Le championnat grec est dominé depuis toujours par les clubs de la capitale. L’Olympiakos, le Panathinaïkós et l’AEK Athènes se partagent 77 des 84 titres disputés jusqu’à aujourd’hui. Parmi les championnats restants, six ont été remportés par des équipes de la ville de Thessalonique, la deuxième du pays. Deux équipes se disputent la souveraineté de la cité du nord du pays, le PAOK et l’Aris Salonique.
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Avec des stades situés à environ 1,5 kilomètres de distance, l’Aris et le PAOK Salonique s’affrontent pour la domination d’une ville et tentent d’émerger à l’échelle nationale. Thessalonique (ou Salonique) est la capitale de la Macédoine centrale, région située au nord du pays à environ 500 km d’Athènes. Deuxième ville de Grèce, elle possède trois clubs de football, dont deux parmi les cinq plus importants du pays : le PAOK et l’Aris Salonique. Pourtant, le premier club créé en ville n’est pas parmi ces deux puissances. Il s’agit de l’Iraklis Thessalonique, fondé en 1908. Le club d’Héraclès ne possède pourtant qu’une Coupe de Grèce en 1976 parmi les titres majeurs, et joue aujourd’hui en quatrième division.
Parmi les deux clubs qui se disputent le derby, le premier à voir le jour est l’Aris Salonique. Le club des jaunes et noirs est fondé le 25 mars 1914 dans un bar par vingt-deux jeunes. Son nom vient d’Arès, dieu de la guerre dans la mythologie grecque. Les couleurs choisies rendent hommage à Byzance. On les retrouve sur le logo du club en compagnie de la statue dite de l’Arès Ludovisi.
Son rival, le PAOK Salonique (Panthessaloníkios Athlitikós Ómilos Konstantinoupolitón – Association sportive des Constantinopolitains de Thessalonique) arrive quelques années plus tard. Le club est lié à l’histoire gréco-turque. Entre 1919 et 1922, la Grèce et la Turquie sont en guerre. A la fin de celle-ci, près d’1,5 millions de Grecs d’Asie Mineure sont expulsés du pays. C’est ce que les Grecs appellent la « Grande catastrophe » (500 000 musulmans font le chemin inverse). Ce sont ces réfugiés de Turquie qui fondent le club du PAOK le 20 avril 1926. C’est le cas aussi de l’AEK Athènes en 1924 (Athlitikí Énosis Konstantinoupóleos – Union sportive de Constantinople). Le premier logo des Thessaloniciens est un fer à cheval avec un trèfle à quatre feuilles. Par la suite, ils adoptent l’aigle bicéphale (dikéfalos) en hommage à l’héritage byzantin. Le noir et le blanc incarnent respectivement le deuil et l’optimisme.
Tout comme un grand nombre de clubs en Grèce, l’Aris et le PAOK sont des organisations omnisports. Il y a ainsi une quinzaine de sections, avec notamment des clubs de basketball, handball ou volleyball…
Palmarès des Thessaloniciens
Parmi les miettes laissées par les trois ogres de la capitale (Olympiakos – 45 titres, Panathinaïkós – 20 titres et AEK Athènes – 12 titres), l’Aris et le PAOK ont remporté trois titres chacun. Les succès des deux clubs n’arrivent pas à la même période. L’Aris connaît un âge d’or dans les années 1930 et 1940, et est titré champion de Grèce en 1928, 1932 et 1946. Il obtient aussi une Coupe de Grèce en 1970. Le PAOK obtient ses premiers titres après cette période. Tout d’abord la Coupe de Grèce en 1972 et 1974, deux championnats en 1976 et 1985 et à nouveau la Coupe en 2001 et 2003.
Son véritable âge d’or sportif arrive après l’arrivée d’un nouveau président, Ivan Savvidis. Le dikéfalos remporte trois victoires consécutives en Coupe de Grèce de 2017 à 2019. L’équipe entraînée par Răzvan Lucescu (fils de Mircea Lucescu, symbole du renouveau du Shakhtar Donetsk) parvient à réaliser le doublé pour la saison 2018-2019. Cela faisait plus de trente années qu’un club non-athénien n’avait pas remporté le championnat (AEL Larissa en 1988). Au cours de cette saison record, le PAOK est invaincu et termine la saison avec 80 points (26 victoires, 4 nuls). Il est sanctionné de deux points pour des incidents lors de la saison précédente. Ce total de points est un record pour le championnat hellène et son invincibilité est une première depuis le Panathinaïkós de 1963-1964.
