Au sommet du football mondial en tant que joueur dans la première moitié des années 1980, Michel Platini est devenu un dirigeant qui compte dans le « football circus ». Mais sa proximité avec Sepp Blatter et divers arrangements avec les règles alors qu’il bénéficiait d’une image de probité ont fini par lui valoir d’être assez largement ostracisé par son ancien milieu. Platoche ou l’histoire d’une chute.
C’est la fête à Nancy en ce 23 mai 1988. Pensez donc, Michel Platini, l’enfant du pays, fête son jubilé au stade Marcel Picot, où il a posé les premières pierres de sa fabuleuse carrière. Au menu, du beau monde : Enzo Francescoli, Lothar Matthaus, Zico… Mais surtout Pelé pour donner le coup d’envoi en costume et Diego Maradona dont le maillot « No Drug » fait encore le bonheur des réseaux sociaux plus de trente ans après. Un match conclu sur le score de 2-2, entre l’équipe de France de 1984 et une sélection mondiale, où Platoche cèdera la place en fin de match à son fils Laurent. Une belle soirée pour mettre fin à une fabuleuse carrière. Mais surtout le premier jour du reste de sa vie. Le Platini joueur va laisser place au Platini sélectionneur (même si personne ne le sait encore) puis au Platini dirigeant.
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Sélectionneur, la symphonie inachevée
Cinq mois plus tard, les Bleus ramènent de Chypre un piteux match nul en qualifications pour la Coupe du monde 1990. Déjà non qualifiée pour l’Euro 1988 alors qu’elle était tenante du titre, l’équipe de France est en danger. En coulisses, même si Jean Fournet-Fayard, le président de la FFF, le soutient, le sélectionneur Henri Michel se sait sur la sellette. Une fronde menée par le Variétés Club de France et le truculent président girondin Claude Bez manœuvre pour évincer Henri Michel au profit de son ancien capitaine. Et ce qui devait arriver arriva. Deux jours après le désastre de Nicosie, Henri Michel est débarqué au profit de Michel Platini.
Le souci, c’est que Platini est encore sans doute trop joueur dans sa tête. Prenant régulièrement place au milieu de ses ouailles pendant les séances tout en bombardant son adjoint et futur successeur Gérard Houllier arbitre des petits jeux qu’il organise. Platini n’a pas de vraie ligne directrice sur le plan tactique et a du mal à composer avec des joueurs qui n’ont pas son talent.
Même si mathématiquement, la cause n’est pas entendue à son arrivée, Platini échouera à qualifier les Bleus pour le Mondiale italien. Mais sa deuxième campagne qualificative, qui doit emmener les bleus à l’Euro suédois de 1992, sera un feu d’artifice : seul grand chelem des Bleus en qualifications à ce jour avec huit victoires en autant de matchs. Mais l’Euro sera un fiasco. Malgré deux clubs français en finale de coupes d’Europe sur les deux dernières saisons (Marseille en C1 en 1991 et Monaco en C2 en 1992) et une ossature marseillaise de grand talent, la France sort dès la phase de poules après deux nuls et une défaite face aux futurs vainqueurs danois.
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Peu à l’aise dans un costume de sélectionneur trop grand pour lui et qu’il n’avait jamais vraiment réclamé, Platini quitte son poste après l’Euro. L’attend alors la grande réussite de sa future vie de dirigeant, le Mondial 1998 en France.
Co-président du comité français d’organisation, sa grande réussite
En novembre 1992, Michel Platini est nommé co-président, avec Fernand Sastre, du comité français d’organisation du Mondial 1998 (CFO). Il faut dire que l’histoire entre les deux hommes dure depuis des années. Sastre fût le président de la FFF à l’époque où Platini était le capitaine des Bleus. C’est notamment lui qui remit au numéro 10 le trophée de l’Euro 1984. Entre les deux hommes le courant passe malgré leurs trente-deux ans d’écart.
