Omar Sivori fait partie de ces anciennes gloires du football dont seuls les plus anciens, ou les amoureux des images en noir et blanc, se souviennent. Argentin de naissance, dribbleur et buteur surdoué, idole de River Plate et de la Juventus avant de passer par le Napoli, il est considéré comme le Maradona des années 1960. Retour sur la carrière d’un immense talent, élu Ballon d’Or en 1961.
Mai 1958. La partie blanche et noire de Turin est en fête. La Juventus vient en effet de remporter son dixième scudetto, synonyme de première étoile dorée brodée sur son mythique maillot rayé. Ce succès qui en appellera tant d’autres, c’est à un gamin de 22 ans que l’équipe bianconera le doit. Son nom : Omar Sivori.
Né en Argentine le 2 octobre 1935 près de Buenos Aires, Enrique Omar Sivori est l’un des tous meilleurs footballeurs de l’histoire argentine et italienne. Il ne lui faut qu’un an sous la tunique de la Juventus pour redonner à la Vieille Dame ce titre après lequel elle courait depuis six longues années. Auparavant, c’est sous les couleurs des Millonarios de River Plate que Sivori a fait ses gammes. Ou plutôt montré immédiatement à quel point il avait le football dans le sang.
Car son début de carrière en 1954, à 19 ans, est tout simplement phénoménal. Pour ses trois premières saisons chez les pros, Sivori permet à River de remporter trois fois le titre de champion d’Argentine (1955-1956-1957). Attaquant de soutien, dribbleur, créateur et buteur, il n’est ni très grand (1m70), ni très costaud (74 kg). Il a toutefois une technique et un pied gauche diaboliques.
Ces formidables qualités attirent l’attention des plus grandes formations européennes. En grande difficulté financière, River ne peut pas refuser le pont d’or que propose la Juventus : 180 millions de lires. Cette indemnité de transfert astronomique permettra au club argentin de financer les travaux de modernisation de son stade, le Monumental. Aujourd’hui, une tribune de cette antre du football argentin porte le nom d’Omar Sivori. Mais sans lui, River Plate ne remportera plus le moindre titre pendant 18 ans.
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Ces débuts en fanfares de la carrière d’Omar Sivori lui ouvrent rapidement les portes de la sélection argentine. International à 21 ans, il remporte avec l’Albiceleste la Copa America 1957. Celle-ci obtient ensuite sa qualification pour le Mondial 1958, vingt-quatre ans après sa dernière apparition dans la reine des compétitions du ballon rond. Mais Sivori ne dispute pas la compétition suédoise. La raison : son départ à la Juventus, provoquant son exclusion de la sélection nationale, comme pour tous les joueurs argentins ayant émigrés. Sans lui, l’Argentine sortira dernière de sa poule, éliminée et humiliée après deux défaites en trois matchs.
Omar Sivori, légende de la Juventus
C’est donc en 1957-1958 que Sivori rejoint la Juventus. Son adaptation au football transalpin est immédiate. Il éblouit toute la Botte par sa merveilleuse technique et son sens du but. Spécialiste du petit pont, il sait aussi se montrer efficace puisqu’il marque 22 buts en 32 matchs pour sa première saison. Surtout, avec son apport, la Juve renoue avec le succès en remportant de nouveau le Scudetto, le dixième de sa gigantesque histoire. Ce titre, elle le doit donc à sa jeune pépite argentine qui, en 1961, se fait naturaliser et obtient la nationalité italienne. Mais pas seulement. Car dans le Piémont, Sivori forme très vite ce que l’on surnomme le « Trio Magico », au côté de deux autres joueurs offensifs de légende : le Gallois John Charles, meilleur buteur de la saison 1957-1958, et le mythique Giampiero Boniperti, fidèle toute sa carrière au maillot bianconero.
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Le duo d’attaquant Sivori-Charles, soutenu par Boniperti au milieu, fait des ravages. La Juve redevient alors, de manière incontestée, le meilleur club du Calcio. Si elle doit laisser son titre en 1959, elle remporte malgré tout la Coupe d’Italie cette année-là. Puis, en 1960, elle rafle tout en réalisant le doublé coupe-championnat. Sivori est alors inarrêtable. En 31 matchs, il claque 28 buts, devenant ainsi le capocannoniere (meilleur buteur) du championnat.
« Moi, je demande juste une équipe avec dix inconnus, puis j’aligne Sivori et on est prêts pour être champions », Renato Cesarini, entraîneur d’Omar Sivori à la Juventus.
Le cycle de victoires de la Juventus ne s’arrête pas là. En 1961, la Vecchia Signora parvient à conserver son Scudetto. Finalement, en quatre ans, Sivori remporte cinq trophées, dont trois championnats. En 1960-61, il inscrit encore 25 buts en 27 rencontres disputées.
