L’histoire du XXe siècle est faite de nombreuses modifications de frontières. Des villes ont ainsi été sous la domination de plusieurs pays. Et c’est ainsi que le Pogoń Lwów, l’un des plus grands clubs polonais de l’entre-deux-guerres avec quatre couronnes est réapparu récemment dans le championnat ukrainien.
La ville de Lviv est la demeure de nombreux clubs majeurs. Si le FK et le Rukh Lviv sont aujourd’hui en première division ukrainienne, le Karpaty Lviv a lui remporté la Coupe d’URSS 1969 et a participé à la phase de poule de la Ligue Europa en 2010-2011. Pourtant, l’équipe la plus titrée de la ville n’est autre que le Pogoń Lwów. Mais comme son nom l’indique, elle est liée à la communauté polonaise de la ville et c’est durant la domination de ce pays sur la cité lvivienne qu’elle a remporté quatre titres nationaux.
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Tout débute au début du XXe siècle sous l’impulsion d’un homme, Eugeniusz Piasecki qui veut populariser le football dans sa ville. Celle-ci est sous domination austro-hongroise et porte alors le nom de Lemberg (aussi appelée Lviv ou Lwów selon les communautés). Il fonde en 1904 le Klub Gimnastyczno-Sportowy (Club de gymnastique et de sport) du 4e collège. C’est le troisième club de la communauté polonaise après le Czarni Lwów et Lechia Lwów, qui sont parmi les premiers clubs polonais de l’histoire.
C’est d’ailleurs en 1906, à l’issue d’un voyage du Klub Gimnastyczno-Sportowy et du Czarni Lwów à Cracovie que deux clubs sont créés : le KS Cracovie (cinq fois champion de Pologne) et le Wisła Cracovie (treize fois champion). L’équipe de Piasecki prend son vrai nom en 1907 : le LKS Pogoń Lwów. Pogoń correspond alors au Pahonie, le symbole historique de la République des Deux Nations qui comprenait alors au XVIIe siècle, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie. C’est la raison pour laquelle on retrouve dans le logo, un chevalier sur un cheval blanc tenant une épée levée dans sa main droite, et un bouclier avec une double croix d’or dans sa main gauche.
Un club précurseur
L’équipe est principalement sponsorisée par Ludwick Kuchar, le propriétaire d’une chaîne de cinéma en Galicie (la région austro-hongroise qui comprend notamment les villes de Cracovie et Lemberg). Il entrera également au conseil d’administration du club. En 1908, ce dernier se dote d’un statut de club d’athlétisme et de football, une première pour l’histoire d’une équipe polonaise. Puis, en 1910, elle rejoint l’Association autrichienne de football, avant de co-fonder en 1911 l’Association polonaise de football. Une histoire bien complexe pour un club qui se veut polonais mais qui n’est alors pas sur le territoire en question.
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Au cours des premières années, le Pogoń, qui a choisi pour couleur le rouge, le bleu et le blanc, affronte surtout des équipes de sa région. En 1913, il joue le championnat de Galicie. Mais la Première Guerre mondiale va être un premier coup d’arrêt. La guerre polono-ukrainienne qui prolonge le conflit jusqu’en pour le contrôle de la région cause la mort de près de 57 membres du clubs, issus des différentes sections (football, athlétisme, hockey…).
En novembre 1918, la Pologne obtient son indépendance. La Fédération polonaise de football se structure en décembre 1919 et le Pogoń en devient un des fondateurs. Le club peut participer au championnat du district de Lwów, mais une nouvelle guerre, cette fois face aux Soviétiques, le suspend en 1920.
En 1921, le premier championnat de Pologne a lieu lieu. Le Pogoń remporte le championnat de son district et se qualifie pour la phase finale où il termine quatrième. Le KS Cracovie devient le premier champion polonais de l’histoire.
L’âge d’or du Pogoń
Sous la conduite de l’Autrichien Karl Fischer, le club enchaîne les succès en 1922. Dans sa phase de district, le club remporte tous ses matchs. Il se qualifie alors pour les finales régionales du sud du pays où il remporte sa poule de quatre avant d’affronter le leader du nord. C’est le Warta Poznań qui se présente devant lui. Après un nul 1-1 à l’extérieur, le Pogoń remporte le retour 4-3 et décroche le premier titre de son histoire.
L’année suivante, il surclasse de nouveau son championnat local. Dans la phase suivante, cette fois-ci découpée d’est en ouest, il remporte la poule et affronte le champion occidental, le Wisla Cracovie. Après un match aller remporté 3-0 puis une défaite 2-1 à l’extérieur, il faut jouer un match décisif. Le match, disputé à Varsovie, est remporté par le Pogoń 2 buts à 1, ce qui lui permet de glaner un deuxième titre consécutif.
La pause olympique avant le retour des succès
1924 est une année de repos pour le championnat polonais puisqu’il s’agit d’une année olympique. La Fédération mise sur cet événement qui se déroule à Paris et n’organise donc pas de vrai championnat. Le Pogoń en profite pour réaliser de nombreuses tournées dans le pays, et à l’étranger, comme par exemple en Yougoslavie. La pause n’est finalement pas brillante pour les Aigles blancs qui sont éliminés dès le premier tour par la Hongrie, 5 à 0, dans une compétition finalement remportée par l’Uruguay.
