Superpuissances du football uruguayen, le Peñarol et le Nacional se livrent une lutte sans merci pour la domination d’une ville, d’un pays et même d’un continent.
Depuis la fondation du championnat uruguayen, deux clubs dominent le paysage footballistique du pays. Avec 99 titres sur les 117 attribués depuis 1900, le Peñarol et le Nacional règnent sans partage.
Peñarol est l’équipe la plus ancienne du pays. Elle a été créée le 28 septembre 1891 sous le nom de CURCC (Central Uruguay Railway Cricket Club). Comme son nom l’indique, elle est fondée par des employés de la société britannique Central Uruguay Railway Company of Montevideo Limited, une entreprise britannique gérant les chemins de fer en Uruguay depuis 1878.
En lien avec son origine ferroviaire, le club adopte les couleurs jaunes et noires, liées à cette industrie. C’est notamment la couleur de la Rocket, l’une des premières locomotives conçues par Stephenson, chargée de parcourir le trajet entre Manchester et Liverpool.
Une lutte intense pour le statut de doyen
D’abord club de cricket et de rugby, une section de football y est créée en 1892. Petit à petit, le club prend le nom de Peñarol, le quartier dans lequel il est situé. Ce changement de nom fait débat dans le pays, et notamment du côté du Club Nacional de Football, club fondé le 24 mai 1899 par la fusion entre l’Uruguay Athletic Club et le Montevideo Football Club. Ainsi, le Nacional se revendique comme le doyen, le decano, des clubs du pays. En effet, le changement de statut entre le CURCC et le CURCC Peñarol en 1913, puis le Club Atlético Peñarol en 1914, est pour eux, la création d’un tout nouveau club. Dès lors, une lutte pour le decanato s’institutionnalise au sein des clubs eux-mêmes.
Les deux équipes de Montevideo s’opposent très rapidement. La plupart des fondateurs du CURCC sont des Anglais. Le Nacional est, de son côté, fondé par des créoles (des descendants d’européens nés sur place). Une première sur le continent américain. Le Nacional est lié au nationalisme et reçoit donc le soutien des universitaires. Les couleurs qu’ils adoptent, le bleu, le blanc et le rouge, sont d’ailleurs celles du drapeau de José Gervasio Artigas, héros de l’indépendance du pays. Les tricolores évoluent à l’Estadio Gran Parque Central alors que leurs rivaux sont depuis 2016 à l’Estadio Campeón del Siglo. Une grande partie des derbys se sont pourtant déroulés au stade Centenario.
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Les deux clubs s’affrontent pour la première fois le 15 juillet 1900 et c’est le CURCC qui s’impose 2 buts à 0. Ce match, joué près de 540 fois depuis, est le plus ancien derby du monde, si on ne compte pas les îles britanniques. Cette année-là, le CURCC, fonde avec trois clubs aujourd’hui disparus, l’Association uruguayenne de football. Lors du premier championnat, le club est titré. Le Nacional doit lui attendre 1902 et sa deuxième saison pour être couronné.
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En 1903, à la demande de l’Association uruguayenne de football, le Nacional représente le pays face à l’Argentine et l’emporte 3-2 à Buenos Aires, c’est la première victoire de l’équipe nationale.
Nacional et Peñarol se partagent la plupart des titres, mais ils parviennent à s’unir pour la cause nationale. Les victoires aux Jeux olympiques de 1924 et de 1928, tout comme les Coupes du monde 1930 et 1934, sont le fruit d’une équipe composée en grande majorité par des joueurs issus de ces deux clubs. Lors de la première Coupe du monde de l’histoire, l’équipe compte neuf joueurs du Nacional et cinq de Peñarol. Au cours du Maracanazo, la finale de la Coupe du monde 1950, l’Uruguay l’emporte 2-1 face au Brésil, le pays hôte, grâce aux buts de Schiaffino et de Ghiggia, deux joueurs de Peñarol.
De la domination nationale aux succès mondiaux
En 1932, le championnat uruguayen devient professionnel. Le Nacional a alors remporté onze championnats durant la période amateure, et Peñarol, neuf. Le passage au professionnalisme ne change rien à leur domination et il faut attendre 44 ans, et 1976 pour voir une équipe différente titrée dans le pays. Chaque club connaît ses propres séries. Le Nacional remporte cinq championnats consécutifs entre 1939 et 1943, Peñarol l’imite entre 1958 et 1962 ou entre 1993 et 1997.
