paris « descendre » en Provence lorsque le roi Alexandre Ier de Yougoslavie est assassiné à Marseille en 1934, un épisode qui en dit long sur le rapport qu’entretient chacune des deux villes à l’ordre. C’est d’ailleurs ce qu’en déduit Christophe Bouchet, aujourd’hui maire de Tours et président de l’Olympique de Marseille de 2002 à 2004 : « Paris constitue avant tout une contrainte aux yeux de la population. C’est une incarnation de trois heures de queue à la sécurité sociale, par exemple. Paris, en fait… c’est Moscou ! C’est l’ordre. A l’inverse, Marseille, c’est l’amour de la transgression, du désordre. »¹
Marseille et Paris sont opposées géographiquement, sociologiquement, historiquement et culturellement. Toutes ces dimensions se traduisent dans le football : l’Olympique de Marseille est un club vieux d’un siècle avec une identité très forte, cultivée notamment par un attrait populaire et une continuité au haut-niveau tandis que le Paris Saint-Germain, fondé en 1970², est très jeune et a toujours voulu briller fort et vite quitte à piétiner son histoire (je pense aux arrivées renversantes de Canal + ou QSI à la tête du club). Luis Fernandez, icône du PSG avoue que « le côté identitaire est impossible à Paris »¹. Cette opposition constante traduit finalement une relation inséparable des deux villes et par la suite des deux clubs qui se nourrissent l’un et l’autre de cet antagonisme.
La triade diabolique
A la fin des années 1980, le Paris Saint-Germain est en crise, le président Francis Borelli accumule les dettes, les échecs de transferts et les mauvais résultats. La mairie de Paris aide jusqu’ici le club de la capitale mais après ces échecs, Alain Juppé, proche de Jacques Chirac (alors maire de Paris), refuse d’éponger les dettes du club mais ne souhaite pas voir le PSG couler. La mairie missionne des proches et anciens dirigeants du Paris Saint-Germain afin de trouver une solution. Après l’éventualité de voir le club racheté par Silvio Berlusconi écartée, Canal +, détenteur des droits du championnat de France, s’offre le club parisien en 1991. L’Olympique de Marseille de son côté connaît une semblable situation de crise sportive au début des années 1980 et est repris en 1986 par l’entrepreneur Bernard Tapie.
A cette période, Canal + et l’OM sont de bons partenaires commerciaux. Les droits télévisuels que permet la chaîne cryptée ravi Bernard Tapie qui, par ailleurs, s’entend bien avec Michel Denisot, Pierre Lescure ou encore Charles Biétry aux commandes de Canal et donc du PSG. La grande rivalité de la Division 1 opposant Marseille à Bordeaux bat de l’aile et le niveau du championnat en pâtit. L’idée de créer un nouveau concurrent aux Phocéens germe dans la tête du président marseillais mais aussi de la direction parisienne. Paris se construit donc à coup de billets une équipe capable de rivaliser avec l’OM. Ainsi, Canal + n’est plus seulement le détenteur des droits de la D1 mais aussi celui qui se met au défi de la redynamiser afin de générer plus d’engouement, plus de spectateurs dans les stades, plus de téléspectateurs et donc plus de recettes. Le « classique » du championnat de France est le fruit d’un contexte particulier qui a permis aux dirigeants des deux clubs d’orchestrer une rivalité. Il faut alors entretenir cette rivalité et la traduire sur le terrain.
Trois matchs viennent donner naissance à la rivalité PSG-OM, parfois même avant l’arrivée de Canal + à la tête du Paris Saint-Germain. Un homme cependant est lui bien présent dès les débuts du conflit : celui que plusieurs personnalités du football d’alors (Jean-Claude Darmon et Bernard Brochand par exemples¹) décrivent comme le Malin, Satan, le Diable. Bernard Tapie.
Le 21 mai 1988, lorsque le Paris SG s’impose 2 buts à 1 sur la pelouse du Vélodrome, le contexte est mal choisi. Marseille vient de se faire éliminer par l’Ajax Amsterdam en Coupes des coupes et Tapie vient d’annoncer sa candidature aux législatives. Il ne peut subir deux échecs de suite. Il décide alors de descendre sur la pelouse à toute vitesse exprimer à l’arbitre du jour, M.Rideau, son mécontentement face au favoritisme dont il aurait fait preuve avec les Parisiens. Le stade entier soutient Tapie, c’est ce soir que résonne pour l’une des premières fois « Paris, Paris, on t’enc… ».
Le 5 mai 1989, le deuxième du championnat, Marseille, reçoit le leader parisien. Un seul point sépare les deux équipes. Celui qui l’emporte est quasiment assuré de s’adjuger le titre de champion de France. Francis Borelli et Bernard Tapie, les présidents des deux clubs font monter la température à distance avec plusieurs histoires et rumeurs de transfert. Dix jours avant le match, le quotidien L’Équipe reçoit un tract du groupe de supporters du PSG : « Trop longtemps endormi, le Kop de Boulogne va se réveiller et nos combats retentiront dans toute l’Europe. Marseille ne se relèvera jamais plus après notre passage. Le grand nettoyage commence. Notre histoire deviendra légende. Anciens et nouveaux unis dans les futurs combats. Notre haine est sans limite. Le Heysel nouveau est arrivé ». Francis Borelli, inquiet, annule finalement le déplacement de ses supporters en Provence. Au terme d’un match crispé, l’OM s’impose 1-0. L’émotion est si forte qu’une supportrice marseillaise de 22 ans succombe d’une crise cardiaque, Jean-Pierre Bernès, proche de Bernard Tapie, est victime d’un malaise.
