Ni rapide, ni technique. Ni athlétique, ni collectif. L’Italien Filippo Inzaghi est aux antipodes de ces attaquants qui brillent balle au pied, participent au jeu tout en pesant de tout leur poids sur une défense. Pourtant, c’est l’un des plus grands avant-centres italiens de l’histoire et l’un des meilleurs attaquants du début du XXIe siècle. Parce que l’atout de « Super Pippo », c’était de sentir le but comme personne. Retour sur la carrière impressionnante d’un authentique renard des surfaces.
C’est le type d’image que retient tout fan de football qui se respecte. Celle d’un joueur qui, dans un pic d’adrénaline extraordinaire, vient de marquer pour son équipe. Qui explose littéralement de joie, au cœur d’un stade en fusion. Expansif, démonstratif à l’outrance, exubérant, l’Italien Filippo Inzaghi est de ces footballeurs qui, après un but, laissaient totalement éclater leur bonheur sur un terrain.
Car ce joueur natif de Piacenza, en Émilie-Romagne dans le nord de l’Italie, n’avait qu’une seule passion sur le rectangle vert. Qu’une seule obsession : le but.
Assurément, Pippo Inzaghi n’est ni le plus talentueux, ni le plus esthétique des attaquants de l’histoire. Pourtant, il était doté d’un sens du but incroyable. Son objectif sur le terrain ? Marquer. Toujours marquer. Quel qu’en soit le moyen. Quelle que soit la partie de son corps qui lui permet de faire franchir au ballon la fameuse ligne blanche. Inzaghi, c’est l’expert des « buts de raccroc » : inscrits d’un pointu, du genou, du tibia, dans un cafouillage, en se jetant, en le « volant » à un partenaire… Peu importe. Parfois raillé pour son style et ses démonstrations de joie éclatantes suivant un but à l’esthétique contestable, la vérité est pourtant là : sur un terrain, le seul objectif, c’est de marquer un but de plus que son adversaire. Pour gagner. Et ça, Inzaghi l’a beaucoup fait.
Énormément même, puisqu’il aura explosé de bonheur 316 fois durant sa longue carrière. Une efficacité redoutable, apanage des grands attaquants, qui lui vaudra le surnom de « Super Pippo ». Inzaghi, c’est le sens du placement. L’art de l’appel au bon moment pour briser les défenses lorsqu’elles s’y attendent le moins. Le sang froid devant le but. La capacité de réaliser le geste juste au moment opportun. Et une gueule d’ange qui aura fait craquer plus d’un cœur, et pas qu’en Italie.
Pippo Inzaghi : l’éclosion d’un jeune joueur prometteur
Compétiteur hors-pair, Filippo Inzaghi a toujours été obnubilé par le but. Tout au long de sa carrière, il ne cessera de cultiver cet égoïsme du buteur qui sera l’une de ses marques de fabrique.
Né le 9 août 1973, il est le cadet de trois ans de Simone qui, lui aussi, fera une belle carrière professionnelle. Les deux jeunes frères jouent souvent ensemble tandis que leur père Giancarlo les emmène régulièrement voir des matchs à Piacenza. C’est d’ailleurs au sein de ce club de Série B que Pippo fait ses classes de footballeur et goûte au professionnalisme, lors de la saison 1991-1992. Pour s’aguerrir, il est prêté plusieurs fois avant de revenir à Piacenza en 1994. Âgé d’à peine 21 ans, il s’impose, marque 15 buts en championnat et permet à son club de remporter le titre de Série B.
Mais Pippo ne découvre pas la Série A avec son club formateur. En effet, Parme, alors l’un des meilleurs clubs d’Italie, le débauche.
L’aventure parmesane sera cependant de courte durée. L’apprentissage du plus haut niveau n’est pas aisé pour Filippo, gêné par une blessure. Il ne joue en fait que 19 matchs pour 4 buts toutes compétitions confondues cette année-là.
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À l’été 1996, Inzaghi fait donc ses valises et atterrit à l’Atalanta Bergame, club qui, à l’époque, se bat chaque année contre la relégation. Mais cette saison 1996-1997 sera celle de la révélation pour ce jeune attaquant de 23 ans. Il plante but sur but et crève l’écran, permettant à son équipe de décrocher une belle dixième place.
