Héritant d’une sélection uruguayenne en crise sportive et institutionnelle, Óscar Tabárez mise sur son Proceso, un plan déduit de plusieurs années de réflexion. Quinze ans plus tard, le pari s’avère gagnant, la Celeste étant redevenue une nation de premier plan. Suite et fin de ce portrait du Maestro.
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Au moment du retour d’Óscar Tabárez sur le banc de la Celeste, l’image de l’équipe ultra-agressive des années 1970 et 1980 colle toujours à la peau de la sélection. Sur le terrain, le Maestro n’a qu’une ambition : redorer le blason de sa nation par un état d’esprit irréprochable. Pour cela, le sélectionneur s’appuie sur la mentalité qui a fait les grandes heures de la Celeste mais qui, mal appliquée, l’en a fait l’une des équipes les plus détestée du monde : la Garra Charua.
Le renouveau de la Garra Charrua
Signifiant littéralement “la griffe des Charruas” – un peuple amérindien qui a lutté contre l’envahisseur espagnole – ce caractère est au cœur de l’identité de l’Uruguay. En football, on mobilise cette mentalité comparable à la grinta. Celle-ci est souvent mobilisée pour expliquer les succès de la Celeste face à ses voisins composant avec un vivier de joueurs beaucoup plus large. Attaquant phare de la sélection d’Óscar Tabárez, Diego Forlán explique comment ses coéquipiers et lui-même s’appuyaient sur cet état d’esprit :
« C’est comme lorsque vous n’avez pas ce dernier souffle mais que vous voulez toujours donner plus. Parfois, à la dernière minute, contre de grandes équipes, vous ne vous attendez jamais à avoir la chance de gagner, mais il y a ce Garra dont tout le monde parle, en Uruguay. »
Alors que pendant de longues années, la Garra Charrua illustrait plutôt la violence du jeu de la Celeste, Tabárez insiste pour que ces joueurs adhèrent à un certain nombre de valeurs : l’esprit d’équipe, le sens du sacrifice, le dévouement pour une cause, le respect des règles et une certaine sagesse dans la communication. “Le chemin est la récompense” résume le Maestro dans une formule restée dans la tête de nombre d’Uruguayens. En ravivant la flamme de la Garra Charrua tout en s’appuyant sur son très sophistiqué Proceso, Óscar Tabárez tient sa formule pour relancer le football uruguayen. Mais la recette ne prend pas tout de suite.
Le 4-3-3 historique du Maestro explose dès la première de sa Celeste en phase finale d’une compétition continentale. L’Uruguay entame ainsi sa Copa América 2007 par une cinglante défaite 3-0 face au Pérou. Mais Tabárez n’abdique pas après cette gifle qui aurait pu annoncer une élimination précipitée. Le Professor change la forme mais garde le fond :
“La tactique (à comprendre ici au sens de schéma de jeu, ndlr) entre en ligne de compte quand il y a un adversaire mais souvent, en tant que coach, vous entraînez votre équipe sans savoir quand la compétition commencera ou qui sera votre adversaire. Dans ces moments-là, vous travaillez sur la stratégie de jeu, qui est un idéal, quelque chose d’inaltérable, avec des fondements techniques, tactiques et psychologiques. La tactique mise en place avant un match sera toujours basée sur cette philosophie de jeu que vous prêchez depuis longtemps et qui est la pierre angulaire de tout ce qui est travaillé ensuite sur le terrain.”
Exit le 4-3-3, place à un 4-4-2 qui le suivra longtemps. Mais la philosophie reste la même : “Notre conception du football n’a rien à voir avec l’idée d’être ultra offensif. Foncer de l’avant, ça, c’est être irresponsable. Non, pour nous, bien jouer, c’est ne jamais être dos au jeu, ne pas laisser d’espace” explique Diego Lugano, homme fort de Tabárez. Souvent qualifiée de minimaliste, l’approche prudente du Maestro fait ses preuves. L’Uruguay arrache sa qualification pour les quarts de finales où elle étrille la Colombie (4-1). Mais même si la Celeste pousse la Seleção aux tirs aux buts, elle n’accroche pas son billet pour la finale et termine la compétition avec la médaille en chocolat, défaite par le Mexique (1-3). Une performance honorable mais qui ne présage pas pour autant un retour aux premiers rangs du football mondial.