LIRE AUSSI : Tragiques gradins
Le 18 décembre 1992 marque un véritable tournant dans la rivalité Marseille-Paris. La veille, le joueur parisien David Ginola déclare « ça va être la guerre», son entraîneur choisit «on va leur marcher dessus. L’OM va vivre l’enfer ». Il n’en faut pas plus pour que ce match devienne effroyable. Avec un nombre incalculable de fautes, les Marseillais l’emportent 1-0 au Parc des Princes. Le PSG accuse la Ligue Nationale du Football d’avoir avantagé l’OM. Les relations entre dirigeants marseillais et parisiens sont infectées. Le processus a atteint son terme, les rivaux sont réellement nés ce soir-là.
Entretenir ou détruire la rivalité
Après ces trois dates et notamment celle du 18 décembre 1992, les matchs entre le Paris Saint-Germain et l’Olympique de Marseille n’ont plus jamais la même saveur. La France du football connaît et cultive cette rivalité. Bernard Tapie (et Canal+ dans une moindre mesure) a réussi son pari : donner un nouvel élan à la première division en créant des ennemis.
Si Canal + est évidemment le premier média profitant de cette rivalité naissante, tous les autres vont suivre. La ferveur autour du « classique » est également un produit médiatique. Mario Albano, journaliste à la Provence, écrit avant le PSG-OM du 26 octobre 2002 : « C’est l’histoire d’une rivalité entretenue. D’un antagonisme exacerbé devenu, au fil du temps et des époques, un formidable support médiatique. Et si un PSG-OM se joue sur le terrain, il se construit généralement en coulisses. […] Les caméras raffolent de ces moments d’agitation. […] Pas question donc de parler de lassitude. Les abonnés [de Canal+] aiment ce choc, sa dimension irrationnelle, et en demandent toujours plus ». Il est alors inenvisageable de la part de n’importe quel média sportif de ne pas faire monter la température au moins une semaine avant le « classique », ni même pour un média généraliste de ne pas en parler le jour du match, chose qui ne se produit que rarement ou aléatoirement en France.
Les supporters des deux équipes, bien que conscients de l’artificialité de cette rivalité, l’entretiennent malgré tout. Être supporter de l’Olympique de Marseille c’est tout autant être pour l’OM que contre le PSG, et vice-versa. Chaque camp place en l’autre des objets de dégoût : les Marseillais voient en Paris un club créé de toute pièce se complaisant dans une ville superficielle et les Parisiens voient en Marseille une ville sale, symbole de la triche, de la mafia, des « magouilles ». C’est de ce stéréotype que naît le surnom de « rats » que les supporters accolent aux Phocéens. Les groupes ultras développent alors une rhétorique de haine envers le rival se manifestant dans les chants, les tifos et toute autre animation de tribunes.
Cette hostilité met en péril la sécurité autour des « classiques ». Aujourd’hui, les ultras Marseillais ou Parisiens sont généralement interdits de se rendre dans le stade de l’ennemi. L’animosité souvent violente qui a eu lieu entre ultras du PSG et de l’OM a été freinée d’abord par le plan Leproux puis par l’arrivée de Qatar Sports Investissment à la tête du club de la capitale. Si Marseille remporte le premier « classique » depuis le rachat qatari du Paris SG (3-0, le 27 novembre 2011), elle n’a plus jamais gagné depuis. 8 ans que ce match est à sens unique. Du jamais vu. L’ensemble des acteurs (supporters, médias, joueurs, entraîneurs etc) qui fait monter la température du OM-PSG ou PSG-OM a conscience de la crise que traverse cette rivalité. En témoigne les récentes déclarations marseillaises : l’entraîneur olympien André Villas-Boas trouve que ce match «ne compte pas trop » jugeant que les Parisiens évoluent «dans une autre ligue». Le défenseur de l’OM, Boubacar Kamara assume que « tout le monde joue à FIFA avec les joueurs du PSG », une phrase lourde de sens qu’il aurait été inenvisageable d’entendre ne serait-ce qu’il y a dix ans. Enfin, le capitaine et gardien de l’Olympique de Marseille, Steve Mandanda, déclare : « Il y a moins de rivalité, les matchs sont moins accrochés, on sait que Paris est largement favori. Aujourd’hui, c’est plus avec l’Olympique Lyonnais que l’on retrouve ça ». Cette dernière déclaration vient signaler un bouleversement dans la mentalité des joueurs que n’ont sûrement pas encore effectué les supporters.
Du fait de son artificialité, la rivalité entre l’Olympique de Marseille et le Paris Saint-Germain était sûrement condamnée à s’éteindre à un moment, il semblerait que ce moment soit arrivé. Malgré cela, la pérennité de cette opposition est incontestable et due à l’engouement que lui ont porté tous les composants du football français : clubs, joueurs, personnalités, supporters et médias. Si cette rivalité semble au point mort, il en va de même pour la Ligue 1 remportée sur les sept dernières saisons, six fois par le PSG. La solution est peut-être de trouver un nouveau rival au club parisien puisque selon Steve Mandanda, l’OM a déjà trouvé le sien.
¹ Propos recueillis par Jean-François Pérès et Daniel Riolo dans OM-PSG PSG-OM Les meilleurs ennemis, Enquête sur une rivalité, Mango Sport, Paris, 2003
² Un article revient sur la singulière fondation du Paris Saint-Germain : PSG, le début d’une histoire devenue légende