C’est simple : pour sa deuxième année dans l’élite, Pippo Inzaghi termine tout simplement Capocannoniere, c’est à dire meilleur buteur du championnat italien. En 33 matchs, il aura marqué à 24 reprises et tapé dans l’œil des plus grandes formations transalpines. En fin de saison, il est même élu meilleur jeune du Calcio et fête également sa première sélection avec l’équipe d’Italie. Une récompense qui a lieu le 8 juin 1997 pour un match de gala face au Brésil, lors du Tournoi de France préparatif de la Coupe du Monde 1998.
À la Juventus, l’ascension du grand buteur qu’est Pippo Inzaghi
C’est finalement la Juventus qui parvient à s’attacher les services du jeune attaquant italien à l’aube de la saison 1997-1998. À l’époque, la Juve est la meilleure équipe du monde. Championne d’Europe en 1996 et vice-championne en 1997, elle vient également de remporter le Scudetto.
Au milieu d’un collectif de stars et de champions composé, entre autres, de Del Piero, Zidane, Conte ou Deschamps, Inzaghi se fait vite sa place. Pour sa première apparition sous la mythique tunique bianconera, il remporte la Supercoupe d’Italie en claquant au passage un premier doublé.
86 buts suivront pour celui qui, en quatre ans, va devenir « Super Pippo ». Dans les rangs de la Vieille Dame, la mue d’Inzaghi le transforme en effet en un attaquant redoutable et redouté, l’un des meilleurs du monde. Le type de joueur haï par les défenses, qui rôde, se balade, semble passif, endormi. Mais qui pique soudain, lance un appel fulgurant à la limite du hors jeu, surgit avec vivacité devant son défenseur. Inzaghi a le but dans le sang.
Pour sa première saison, il marque 18 buts en championnat, que la Juve remporte haut la main. En Ligue des Champions, celui qui anime l’attaque bianconera aux côtés de la légende Alessandro Del Piero, inscrit six réalisations. Il prend donc une part active au remarquable parcours des siens, mais ne peut éviter la cruelle défaite en finale contre le Real Madrid (1-0).
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C’est fort logiquement qu’il soit retenu, à l’été 1998, dans l’équipe d’Italie pour disputer la Coupe du Monde en France. Remplaçant, Inzaghi rentre régulièrement en jeu et offre même une passe décisive à Roberto Baggio lors d’un match de poule remporté face à l’Autriche. C’est cependant sur le banc qu’il assiste à l’élimination des siens en quart de finale contre la France.
« Super Pippo » doit attendre l’Euro 2000 pour enfin obtenir une place de titulaire au sein de la Squadra Azzura. Actif, en forme, il offre à l’Italie le but de la victoire, sur pénalty, lors de son match inaugural face à la Turquie (2-1). Il ajoute un deuxième but lors du quart de finale remporté face à la Roumanie (2-0). Mais, supplanté par l’éclosion de Marco Delvecchio, c’est sur le banc qu’Inzaghi termine la compétition, perdue d’un rien, encore contre la France, en finale (2-1 après prolongation).
À la Juventus, il réussit des saisons pleines en marquant au moins 15 buts lors de chaque année jusqu’en 2001. Mais c’est surtout sur le plan européen qu’Inzaghi impressionne. En quatre ans, il claque en effet 19 buts en 28 matchs, soit un ratio de 0,68 buts par match ! Cependant, poussé vers la sortie par l’arrivée de David Trezeguet, il quitte le club bianconero en 2001.
La gloire au Milan AC
Dans la capitale lombarde, c’est une véritable histoire d’amour que vit Pippo Inzaghi. Recruté par l’AC Milan pour plus de 40 millions d’euros, « Super Pippo » tombe vite sous le charme de San Siro, et tous les tifosi rossoneri le lui rendent bien. Il restera onze saisons sous la tunique rouge et noir, revenant toujours à la compétition malgré plusieurs graves blessures. Après la fin de sa carrière de joueur, il deviendra même entraîneur de l’équipe première, en 2014-2015.