La période de gloire
Alors après une défaite au Pérou qui met en péril la qualification de l’Uruguay pour la Coupe du Monde 2010, Tabárez est proche du licenciement. Sa Celeste finit par décrocher son billet pour l’Afrique du Sud en barrage face au Costa Rica, mais le Maestro n’est plus en odeur de sainteté. Lui qui s’attache depuis le début de son mandat à assurer une continuité entre ses équipes jeunes et les séniors voit le président de sa fédération refuser le nom qu’il propose pour entraîner les U20. En clair, le Professor est condamné à l’exploit pour sauver sa tête.
Portée par une première génération de joueurs supervisés par Tabárez en jeunes (Luis Suárez , Edinson Cavani, Martin Cáceres…), la Celeste surprend le monde entier. En sortant première et invaincue de sa phase de poule (devant le Mexique, l’Afrique du Sud et la France), d’abord, puis en éliminant la Corée du Sud grâce à un doublé de Suárez. C’est d’ailleurs le Pistolero qui s’illustrera de nouveau en quarts de finale, dans une confrontation devenue légendaire entre l’Uruguay et l’autre surprise de la compétition, le Ghana. À la dernière minute des prolongations, le jeune attaquant de l’Ajax sauve un ballon sur sa ligne avec la main. Expulsé, Suárez sort sous les sifflets du public mais le sourire à la bouche. Il a réussi son coup. Asamoah Gyan loupe son pénalty puis la Celeste remporte la séance de tirs aux buts. Óscar Tabárez, qui a pourtant souvent insisté sur la notion de fair-play avec son groupe, peinera à condamner le geste de sa future star. Toujours est-il que pour la première fois depuis 1970, l’Uruguay obtient son billet pour le dernier carré d’une Coupe du Monde. Et en s’inclinant 3-2 contre les Pays-Bas puis l’Allemagne en petite finale, les hommes du Maestro prouvent que cette performance ne relève pas du hasard. Le sélectionneur est accueilli en héros à son retour au pays. Sa tête est sauve, la Celeste a enfin retrouvé sa fierté.
Un an plus tard, la Copa América organisée en Argentine lui offre l’opportunité de confirmer son renouveau. Tabárez s’appuie alors massivement sur le groupe qui lui avait donné raison en Afrique du Sud. Aux dix-neuf demi-finalistes du dernier Mondial s’ajoutent des jeunes parfaitement intégrés comme Sebastián Coates, dont la seule sélection avant le tournoi ne l’empêchera pas de prendre une place de titulaire. Les deux matchs nuls initiaux – face au Pérou et au Chili – ne présageaient rien de bon mais la Celeste file en quarts après un succès face au Mexique. Se dresse alors l’Argentine de Messi, hôte de la compétition. L’Uruguay ouvre rapidement le score, mais l’égalisation de Gonzalo Higuain suivie de l’expulsion de son milieu Diego Pérez la condamne à l’exploit. Portés par la Garra Charrua, les hommes du Maestro résistent courageusement, voient l’Albiceleste réduite elle aussi à dix puis la condamne lors de la séance de tirs aux buts. Le reste de la compétition est une quasi formalité : le Pérou en demi-finale puis le Paraguay en finale sont impuissants (2-0 puis 3-0). Diego Forlán, double buteur en finale, passe magnifiquement le flambeau à Luis Suárez, deuxième meilleur buteur de la compétition avec quatre buts. Après seize ans de disette, l’Uruguay remporte une compétition majeure et se place sur le toit de son continent.