La Coupe du monde 1998 lèguera au pays le stade de France et le premier titre mondial des Bleus. Titre conquis à l’issue d’une finale que Platini passera clairement dans la peau du supporter sans le moindre souci de neutralité. Malgré le décès de son mentor Fernand Sastre le 13 juin, au quatrième jour de la compétition. Son portrait sera d’ailleurs la dernière image projetée par les écrans du Stade de France le soir de l’historique finale du 12 juillet.
La réussite du Mondial 1998, qu’elle soit évènementielle ou financière, va lancer pour de bon la carrière de dirigeant de Michel Platini. Il intègre le conseil fédéral de la FFF dès 1995 et est nommé conseiller spécial du nouveau président de la FIFA Sepp Blatter – pour qui il avait fait campagne – en janvier 1999, quand le CFO cesse officiellement d’exister.
Conseiller de Sepp Blatter, l’entrée dans le grand monde
En devenant conseiller spécial de celui qui a été élu président de la FIFA quelques mois avant, Platini signe son entrée dans le saint des saints. A l’époque, il est quasi unanimement reconnu comme l’héritier de Blatter dont l’élection succède à son passage de dix-sept ans au poste de secrétaire général de l’institution. Platini se positionne comme un dirigeant de premier plan et surtout à la première place dans la “file d’attente” pour atteindre le graal suprême de président de la FIFA. Si son passage à ce poste ne recèle aucun fait notable en tant que dirigeant, la légèreté dont il a fait preuve à l’époque concernant sa situation contractuelle lui reviendra telle un boomerang ensuite. Il cumule à partir de 2001 son poste avec celui de vice-président de la FFF, qu’il quittera en 2008. En 2002, il quitte la FIFA pour intégrer le comité exécutif de l’UEFA.
L’UEFA, dernier arrêt, en principe, vers le sommet
Platini intègre donc l’UEFA en avril 2002 avec une double casquette : membre du comité exécutif et représentant de l’institution européenne au sein de son ancienne maison, la FIFA.
Mais dès 2005, il lance ouvertement sa campagne pour la présidence de l’organe de gouvernance du football européen. Avec un slogan, “Rendre le football aux footballeurs”, qui semble clairement prendre le contrepied du sortant Lennart Johansson dont le fait d’arme principal se résume à la réforme de progressive de la coupe d’Europe des clubs champions vers l’actuelle Ligue des champions, avec pour corollaire sa “privatisation” partielle au bénéfice des grands championnats. Si son programme restera assez vague sur le fond, Platini obtiendra le soutien de nombreux petits pays du foot européen et gagnera l’élection.
Une fois élu, excepté la décision symbolique de placer au samedi la finale de la Ligue des champions, il ne changera pas grand-chose à la logique en place, exceptée – nous y reviendrons – l’instauration du fair-play financier en 2010.
Il est réélu, sans adversaire, à la tête de la confédération européenne en 2011 et en 2015. Devenu dirigeant poids (très) lourd du football mondial, il sait pertinemment qu’il est à une marche du graal.
Le rêve de FIFA
L’hôtel Baur au Lac est un cinq étoiles discret mais sublime situé à Zürich, ville siège du gouvernement du football mondial. Cet hôtel de luxe va connaître son heure de gloire le 27 mai 2015 quand, à l’aube, la police suisse en collaboration avec la justice américaine arrête sept hauts responsables de la FIFA pour des faits de corruption liés, entre autres, aux attributions des mondiaux 2018 et 2022 à la Russie et au Qatar. Lancée après les révélations de Chuck Blazer (ancien secrétaire général de la CONCACAF, confédération d’Amérique du nord, centrale et des Caraïbes) à la justice américaine pour éviter une inculpation pour fraude fiscale, l’enquête va décimer une large part des instances dirigeantes de l’institution. Persuadé dans un premier temps d’être passé au travers des mailles du filet, Blatter fait annoncer par Walter de Gregorio, directeur de communication de la FIFA, que cette dernière voit l’enquête d’un bon œil et est prête à collaborer pour montrer sa bonne foi. L’élection présidentielle prévue deux jours plus tard est maintenue et Blatter est élu pour un nouveau mandat de quatre ans même si le scandale enfle.