Après une première saison de rodage, Inzaghi explose en 2002-2003. Il inscrit 17 buts en championnat et 12 buts en Ligue des Champions. Aux côtés de multiples talents tels que Andrei Shevchenko, Paolo Maldini ou encore Andrea Pirlo, il ramène le Milan au sommet de l’Europe. En effet, en fin d’année, les Rossoneri remportent la Champion’s League après une finale cadenassée remportée aux tirs au but face… à la Juventus.
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Avec Inzaghi à la pointe de son attaque, tout le peuple rouge et noir rugit de plaisir. Toujours présent dans la surface adverse, capable de gestes acrobatiques fabuleux, bon de la tête, Inzaghi est dans son jardin à San Siro. Il flirte constamment avec la ligne du hors-jeu, semble toujours y être, paraît contrôlé par la défense… puis surgit !
Sa capacité à surprendre l’équipe adverse et à frapper au moment juste est inouïe. Sa faculté à présenter la bonne partie de son corps pour transformer le moindre ballon en but est exaspérante pour ses adversaires. Autant de qualités qu’il conserve tout au long de sa carrière. En 2003, il a 30 ans et se trouve au sommet de sa vie de footballeur. Mais quel meilleur exemple que la Ligue des Champions 2007 pour illustrer ces remarquables caractéristiques ?
« Inzaghi est né hors-jeu », Sir Alex Ferguson.
À 33 ans, Inzaghi est alors plus souvent remplaçant dans les rangs du Milan. Mais, en Coupe d’Europe, il marque tout de même 6 buts en 12 rencontres cette année-là, preuve de sa fantastique efficacité au niveau continental. Et, en finale à Athènes, il est bien titulaire face à Liverpool.
45ème minute de jeu. Alors que le score est encore nul et vierge, les Rossoneri obtiennent un excellent coup-franc que leur maître artificier, Pirlo, se charge de tirer. Le ballon part, puissant, enveloppé, contourne le mur des Reds. Mais, juste derrière celui-ci, c’est Inzaghi qui se trouve soudainement sur la trajectoire. « Super Pippo » heurte alors la balle de la poitrine qui, de ce fait, prend le portier anglais à contre-pied. 1-0 pour les Milanais. Et explosion de joie dantesque du buteur rouge et noir.
Puis, à la 82e minute de jeu, tandis que Liverpool pousse pour égaliser, le talent et le savoir-faire d’Inzaghi sautent à nouveau aux yeux du monde entier. Traînant entre deux défenseurs à la limite de la surface de réparation et du hors-jeu, il sent que son coéquipier Kaka l’a vu. Il lance son appel en profondeur pile au moment où le Brésilien lui offre une merveille de passe décisive. Le gardien de Liverpool sort vite à sa rencontre, mais Inzaghi ne panique pas. Réalise un simple crochet extérieur pour le contourner et s’ouvrir le but. Avant d’enchaîner rapidement avec un plat du pied victorieux qui va mourir dans les cages vides.
Nouveau tsunami de bonheur insensé, sous une montagne de fureur et d’ivresse rossonera. Inzaghi vient d’inscrire un doublé en finale de la Ligue des Champions et, même si Liverpool réduit ensuite l’écart, l’AC Milan l’emporte de nouveau (2-1). Fantastique sommet d’un joueur aux qualités d’exception, élu homme du match de la finale.
Le mental d’acier d’un grand champion frappé par de multiples blessures
La fin de carrière d’Inzaghi aurait pu être tout autre, et même intervenir beaucoup plus tôt. Car après le premier sommet européen qu’il vit avec Milan en 2003, il traverse plusieurs graves moments de doutes et de blessures qui menacent souvent de mettre fin à son aventure professionnelle. Cependant, à chaque fois, Inzaghi trouvera la force de se relever, de renaître et de revenir plus fort. Preuve en est, son doublé en finale de Champion’s League 2007, à 33 ans.
À l’été 2005, beaucoup d’observateurs le disent en réalité fini pour le football de haut niveau. Et pour cause : en deux saisons, il n’a participé qu’à 35 rencontres et inscrit 6 petits buts. La faute à des blessures à répétition : traumatisme crânien, claquage au mollet, fracture de la cheville qui nécessite deux opérations, puis fracture de la main et tendinite au genou. Le physique fatigué de Pippo Inzaghi souffre.