Qu’on ne s’y trompe pas : s’il a peut-être profité d’un collectif plus talentueux que certains de ces prédécesseurs, ce succès est bien celui d’Óscar Tabárez. Adulé par son groupe qu’il a uni et dont il a su tirer le meilleur, le Maestro a démontré en cinq ans à quel point son Proceso était pertinent dans le contexte de la Celeste. Les résultats des sélections jeunes, supervisées de près par le Professor, en sont la preuve. Les U17 et les U20 atteignent les finales de leur Coupe du Monde respectivement en 2011 et 2013, se montrant à la hauteur des performances de leurs aînés. Plus largement, entre 2006 et 2019, l’Uruguay est le seul pays du monde à se qualifier à toutes les Coupes du Monde masculines senior et U20. Cela n’ajoute pas de ligne à son palmarès, mais il s’agit sans doute d’une des plus grandes réussites de Tabárez.
L’éternel outsider
Forte de ses récents succès, la Celeste se forge alors un statut d’outsider. Si elle ne dispose pas de suffisamment de talents à chaque ligne pour faire office de favori, le reste du monde sait que prendre cette équipe de haut serait synonyme de mauvaise surprise. Pour autant, l’Uruguay doit passer par des barrages contre la Jordanie avant de se qualifier pour le mondial brésilien de 2014. Et pour espérer réitérer la performance de 2010, les hommes de Tabárez devront passer par le “groupe de la mort” composé de l’Italie, de l’Angleterre et du Costa Rica.
Mais le scénario n’est pas celui pronostiqué par la majorité : le petit poucet costaricien surprend l’Uruguay (3-1) avant de confirmer face à la Squadra Azzurra et aux Three Lions pour s’assurer la première place. C’est donc face à ces deux nations du Vieux Continent que la Celeste devra accrocher une place pour les huitièmes de finale. Luis Suárez, auteur d’un doublé permet aux siens de vaincre l’Angleterre et donc de s’offrir une “finale” pour la deuxième place face à l’Italie. Mais ce n’est pas la victoire uruguayenne (1-0) obtenue par un but de Diego Godin dans les dix dernières minutes, que l’on retiendra le plus. Quelques instants avant l’ouverture du score, Suárez mord inexplicablement Giorgio Chiellini à l’épaule, sans être vu par le corps arbitral. S’il s’en sort donc bien sur le coup, le Pistolero en payera le prix : il sera suspendu pour quatre mois de toutes compétitions de sélection comme de club. Une sanction exemplaire, draconienne selon Tabárez, qui démissionne immédiatement du comité stratégique de la FIFA et soutient sans ambiguïté son attaquant : « À Luis Suárez, à la personne Luis Suárez, que personne ne connaît mieux que nous, je veux dire qu’il ne sera jamais seul. »
Toujours est-il que c’est sans son meilleur joueur que la Celeste doit défier la Colombie en huitième de finale. Sans inspiration, les hommes d’Óscar Tabárez tombent face à des Cafeteros portés par un immense James Rodriguez, auteur d’un somptueux doublé. Si les Uruguayens espéraient sans doute mieux après le triomphe de 2011, il est difficile de parler d’échec après des succès contre l’Angleterre et l’Italie et la perte de Suárez.
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Mais ce n’est pas la seule fois que la Celeste devra faire sans son Pistolero. Et cela ne lui réussit pas. Un an après ce Mondial, l’attaquant Blaugrana ne peut prendre part à la Copa América. L’Uruguay accroche difficilement la troisième place qualificative de son groupe, mais s’incline en quarts de finale face au futur vainqueur de la compétition, le Chili de Jorge Sampaoli. Rebelote à l’été 2016 lors de la Copa América Centenario, célébrant les cent ans de la CONMEBOL et de la compétition. Au cours de cette édition exceptionnellement organisée aux États-Unis, Luis Suárez manque la phase de groupe. Encore plus en difficulté qu’un an plus tôt, l’Uruguay ne parvient pas à se placer parmi les deux meilleures équipes d’une poule pourtant à sa portée (Mexique, Venezuela, Jamaïque). Le premier véritable échec de l’ère Tabárez. Si l’absence du meilleur joueur de la Celeste peut l’expliquer partiellement, cette désillusion en dit long sur la certaine rigidité offensive de l’équipe du Maestro.