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Les difficultés du football grec
Comme la plupart des clubs de Grèce, l’Aris a été touché à plusieurs reprises par des problèmes financiers. Ceux-ci ont conduit à des descentes en deuxième division (1997, 2005 et 2014). En 2006, le club remonte et met en place un système proche de celui des socios en Espagne. Les supporters peuvent acheter des parts de leur club. Ils peuvent élire le président et se présenter eux-mêmes aux élections. Entre 2014 et 2016, il effectue un passage en troisième division à cause de ses dettes. Un retour au troisième échelon national permet de repartir à zéro. Il remonte en Super League en 2018.
Le PAOK est quant à lui épargné depuis quelques années par les problèmes d’argent grâce à l’arrivée à la tête du club d’Ivan Savvidis en 2012. Le multimillionnaire russe, ancien député et proche de Vladimir Poutine, a assaini les comptes du club en rachetant sa dette. Le personnage possède pourtant un côté sulfureux et n’a pas hésité à entrer armé sur le terrain, entouré de ses gardes du corps, pour contester une décision arbitrale lors d’un match en mars 2018. Opposé à son principal rival au championnat, l’AEK Athènes, il est descendu de la tribune pour protester contre l’annulation d’un but de son équipe. Il a été interdit de stade pendant trois ans.
Ces deux clubs illustrent les difficultés du football grec ces dernières années. L’Aris par exemple a connu des problèmes de paiement de salaires. Le PAOK est quant à lui sanctionné régulièrement avec des retraits de points. Entre la saison 2016-2017 et la saison 2019-2020, il a été puni chaque saison. Ces sanctions sont accordées suite à des violences ou des malversations (7 points en moins par exemple en 2019-2020 pour un actionnariat commun avec le club de l’AO Xanthi). Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis avait d’ailleurs annoncé en janvier 2020, vouloir « refonder » le football grec pour repartir sur des bases saines.
Un derby bouillant
Le derby de Grèce du Nord ou derby de Thessalonique a eu lieu à 208 reprises. Le PAOK domine les confrontations avec 73 victoires pour 66 défaites et 69 nuls. A l’origine, l’Aris représentait plutôt la bourgeoisie et le PAOK le côté populaire, mais les orientations ont changé. Il est aujourd’hui difficile de définir à 100% l’orientation des supporters d’une équipe, on retrouve des nationalistes mais aussi des antifascistes dans les tribunes.
Le Super 3, principal groupe de supporters de l’Aris se base sur l’antiracisme, l’antifascisme et l’antinazisme. Après l’assassinat du rappeur Pávlos Fýssas en 2013 par un membre d’Aube dorée (parti néonazi grec), les supporters ont affiché une banderole de soutien : « Le football sera joué avec la tête des nazis ». La Thyra 4 (Gate 4) du PAOK possède elle aussi des liens avec les ultras à tendance anarchiste, le Çarsi de Beşiktaş. Cependant, elle doit aussi cohabiter avec des groupes classés à droite, dans le même virage. Les supporters du PAOK sont également liés à ceux du Partizan Belgrade (Grobari) alors que ceux de l’Aris sont proches de groupes du Borussia Dortmund (The Unity et Despedaros 99) et de Saint-Etienne (Green Angels 92). Ils sont également proches des barras bravas de Boca Juniors.
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Les supporters de Salonique incarnent bien la ferveur des supporters grecs. Les matchs à domicile sont animés par différents fumigènes ou spectacles pyrotechniques. De nombreuses violences ont eu lieu par le passé, avec des personnes poignardées ou attaquées. Ainsi, lors des derbys, les supporters adverses n’ont plus le droit de se déplacer. Les ultras en profitent quand même pour exprimer leur rivalité. Ils accrochent leurs prises de guerre au grillage qui sépare le kop du terrain. Plusieurs objets à l’effigie du club adverse (t-shirts, écharpes, drapeau) sont brûlés.