Ces deux clubs marquent l’histoire de leur pays, mais aussi du continent. Après avoir gagné différents trophées internationaux, aujourd’hui disparus, ils s’illustrent en Copa Libertarores. Peñarol est d’ailleurs le premier vainqueur de l’épreuve face aux Paraguayens du Club Olimpia, avant de récidiver l’année suivante face à Palmeiras. Au total, les Aurinegros possèdent cinq couronnes avec également un titre en 1966 face à River Plate, en 1982 contre les Chiliens de Cobreloa et enfin en 1987 face aux Colombiens de l’América Cali. Les trois meilleurs buteurs de l’histoire de la Copa Libertadores sont des joueurs de Peñarol : Alberto Spencer (54 buts), Fernando Morena (37) et Pedro Rocha (36). De son côté, le Nacional n’est pas en reste non plus niveau trophées. Il compte trois titres continentaux : en 1971 contre Estudiantes, en 1980 contre l’Internacional et en 1988 contre Newell’s Old Boys.
Ces victoires permettent aux deux équipes de se confronter au monde grâce à la Coupe intercontinentale. Peñarol s’incline en 1960 face au Real Madrid mais dispose de Benfica en 1961. Il prend sa revanche contre les Madrilènes en 1966, défait Aston Villa en 1982 puis s’incline contre Porto en 1987. Le Nacional peut lui se targuer d’avoir remporté toutes ses finales : Panathinaïkos en 1971, Nottingham Forest en 1980 et PSV Eindhoven en 1988. Avec leurs trois titres respectifs, les deux clubs uruguayens sont les plus couronnés de la compétition avec l’AC Milan, le Real Madrid et Boca Juniors.
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Un championnat en perte de vitesse
Grâce à tous ses succès, Peñarol a été désigné meilleur club américain du XXe siècle. Au total, le club compte aujourd’hui 51 couronnes de champion et le Nacional 48, ce qui les place parmi les clubs les plus titrés du monde. Ils ont tout de même plus de mal à peser au niveau continental dans l’histoire récente. Depuis le début des années 2000, on peut toutefois noter une demi-finale de Copa Libertadores pour le Nacional en 2009, et une finale pour Peñarol contre Santos en 2011.
Plusieurs grands noms du football uruguayen au XXIe siècle sont passés par ces deux clubs. Diego Forlán, Diego Pérez, Cristian Rodriguez ou Maxi Pereira du côté de Peñarol, Luis Suarez, Diego Godín, Fernando Muslera ou Diego Lugano chez son rival. Mais ces joueurs sont souvent en début ou en fin de carrière. Le championnat est plutôt faible et l’idée est même évoquée de jouer la Coupe d’Argentine la saison prochaine pour que les deux équipes puissent se confronter à des équipes d’un niveau supérieur.
Mais peu importe le niveau de jeu, la rivalité entre les deux clubs est féroce et dépasse le cadre des terrains. En 2011, Peñarol réalise une banderole de 309 m de long, un record, le Nacional en fait le double en 2013. Les affrontements sont aussi fréquents et d’une rare violence. En 1994, un jeune de 16 ans est égorgé par un supporte de Peñarol avant un derby. Un supporter du Nacional meurt également en 2006. Les combats sont aussi réguliers dans les stades avec de nombreux matchs interrompus à cause des supporters.
Même si l’affiche entre Peñarol et le Nacional est moins alléchante qu’il y a quelques dizaines d’années, le clásico del fútbol uruguayo reste une rencontre brûlante où les deux équipes de la capitale se battent pour la suprématie nationale.
Sources :
- Sites officiels des clubs
- AFROXANDER, « Clásicos De Fútbol: Club Nacional Football vs. Club Atlético Peñarol », remezcla.com, 27 juin 2013.
- ANDRÉ Steve, « Nacional – Peñarol : histoire du clásico uruguayen », garrafootball.com, 16 juillet 2021.
- CLARK Ben, « Montevideo nasty: Why Nacional vs Penarol is more than a game », fourfourtwo.com, 1er avril 2009.
- COUGOT Nicolas, « 15 juillet 1900 : Nacional – Peñarol, la naissance du clásico total », lucarne-opposee.fr, 15 juillet 2020.
Crédits photos : IconSport