Si bien qu’à l’aube de la Coupe du Monde 2018, l’Uruguay ne fait plus aussi peur que quatre ans plus tôt. Mais c’est toujours quand on ne l’attend pas que la Celeste, portée par sa Garra Charrua, se sent le plus à l’aise. De loin, la sélection portée par les trentenaires Diego Godín, Edinson Cavani et Luis Suárez peut sembler vieillissante. Mais elle est en vérité plus que jamais le fruit du Proceso mis en place par son sélectionneur. Vingt joueurs parmi ceux qui feront le déplacement en Russie ont connu leur première cape sous les ordres de Tabárez. Bon nombre ont connu plusieurs des sélections juniors supervisées par le Maestro.
Alors la sélection ne renie pas ses principes : solidité, solidarité et patience. Pour la première fois sous l’ère Tabárez, elle remporte ses trois matchs de poule (Égypte, Arabie saoudite et Russie), le tout sans prendre de but. Au moment de défier le Portugal, champion d’Europe en titre, l’Uruguay semble bien avoir enfiler de nouveau son statut de farouche outsider. Preuve en est : Cristiano Ronaldo et compagnie se casseront les dents sur la défense de la Celeste, et Edinson Cavani, qui n’avait pu porter seul l’attaque uruguayenne les années précédentes, inscrit un précieux doublé (2-1). Héroïque, le Matador sort sur blessure et ne sera pas de la partie face à la France en quarts de finale. Accrocheurs en première période, poussant Hugo Lloris à l’exploit, les hommes de Tabárez doivent s’incliner face à des Bleus plus talentueux (0-2). Le peuple uruguayen a une nouvelle fois de quoi être fier de sa sélection.
Óscar Tabárez et la figure du sage
Pour autant, les joueurs ayant porté l’Uruguay pendant les années 2010 vieillissent. Le Mondial russe était leur dernière danse sous la tunique bleu ciel. En 2019, la Celeste termine première de son groupe de Copa América mais cède aux tirs aux buts face au Pérou en quarts de finale. Deux ans plus tard, c’est de nouveau à ce stade de la compétition et de nouveau aux tirs aux buts que l’Uruguay est éliminé, face à la Colombie cette fois. Alors quand les hommes d’Óscar Tabárez enchaînent quatre revers consécutifs, mettant en péril sa place pour le Mondial 2022, c’est le sélectionneur qui en paie les frais. Qu’importe le contexte, le licenciement choque une large partie du peuple uruguayen. Car Tabárez, c’est une place dans le Guinness Book pour le record de Coupe du monde disputées en tant que sélectionneur (quatre en comptant 1990) et du nombre de match disputés sur le banc d’un pays (221, dont 185 depuis son retour en 2006). Quand on fait les comptes, environ 20% des matchs disputés par la Celeste ont été dirigés par le Maestro. Alors forcément, de nombreux Uruguayens se sont identifiés à leur sélectionneur qui jouit ainsi d’une popularité certaine.
Une reconnaissance partout dans le pays, jusqu’à inspirer José Mujica, ancien président de la République :
« Il a montré au monde le miracle d’un petit pays qui, démographiquement, est un quartier de São Paulo et qui peut faire les choses de manière plus ou moins égale. Nous, les hommes politiques, devrions apprendre de sa leçon, le travail cohérent, le travail collectif, la simplicité et l’humilité. »
Si ses accomplissements jouent beaucoup dans sa côte de popularité, il semble évident que le Maestro bénéficie malgré lui de l’image d’un “vieux sage”, assez fragile. Une image renforcée par la maladie. Depuis 2016, Óscar Tabárez souffre d’une neuropathie, qui l’oblige à se déplacer en béquilles, voire en fauteuil roulant. Mais jamais le sélectionneur ne s’en plaindra, et plusieurs fois il se rendra jusqu’à son banc sans aide, supporté par les applaudissements d’un stade admiratif.
