Lorsqu’Oskar Rohr se retrouve au camp de concentration de Kislau, son désir de jouer au football n’est plus qu’un lointain souvenir. Auparavant considéré comme l’étoile montante du football allemand, sa carrière est stoppée nette par la Seconde Guerre Mondiale. Entre son opposition au nazisme, son arrivée à Strasbourg dans le coffre d’une voiture et son intégration à la Légion Étrangère, le jeune homme surnommé « Ossi » a tout vécu. Voici l’histoire d’un joueur entré dans la légende par la grande porte, le bien nommé Oskar Rohr.
Oskar naît le 24 Mars 1912 à Mannheim en Allemagne. Déjà tout petit, il tombe amoureux du ballon rond et joue avec tout ce qu’il trouve : des boulettes de papier jusqu’aux paires de chaussettes en boule… C’est lors du Noël 1922 que ses parents décident de lui offrir une tenue du VfR Mannheim, le club de la ville. C’est l’apothéose pour ce petit garçon, qui sait déjà vers quoi se tourner à l’avenir : le football. Après un an d’entrainement, de jongles et de vitres cassées, Oskar rejoint le club de sa fidèle tunique. Au VfR, on se rend vite compte du talent du nouvel arrivant. A l’époque, le club est entrainé par Richard Kohn, appelé « Little Dombi », ancien entraîneur du FC Barcelone en 1926. Très vite surclassé, Oskar rejoint les professionnels à 16 ans. Il les côtoie pendant trois saisons, avant de suivre son entraineur pour rejoindre le Bayern Munich.
Premier titre, 400 kilomètres à bicyclette et menace nazie
C’est en Bavière qu’Oskar va prendre du galon. A tout juste 20 ans, il prend part à la finale du championnat 1932 contre l’Eintracht Francfort. Une occasion en or pour enfin remporter le premier trophée de l’histoire du Bayern. A cette époque, le club Bavarois évolue effectivement en division régionale, à des années lumières du Bayern qu’on connaît aujourd’hui, vainqueur de 30 championnats.
La finale se déroule à Nuremberg. 500 billets sont offerts pour les supporters au chômage qui ont prévu de venir à bicyclette depuis Munich… environ 400 km aller-retour ! Des conditions atypiques pour un match épique. C’est de son empreinte qu’Oskar Rohr va marquer cette finale à l’aide d’un penalty tiré à la place de son capitaine, Konrad Heidkamp : « Ossi, tu dois tirer car je n’en ai pas la force ». Devant 60 000 personnes, le jeune buteur s’avance vers le point de penalty et marque d’un sang-froid étonnant, en témoigne la fumée de craie blanche qui se dissipe alors vers le ciel. Le Bayern inscrira un deuxième but en seconde mi-temps, lui permettant de remporter son tout premier trophée, le début d’une longue série.
Après quelques rencontres sous le maillot Bavarois, le jeune attaquant inaugure son premier match sous les couleurs de la Mannschaft face à la Suisse, pays qu’il rejoindra par la suite car en 1933, l’ombre du nazisme rode. Hitler, nommé chancelier par Hidenburg, impose aux joueurs le « Heil Hitler », un geste dont Ossi a horreur. A cette époque, le football est considéré comme un sport étranger et n’est pas bien vu par le IIIème Reich, contrairement à la gymnastique ou l’athlétisme. De plus, le statut de joueur professionnel est inexistant en Outre-Rhin, contrairement à la Suisse. Quitter le pays natal pour suivre son rêve de jouer au football apparaît donc comme une évidence.
Oskar Rohr décide alors de faire un bond du côté du club des Sauterelles : le Grasshopper Club Zurich. Le club a déjà accueilli son ancien entraîneur « Little Dombi ». Pour autant, quand Ossi arrive en Helvétie, celui-ci est déjà retourné au FC Barcelone.
Finalement, les difficultés financières du club empêchent Ossi d’obtenir un contrat professionnel. Après 23 buts en 20 matchs et une Coupe de Suisse gagnée, le talentueux buteur est donc de nouveau à la recherche d’un club. Justement, c’est tout près de l’Allemagne qu’une véritable histoire d’amour va débuter. L’heureux élu ? Le RC Strasbourg. A défaut d’une lune de miel, Ossi rejoint la capitale de la choucroute dans le coffre d’une voiture d’un dirigeant du Racing.
Star du RC Strasbourg, retrouvailles délicates et Légion étrangère
Dès son arrivée, ses qualités sautent aux yeux. Technique, rapide, doté d’une conduite de balle extraordinaire, le jeune buteur fait forte impression. Ses sept premiers matchs se soldent par huit buts inscrits. Ossi devient en peu de temps la star du RC Strasbourg, tout juste promu en Division 1 pour la première fois de son histoire. Le club Alsacien termine vice-champion de France de la saison 1935, à un point du FC Sochaux Montbéliard, son attaquant n’y est pas pour rien.