Le championnat de Pologne reprend en 1925 et sur sa lancée, le Pogoń l’emporte de nouveau malgré quelques problèmes financiers. À l’issue de la saison, le club perd son coach autrichien mais aussi Emil Görlitz et Józef Słonecki qui rejoignent tous les deux l’Associazione Sportiva Edera de Trieste en Italie, devenant alors les premiers joueurs professionnels polonais.
Son dernier sacre a lieu en 1926. L’équipe de Lwów écrase la concurrence et remporte donc quatre des cinq premiers championnats de l’histoire de la Pologne. Mais en 1927, le format de celui-ci évolue et on passe à un championnat avec un plus grand nombre d’équipes et un système de promotions et relégations. Le Pogoń, miné par des problèmes financiers ne termine que quatrième. Il est notamment forfait pour ses trois derniers matchs après avoir affronté en amical le club banni du KS Cracovie qui s’était rebellé contre le nouveau système.
La fin du règne du Pogoń
Le club réalise la pire année de son histoire en 1929. Il doit alors lutter pour le maintien et termine neuvième sur treize, à deux points du premier relégable. Le club ne parvient finalement plus à obtenir de titres. On peut toutefois souligner ses secondes places en 1932 à un point du KS Cracovie, en 1933 à un point du Ruch Chorzów et en 1935 à un point du même club.
Au cours de cette période, le club réalise souvent des tournées à travers d’autres pays d’Europe. Ainsi, en 1934, il visite la France et la Belgique. Il s’incline 1-0 face à l’Olympique Lillois (champion de France en 1933) mais bat 2-1 le Daring Club de Molenbeek (vice-champion de Belgique en 1934). Ils battent également la même année le Milan AC 5-3 en amical.
Après 1935, le club se contente de places d’honneur, sixième en 1936 et 1937, il est cinquième en 1938. Alors qu’il est en troisième position en 1939, la Seconde Guerre mondiale démarre. La Pologne est envahie et occupée. Le club disparaît. Après les différents traités et conférences internationales, les frontières sont redessinées et la ville de Lwów est désormais placée dans le territoire ukrainien.
Une partie des joueurs et dirigeants du Pogoń décident alors de quitter l’Ukraine pour rejoindre la Pologne. Ils contribuent ainsi à la fondation de plusieurs clubs comme le Polonia Bytom (deux fois champion de Pologne), l’Odra Opole, le Piast Gliwice (une fois champion) ou le Pogoń Szczecin (deux fois champion). Ces équipes ont toutes repris les couleurs du Pogoń. En 35 années d’existence, le club a disputé environ 955 matchs pour 557 victoires, 263 défaites et 135 nuls.
En plus de Batsch et Kuchar sélectionnés aux Jeux de 1924, le Pogoń a accueilli de nombreux internationaux durant l’entre-deux-guerres. On peut évoquer le gardien Spirydion Albański (18 sélections), recordman du nombre de match de championnat avec Lwów (234 rencontres), Michał Matyas (18 sélections, 7 buts et futur sélectionneur du pays), meilleur buteur du club (100 buts), Jan Wasiewicz (11 sélections, 1 but) ou encore Józef Garbień (8 sélections, 2 buts). Adam Wolanin, qui a participé à la Coupe du monde 1950 avec les États-Unis, a aussi évolué au Pogoń Lwów.
Le renouveau du club
En 2009, des Polonais de Lviv décident de relancer le club historique avec son nom traditionnel. À l’aide du Consulat général de la République de Pologne à Lviv, de la Semper Polonia Foundation et de nombreux expatriés, le club reprend vie. Il dispute de nombreux matchs amicaux face à d’anciens rivaux comme le KS Cracovie en 2011 ou le Warta Poznań en 2012. Cette même année, plusieurs équipes de la première ligue régionale de Lviv, le quatrième échelon régional, déclarent forfait. Le Pogoń demande alors à les remplacer et cette demande est acceptée.
Le club est une particularité du championnat ukrainien. Son président, Marek Horbań, se targuait même en 2017 d’être la seule équipe à pouvoir porter, à ce niveau, un nom en caractères latins et non pas en cyrilliques. Le club connaît pourtant des difficultés financières et ne possède pas encore son propre stade. Il doit jouer sur le terrain de l’université de technologie de Lviv.
Si la grandeur passée du Pogoń Lwów sera sans doute difficile à retrouver un jour, ce petit coin de Pologne, au milieu du championnat ukrainien, surprend. Mais le renouveau du septième club le plus titré de Pologne permet de réunir une communauté d’expatriés, mais aussi d’Ukrainiens, autour de l’amour du ballon rond.
Sources :
- Site officiel du club
- Football Ski, Pogoń Lwów, la renaissance d’une tradition footballistique, footballski.fr, 19 mars 2015.
- Retro Football, Pogoń Lwów – romantyczna opowieść z kresów, rfbl.pl, 23 janvier 2017.
- BUKOWSKI Bartłomiej, Pogoń Lwów – legendarny zespół w drodze ku odrodzeniu, igol.pl, 8 avril 2019.
- KLIBER Filip, Marek Horbań, prezes Pogoni Lwów: Z zazdrością patrzymy na to, co się dzieje w Polsce, gol24.pl, 2 janvier 2017.
- NSOL,Tour du Monde : Zoom sur le Pogoń Lwów, demivolee.com, 26 avril 2017.
Crédits photos : Icon Sport