Lui est infiniment reconnaissant du soutien reçu : “Ces dernières années, j’ai ressenti une reconnaissance […] sans précédent dans mon pays. La seule chose qui pourrait être comparée à cela, c’est ce que j’ai vécu avec les supporters de Boca après avoir remporté le championnat d’ouverture en 1992, le premier titre national en 11 ans« . Logiquement, cette popularité est d’autant plus forte auprès des cadres de son groupe, qu’il a côtoyé pendant près de quinze ans. “Les mots ne peuvent pas rendre justice à la gratitude que j’éprouve pour ce que vous avez représenté dans ma carrière”, salue Godín. Luis Suárez va plus loin :
“Tabárez aide beaucoup. Il est l’un des meilleurs entraîneurs du monde grâce à sa personnalité, la manière dont il aide les joueurs.”
Pour l’attaquant, le lien est direct entre le caractère du Maestro et son succès. Admirateur avéré de Che Guevara, le sélectionneur lui vole une citation pour la mettre au cœur de ses techniques de management : “Il faut s’endurcir, sans jamais ne se départir de sa tendresse”. Fervent défenseur de la démocratie, celui qui a mis l’éducation au cœur de son Proceso pour la sélection uruguayenne est persuadé que son métier dépasse le seul cadre sportif : “le football n’est pas le plus important dans la vie, mais c’est le chemin le plus rapide pour améliorer les choses les plus importantes de la vie”. Il ne se cachera ainsi jamais de ses engagements. En mai 2020, il participe à une campagne honorant la mémoire de près de 200 personnes ayant disparu sous la junte militaire uruguayenne, de 1973 à 1985. Il fait aussi partie des trois personnalités du monde du foot, avec Pelé et Hristo Stoichkov, à avoir été nommées championnes de l’UNESCO pour le sport, grâce à la mise en place de programme de sociabilisation des populations défavorisées via le sport.
S’il assume ses engagements, l’ancien instituteur se garde bien de se mettre en avant. Il refuse ainsi que l’esplanade de l’Intendencia, l’une des places importantes de Montevideo, porte son nom. Une humilité qui le suit aussi dans son rôle d’entraîneur. Comme lorsqu’à Oviedo, son attaquant rate deux penaltys dans le même match. “Le premier a été manqué par le joueur, le second par son entraîneur”, affirmera-t-il. Mais c’est Marcelo Bielsa qui décrira le mieux ce trait de caractère d’Óscar Tabárez, dans une anecdote racontée pour une biographie du Maestro :
“J’ai eu peu de contacts directs avec Óscar Tabárez, mais j’aimerais vous raconter ce qui s’est passé lors d’un de mes voyages en Uruguay. J’étais dans l’arrière-pays pour un match de qualifications à la Coupe du monde qui se jouait au Centenario [Uruguay-Chili (3-0) du 18 novembre 2015, ndlr]. J’ai regardé ce match dans un bar dont seulement quatre tables étaient occupées. Avant la fin de la première mi-temps, le commentateur faisait l’éloge du jeu uruguayen. Mon analyse n’en arrivait pas à la même conclusion. Pendant la mi-temps, j’ai discuté avec un groupe de personnes et ensemble, nous avons réexaminé la performance des onze joueurs uruguayens.
Nous étions d’accord pour dire que le gardien de but et les défenseurs centraux avaient très bien joué. Notre évaluation du reste des joueurs n’était pas positive. Nous en avons conclu que si les meilleurs joueurs étaient ceux qui occupaient les trois postes défensifs, on ne pouvait pas qualifier de satisfaisante la performance collective. […] Peu de temps après, une vidéo de mes commentaires – enregistrée à mon insu par une personne d’une table voisine – a été diffusée sur les réseaux sociaux. Cela m’a attristé parce que je n’avais jamais émis de critiques publiques sur le moindre joueur en trente ans de profession.