A la suite de cette saison, le Racing Club de Strasbourg retrouve le Bayern pour un match amical à Munich. Une aubaine pour le buteur, qui va lui permettre de retrouver son club d’antan. Cependant, les retrouvailles ne se passent pas comme prévu. Ossi est considéré comme un traître par les supporters Allemands de part les couleurs qu’il défend. Sifflé et hué, le joueur est offusqué de son traitement par les supporters Munichois pour lesquels il a toujours tout donné. Le match se terminera sur un score anecdotique de quatre buts partout. Ossi gardera un goût amer de cette rencontre.
De retour à Strasbourg, Ossi continue d’empiler les buts. Il devient d’ailleurs le meilleur buteur de la saison 1937 avec 30 buts inscrits, aucun joueur de la Meineau n’a réitéré cet exploit. Mais Oskar n’est pas qu’un buteur hors pair, c’est aussi un bon vivant qui aime retrouver ses amis et admiratrices dans les bars Strasbourgeois… même la veille d’un match. Ses cinq saisons en Alsace ont profondément marqué les supporters du Racing de l’époque, à l’image de ses 118 buts inscrits en 136 matchs. Il reste à ce jour le meilleur buteur du club. L’histoire d’amour entre Rohr et le Racing Club de Strasbourg aurait pu durer encore longtemps. Mais en 1939, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée et emporte avec elle l’espoir de jouer au football. A 27 ans, Ossi est donc envoyé par l’armée Allemande au fort de Mutzig pour combattre contre le pays qui lui a tant donné.
Pourtant, Oskar veut s’engager pour le pays tricolore. Il demandera la nationalité Française à plusieurs reprises, sans succès. Finalement, la Légion étrangère lui ouvre les bras pour faire face au nazisme. Ossi devient alors l’ennemi de sa nation. Il est envoyé à Oran puis rentre en France quelques mois plus tard. S’ensuit une période assez floue. Ossi disparaît des radars pendant six mois et réapparaît finalement au FC Sète en 1941. Son club dispute la finale de la Coupe de France 1942. Malheureusement, il ne peut y participer car ce match est organisé à Paris sous occupation Allemande.
A l’époque, les réfugiés et exilés Allemands se retrouvent dans le Sud de la France pour échapper au IIIème Reich. Oskar vit d’ailleurs avec la peur d’être attrapé par la Gestapo pour avoir combattu pour l’ennemi. Sa peur était belle et bien fondée. Un jour, il est arrêté par l’organisation Allemande et envoyé en prison pour trois mois avant d’être déporté au camp de concentration de Kislau. Il rejoint ensuite le front de l’Est, secteur stratégique qui verra tomber 30 millions d’hommes, soit environ la moitié des décès de cette tragique guerre. Bien que le football passe en second plan, il intègre l’équipe de football de l’armée, une bulle d’allégresse dans un contexte terrifiant. C’est pourtant sur le front qu’Oskar va passer le plus de temps. Jusqu’au jour où son destin a failli basculer. Son petit neveu Gernot Rohr, actuel sélectionneur du Nigéria, raconte :
« Au combat, une balle s’est logée dans son épaule et l’a obligé à se faire rapatrier à Berlin pour se faire soigner. Le problème, c’est qu’il n’y avait plus d’avion pour le ramener, hormis un. Il était au pied de l’appareil, au milieu d’autres blessés, mais l’avion était plein. Il n’avait aucun moyen de faire partie des passagers. Par chance, le pilote, qui était un Bavarois fan du Bayern Munich, l’a reconnu et lui a dit : “Mais vous êtes Ossi Rohr ? Oui ? Alors vous allez monter dans mon avion quoi qu’il arrive“. Clairement, le football lui a sauvé la vie ce jour-là ».
Le pilote a, en effet, déjà rencontré Oskar Rohr quand il était enfant. Grâce aux tickets donnés par le club Bavarois pour l’opposition contre l’Eintracht Francfort, il a pu assister au premier sacre du Bayern à Nuremberg après des centaines de kilomètres à bicyclette aux cotés son père. Époustouflé par la performance du buteur Allemand, l’enfant à toujours gardé en tête ce certain « Ossi ».
A l’issue de la guerre, Oskar, affecté par ces sombres années, rentre chez lui pour prendre part à quelques matchs au VfR. Il continuera de faire lever les foules aussi bien par ses qualités footballistiques que par son aura hors du commun. Cependant, l’époque où l’attaquant était considéré comme un phénomène est révolue. Sans cette guerre, jusqu’où sa carrière aurait pu le mener ? Aurait-il davantage marqué l’histoire du football ? Nul ne le saura mais ce qui est sûr, c’est qu’il reste un joueur de légende, pour qui le combat se passe sur et en dehors du terrain.
Sources :
- Andrea Chazy, « Un héros allemand », So Foot
- Julian Voloj et Marcin Podolec, « Ossi – Une vie pour le football », Steinkis
- Arnaud Galinat, « Oskar Rohr, le bomber oublié », Cahiers du football
Crédit photos : IconSport