Pourtant, la saison 2005-2006 est celle de la renaissance. Il marque 12 buts en championnat et 4 nouveaux en Ligue des Champions. Des performances de qualité qui lui permettent même de retrouver in extremis la Squadra Azzura juste avant la Coupe du Monde 2006.
« J’ai traversé cette période de blessures dans la douleur et la sérénité à la fois. J’avais mal, mais le Milan ne m’a jamais abandonné », Filippo Inzaghi.
L’amour entre le club rossonero et son joueur est bien réel. Preuve en est : le contrat d’Inzaghi est prolongé juste avant sa deuxième opération de la cheville, en 2004. On comprend dès lors mieux sa motivation à toute épreuve pour revenir au plus haut niveau et rendre au club la confiance accordée.
« Super Pippo » est donc aussi du voyage en Allemagne pour le Mondial 2006. S’il est de nouveau remplaçant, il marque malgré tout contre la République Tchèque en phase de poule. Et, comme les 22 autres joueurs transalpins, il devient ainsi champion du monde après la victoire d’anthologie remportée face à la France en finale (1-1, 5tab3). Qui l’aurait cru quelques mois plus tôt ?
Inzaghi est en réalité inoxydable. Après son doublé en finale de la Ligue des Champions un an plus tard, il marque de nouveau lors de la Supercoupe d’Europe conquise aux dépens du FC Séville (3-1). En fin d’année 2007, il claque un nouveau doublé pour permettre au Milan de remporter la Coupe du Monde des Clubs face aux Argentins de Boca Junior (4-2).
Inzaghi est plus fort que les blessures. En 2010, il a 37 ans et il se blesse à une énième reprise. Encore une fois, on le dit fini. Mais à nouveau, le Milan lui fait confiance, prolonge son contrat. Et Pippo se bat de toutes ses forces pour revenir et quitter comme il se doit la grande scène.
Même s’il n’est désormais plus qu’un joueur de rotation dans l’effectif, il reste l’un des chouchous de San Siro. Ce nouveau retour lui permet de remporter un troisième Scudetto en 2011. Avant de raccrocher définitivement les crampons à la fin de la saison 2011-2012. Grand symbole d’une longévité et d’une efficacité exceptionnelles, Inzaghi rentre en jeu lors de la dernière journée de championnat. Il en profite pour marquer son ultime but pour les Rossoneri sous une formidable standing ovation.
Au total, Pippo Inzaghi aura marqué 126 buts en 300 matchs sous les couleurs de l’AC Milan. Cela en fait le sixième meilleur buteur de l’histoire du club, devant des légendes comme Marco Van Basten. Il compte également 24 buts en 57 sélections avec l’équipe d’Italie.
Avec 70 buts en Coupe d’Europe dont 50 en Ligue des Champions, Inzaghi a même été brièvement le meilleur dans ce domaine, à la lutte avec l’Espagnol Raul, avant l’éclosion des phénomènes Messi et Cristiano Ronaldo. Il a même réalisé l’exploit de marquer dans toutes les compétitions qu’un joueur professionnel pouvait alors disputer. Performance rarissime qui démontre à quel point Pippo Inzaghi était un grand parmi les grands.
Au final, avec 316 buts inscrits en carrière, Pippo Inzaghi est tout simplement le quatrième meilleur buteur de toute l’histoire du football italien. Il se trouve en effet juste derrière les légendes Silvio Piola, Giuseppe Meazza et Roberto Baggio. Cette statistique démontre à elle seule pourquoi cet attaquant au style par moment décrié, autant adulé que détesté parfois, a sa place au panthéon du football. « Super Pippo » a en réalité bel et bien laissé une trace indélébile dans le cœur de milliers de supporters à travers le monde.
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Sources :
- « Inzaghi Filippo », calciomio.fr
- « Filippo Inzaghi », football-the-story.com
- Fiche de Filippo Inzaghi, lequipe.fr
- Fiche de Filippo Inzaghi, acmilan.com
- Tableau des meilleurs buteurs historiques du Milan AC, transfermarkt.fr
Crédits photos : Icon Sport