Le lendemain, j’ai pu entrer en contact avec Tabárez. […] Je lui ai signifié que j’avais vraiment de la peine et que je voulais m’excuser. Il m’a donné une réponse brève, tolérante et généreuse. Il m’a répondu qu’il était d’accord sur le fait que l’équipe n’avait pas bien joué durant la première mi-temps. Je lui ai rétorqué que cela ne m’inquiétait pas parce qu’il s’agissait en définitive seulement de mon opinion. Ce qui m’avait vraiment embarrassé, c’était que mon opinion sur les joueurs avait pris un caractère public. Compréhensif, il m’a enlevé la culpabilité que je ressentais et a accepté mes excuses, acceptant de transmettre mes excuses à ceux que j’avais critiqués. Les entraîneurs sont très sensibles aux critiques et encore plus quand elles viennent de collègues. En considérant que mes commentaires avaient été publics et que mes excuses étaient privées, j’ai particulièrement apprécié sa compréhension. Je décris ce fait parce qu’il illustre comment une attitude naturelle pour lui honore notre profession.”
Porté par un plan pensé pendant de nombreuses années, Óscar Tabárez a su rendre à l’Uruguay sa grandeur passée et s’est forgé une longévité historique. Alors que le monde du football, ses joueurs et les supporters uruguayens lui vouaient un respect infini, son départ laisse la Celeste dans l’inconnu. Cette dernière n’a plus qu’à espérer que ces paroles du Maestro s’appliquent : « Mon principal souhait est que lorsque je devrai partir, que ce soit en raison de résultats, de doutes, de l’âge ou autre, cette façon de faire sera poursuivie par d’autres personnes. Si nous parvenons à partir, ce sera très important pour le football, mais fondamentalement pour les changements culturels que nous visons.«
Sources :
- Adel Bentaha, « Le plus grand Tabárez du monde« , So Foot
- Aidan Williams, « Garra Charrua and the psychology of Uruguayan football« , These Football Times
- Clemente Lisi, « How Óscar Tabárez used philosophy and Garra Charrua to return U to the top table« , These Football Times
- Florian Lefèvre, « Tabárez, l’Uruguay au corps« , So Foot
- Ian Walker, « Óscar Tabárez : a timeless visionnary« , These Football Times
- Juan Manuel Montoro, « La caida de Tabarez : pasar de ser el todo a ser la parte« , La Diaria
- Mariano Verrina, « El plan Maestro de Uruguay par el Mundial de Rusia : historia de una revolucion« , Clarin
- Martin Mazur, « Oscar Tabarez : ‘We couldn’t just live based on a past World Cup glory‘ », The Guardian
- Nestor Watach, « Oscar Tabarez, Uruguay’s ‘El Maestro’, will not bow out without a fight« , Planet Football
- Pierre Godon, « Béquilles, bagout et bons points : l’incroyable destin du ‘Maestro’ Tabarez, qui a sauvé l’équipe d’Uruguay« , Franceinfo
- Romain Laplanche, « La préface de Marcelo Bielsa d’un livre consacré à Oscar Tabarez« , La Grinta
- Romulo Martinez Chenlo, « 15 anos de camino con Oscar Washington Tabarez« , La Diaria
- Romulo Martinez Chenlo, « Razones y sinsentidos del cese de Tabarez, el entrenador que mas partidos dirigio en una seleccion nacional », La Diaria
- Thomas Goubin, « Oscar Tabarez : putain dix ans« , So Foot
- « Uruguay : Óscar Tabárez, le vieux sage de Montevideo« , Ultimo Diez
- « Uruguay : Oscar Tabarez à Oviedo, quand le Maestro était dans le creux de la vague en Europe« , Furia Liga
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