Dans tous les parcours politiques, à partir d’un certain niveau de pouvoir, il est impossible de triompher sans devoir à un moment trahir un mentor ou un allié devenu encombrant. Après huit ans à la tête de l’UEFA, Platini comprend très vite que le moment est venu de faire tomber Blatter s’il veut atteindre le sommet. Il déclare dans les médias avoir réclamé la démission de celui qui fût son deuxième père en politique (après Sastre) et commence à mener la fronde contre le Suisse. Comprenant très vite que son ancien poulain n’a eu aucun scrupule à se changer en rival, Blatter dénonce une “campagne de haine” à son encontre menée, entre autres, par l’UEFA. Tout en précisant : “je pardonne à tout le monde mais je n’oublie pas.”
Le 1er juin, le New York Times publie un article annonçant que Jérôme Valcke, secrétaire général de la FIFA, est l’auteur d’un des versements de 10 millions de dollars incriminés par l’enquête de la justice américaine qui a conduit aux arrestations. Le lendemain, la FIFA reconnaît le transfert d’argent mais essaie de minimiser la portée de cette révélation en expliquant que cet argent servait au développement du football. L’étau se resserre. Acculé de toutes parts, Blatter renonce à sa réélection et demande la tenue d’une nouvelle assemblée générale élective devant se tenir entre les mois de décembre et mars suivants. Le 29 juillet, Platini annonce officiellement sa candidature dans un courrier aux 209 fédérations membres.
Le sommet avant la chute
Bénéficiant de son image de probité, pas encore ternie par sa proximité avec Blatter, Platini part favori de l’élection. L’état de grâce sera de courte durée. En septembre, la presse annonce un versement de la FIFA de 1,8 million d’euros au bénéfice de Platini. Paiement qui semble injustifié sachant que Platini a quitté la FIFA en 2002 et qu’il n’y a aucune trace écrite excepté le virement. Blatter semble alors soutenir le Français en expliquant que le paiement est justifié car étant un arriéré de paiement des travaux effectués par Platini à la FIFA. Mais personne n’est dupe, il paraît évident que le Valaisan a fait sortir l’info dans le but de plomber la candidature de Platini auquel il n’a pas pardonné sa trahison.
Comprenant que le monde entier a les yeux rivés sur cette affaire et que donner une nouvelle impression de légèreté en matière éthique serait nuisible en termes d’image, le comité d’éthique de la FIFA se saisit du dossier et frappe très fort. En décembre, Platini et Blatter sont tous deux suspendus de toute activité dans le football pendant huit ans, ce qui prive aussi Platini de sa place à l’UEFA. Même si l’interjection d’appel devant le tribunal arbitral du sport (TAS) est possible, Platini sait très bien ce que cela signifie. Impossible pour lui de faire trancher le litige à temps avant le scrutin prévu le 26 février suivant. Et c’est Gianni Infantino, ancien secrétaire général de l’UEFA sous ses ordres, qui récupère, sans forcer ou presque, le trône du football mondial tant convoité par le Lorrain. Suprême désillusion : Platini est privé de tout rôle officiel pour l’Euro 2016 en France qu’il avait tant désiré du fait de sa double casquette FFF-UEFA.
Le calice jusqu’à la lie
En mai, le TAS réduit la sanction à quatre ans. Ce qui peut lui laisser espérer un retour dans le football début 2020. Mais les années de suspension vont être terribles. En mai 2018, dans une interview donnée à Radio France, Platini évoque sur le ton de la plaisanterie une “petite magouille” lors du mondial 1998 pour faire en sorte que la France et le Brésil ne se rencontrent pas avant la finale. Si l’info tient plus ou moins du secret de polichinelle, l’emploi du terme « magouille » produit un effet dévastateur sur l’opinion publique.