Salonique et l’Europe
Les deux clubs de Salonique n’ont jamais atteint de finale européenne comme le Panathinaïkós, finaliste de la Coupe des clubs champions européens 1970-1971, mais ils possèdent quelques beaux succès. L’Aris Salonique possédait encore l’année dernière un record impressionnant. Entre 1968 et 2020, le club était invaincu en Europe dans son stade Kleánthis-Vikelídis (dit « Harilaou »). Après 28 matchs à domicile et 52 années d’invincibilité, le club s’est incliné 2-1 contre le Kolos Kovalivka (Ukraine). Parmi cette série d’invincibilité, on retrouve des grands noms du football européen : Chelsea (1-1 en 1970), Benfica (3-1 en 1979), AS Roma (0-0 en 2005), Atlético de Madrid (1-0 en 2010), Bayer Leverkusen (0-0 en 2010) ou encore Manchester City (0-0 en 2011). Elle a aussi tenu en échec l’AS Saint-Etienne de Michel Platini en 8e de finale de la Coupe de l’UEFA 1979-1980 (3-3 puis 1-4 au retour). Le plus grand exploit du club demeure la phase de poule de Ligue Europa 2010-2011 où il parvient à se qualifier en 32e de finale après avoir éliminé l’Atlético en phase de groupe, avec deux victoires, 1-0 à domicile puis 3-2 à Madrid.
Les pensionnaires du stade Toumba sont eux des habitués de la Ligue Europa ces dernières années. Ils sont sortis des poules à quatre reprises entre 2010-2011 et 2016-2017 mais pour quatre éliminations au tour suivant. Il a aussi participé à un quart de finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe en 1973-1974 face à l’AC Milan après avoir éliminé l’Olympique lyonnais (4-0 à domicile, 3-3 à Lyon). Le PAOK a aussi réussi quelques exploits contre des grands noms : victoire face au FC Barcelone de Johan Cruyff et Johan Neeskens en Coupe de l’UEFA 1975-1976, défaite aux tirs aux buts face au Bayern Munich de Karl-Heinz Rummenigge en 1983-1984 après deux 0-0. Match nul 1-1 face au Napoli de Maradona en 1988-1989, une qualification face à Arsenal en 1997-1998 (1-0 puis 1-1), une victoire 2-1 à Tottenham en 2011-2012 ou encore un succès 1-0 chez le Borussia Dortmund en 2015-2016.
Les deux clubs fournissent plusieurs joueurs pour la sélection nationale grecque. Pourtant, lors de la victoire à l’Euro 2004, il n’y avait aucun joueur d’une des deux équipes de Thessalonique. De nombreux joueurs ont quand même des liens avec l’Aris ou le PAOK. Ángelos Charistéas, bourreau des Français en quart et des Portugais en finale, a été formé à l’Aris. Le buteur de la demi-finale contre la République tchèque, Traïanos Déllas est lui aussi formé chez les jaunes et noirs. Theódoros Zagorákis, le capitaine, élu meilleur joueur de la compétition, a joué au PAOK entre 1993 et 1998 puis entre 2005 et 2007, année de sa retraite. Il devient alors président du club jusqu’en octobre 2009. Après son départ, c’est son coéquipier Zísis Vrýzas qui lui succède. Ce dernier est l’unique buteur lors de la défaite 2-1 face à la Russie. C’est aussi un joueur du PAOK entre 1996 et 2000 puis de 2007 à 2008. En revanche, au sein de l’équipe huitième de finaliste de la Coupe du monde 2014, on retrouve quatre joueurs du PAOK : Panagiótis Glýkos, Yióryos Tzavéllas, Kóstas Katsouránis et Dimítris Salpingídis.
Placés au deuxième plan derrière les clubs de la capitale, le PAOK et l’Aris Salonique n’en demeurent pas moins des clubs historiques et iconiques du pays. Si le palmarès de l’Aris a peu évolué depuis de nombreuses années, celui du PAOK commence à grandir grâce à ses récentes performances. Soutenues par des groupes de supporters importants, les deux équipes enflamment les matchs de leur championnat et se battent pour la domination de la ville. Le spectacle dans les tribunes ne devrait d’ailleurs pas dépayser les récentes recrues hivernales, Shinji Kagawa (PAOK) et Kóstas Mítroglou (Aris), déjà habitués aux ambiances électriques.
Sources :
- Site officiel des clubs
- ATHANASIOS KOULOS, « PAOK : l’Aigle Bicéphale du Nord », footballski.fr, 2 octobre 2014.
- DEBEAUX Martial, « Aris Salonique, monument en perdition », footballski.fr, 5 octobre 2015.
- KOTTIS Alexandros, « On était au derby de Thessalonique », sofoot.fr, 23 octobre 2018.
- QB, « L’Aris Salonique stoppé dans sa série d’invincibilité de 52 ans », sofoot.fr, 18 septembre 2020.
Crédits photos : Icon Sport