Et surtout, les « Football Leaks » vont porter le coup de grâce à l’image de probité de l’ancien numéro 10. En novembre 2018, un article de Mediapart prouve, mails internes à l’appui, que Platini a court-circuité les instances disciplinaires de l’UEFA pour permettre au PSG et à Manchester City d’éviter les sanctions prévues à leur encontre pour non-respect du fair-play financier. Le fair-play financier, la réforme emblématique voire totémique de son passage à l’UEFA. Si les sommes hallucinantes dépensées par les deux clubs laissaient clairement penser que leur respect du fair-play financier était douteux, la preuve est cette fois établie qu’ils sont passés outre. Et avec la complicité du créateur de la mesure.
Enfin, en décembre 2020, une série d’articles, toujours par Mediapart, démontre le rôle très actif joué par l’ancien maestro bianconero dans l’attribution du mondial 2022 au Qatar. Moyennant un soutien de certains pontes du football mondial à la candidature française pour l’Euro 2016 et une embauche de son fils chez l’équipementier sportif Burrda, dont l’actionnaire principal est l’Etat du Qatar. Le tout avec l’aide de Nicolas Sarkozy, alors président de la République.
Cette fois, c’est fini. Ces dernières révélations clouent, probablement définitivement, le cercueil de la carrière de dirigeant de Platoche.
Arrivé dans les instances dirigeantes avec une image d’homme du renouveau (il est à ce jour le seul ancien Ballon d’Or à avoir présidé une confédération continentale, et l’un des rares anciens joueurs), Platini a énormément déçu. Ses prises de position originelles étaient-elles sincères ou n’avait-il aucun scrupule dès le départ ? Nul ne le sait sauf lui. Il n’en reste pas moins que son parcours démontre malheureusement l’ampleur de la tâche qu’il reste à accomplir pour assainir les instances du football. Et surtout, pour changer les mentalités.
Sources :
- Il y a trente ans, le jubilé Platini à Nancy, L’Est Républicain, 23 mai 2018.
- Il y a trente ans, le naufrage de Nicosie et le « complot » contre Henri Michel, Eurosport, 22 octobre 2018.
- Platini, les dix dates qui l’ont fait dirigeant, France Football, 29 juillet 2015.
- Arrestations, démission, corruption: la folle semaine de la FIFA, Le Monde, 3 juin 2015.
- Suspectés de corruption, sept cadres de la FIFA arrêtés, Le Monde, 27 mai 2015.
- Bribery inquiry drawing closer to FIFA’s president Sepp Blatter, New York Times, 1er juin 2015.
- FIFA: Platini conseiller de Blatter de 1999 à 2002, mais basé à Paris, Le Point, 25 septembre 2015.
- FIFA: un rapport de 1998 fait état du salaire de Platini, Le Point, 6 décembre 2015.
- Michel Platini dit avoir déclaré entièrement 1,8 millions d’euros à la FIFA, L’Express, 28 septembre 2015.
- Michel Platini et Sepp Blatter suspendus huit ans par le comité d’éthique de la FIFA, L’Equipe, 21 décembre 2015.
- Faut-il voter Platini ?, Les Cahiers du Football, 24 janvier 2007.
- Le tribunal arbitral du sport laisse Michel Platini suspendu pour quatre ans, France TV info, 9 mai 2016.
- Coupe du monde 98: Platini évoque une « petite magouille » pour que la France et le Brésil s’évitent, Le Figaro, 18 mai 2018.
- Dopage financier: Platini et Infantino ont couvert la fraude du PSG, Mediapart, 2 novembre 2018.
- Les secrets du Qatargate, Mediapart, 18, 19 et 20 décembre 2020.
- Andrew Jennings, Le scandale de la FIFA, Seuil, septembre 2015.
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