Le premier joueur italien et de la Juventus à remporter le Ballon d’Or
Alors, Sivori est au sommet de sa carrière et de son art. Il crève tout simplement l’écran. Pour la dernière journée de la saison 1960-61, il humilie l’Inter Milan à lui tout seul en inscrivant un septuplé (victoire 9-1 des Bianconeri). Avec ses chaussettes baissées, le « grand gaucher » laisse tous ses adversaires pantois. Précis, malin, toujours bien placé, Sivori trouve à chaque fois la parade pour faire la différence. Du pied, de la tête, il marque dans toutes les positions. C’est un joueur complet, une étoile, au caractère bien trempé.
Du fait de ces prouesses individuelles et ces succès en club, c’est tout logiquement qu’Omar Sivori obtient, en 1961, la récompense suprême : le Ballon d’Or. Vous vous demandiez pourquoi il fait partie des légendes de ce sport ? Tout est là : en 1961, il est le premier footballeur de Serie A, le premier italien et le premier joueur de la Juventus à remporter le prestigieux Ballon d’Or, devant l’espagnol Luis Suarez et l’Anglais Johnny Haynes. Ce succès historique explique donc pourquoi Sivori mérite sa place au milieu des autres joueurs mythiques du panthéon du jeu.
« C’est un génie. Son seul défaut est que son goût pour l’exploit individuel l’égare parfois », Alfredo Di Stefano, à propos d’Omar Sivori.
Un talent pur qui préfigure celui qui éblouira la planète football vingt ans plus tard, Diego Maradona. Comme El Pibe de Oro, Sivori est à la fois meneur, créateur et buteur. Argentins tous deux, ils partagent également cette qualité du dribble chaloupé qui rend fou les adversaires. Les formidables qualités de Sivori ne permettent malheureusement pas à la Juventus de briller sur la scène européenne. Éliminée deux fois au premier tour de la Coupe des Champions, la Juve y réalise un bon parcours en 1961-1962. Elle n’est éliminée qu’en quart de finale, par le grand Real Madrid, après un match d’appui incertain (1-1, 1-1, 1-3).
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Omar Sivori compte au total 257 matchs sous la tunique noire et blanche, pour la bagatelle de 171 buts inscrits. Il reste huit ans à Turin, avec qui il remporte une dernière Coupe d’Italie en 1965, l’année de son départ. Omar Sivori a 30 ans.
Star du Napoli avant Diego Maradona
En 1965, Omar Sivori décide de rejoindre les rangs d’un promu en Serie A : Naples. Il forme alors avec l’Italo-brésilien José Altafini un duo redoutable qui va permettre au club de Campanie de décrocher, pour son retour dans l’élite, une magnifique troisième place. En 1968, le Napoli finit même vice-champion d’Italie. Son passage sur les bords du Vésuve est comme une préfiguration de l’ère maradonienne qui formera la plus belle époque du club napolitain.
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Une ressemblance avec Maradona est visible aussi dans le caractère de Sivori, surnommé « El Cabezon ». En français, cela signifie « Grosse tête », à comprendre plutôt dans le sens d’entêté, ou de gros caractère. « Sivori était Maradona avant Maradona », diront plus tard certains supporters du Napoli. Les facilités techniques de Sivori le font parfois glisser vers la facilité, dans le chambrage, à passer un joueur pour le laisser ensuite revenir dans le but de lui mettre un autre petit pont.
Son comportement sur le terrain est aussi souvent à la limite de la provocation physique et verbale vis-à-vis de ses adversaires. En 1968, face à ses anciens coéquipiers de la Juve, il supporte mal le traitement spécial qui lui est infligé. Il réagit en agressant son adversaire, ce qui provoque une rixe générale. Il écope alors de six matchs de suspension. Au total, Omar Sivori reçoit en réalité 33 cartons rouges durant sa carrière !
Au cours de ses années italiennes, « El Cabezon » goutte également de nouveau au football international sous les couleurs de la Squadra Azzurra. Avec l’équipe d’Italie, il dispute même la Coupe du Monde 1962. Il ne peut toutefois empêcher l’élimination des siens au premier tour. En neuf sélections, il marque malgré tout à huit reprises. Voilà une autre statistique qui montre bien à quel point l’efficacité et le sens du but d’Omar Sivori étaient tout simplement redoutables.
Légende de la Juventus, Ballon d’Or 1961, aussi talentueux que provocateur, Omar Sivori a été, à bien des égards, une espèce de Maradona avant l’heure. Ayant raccroché les crampons en 1969, il connaît différentes expériences mitigées en tant qu’entraîneur. Il réalise son dernier dribble le 17 février 2005, vaincu par un cancer du pancréas.
Sources :
- Fiche de Omar Enrique Sivori, Lequipe.fr
- Omar Sivori, le démon du dribble, football-the-story.com
- Omar Sivori, le dribbleur fou de Turin, ultimodiez.fr
- Marcelo Assaf, avec Thomas Goubin, Enrique Sivori, « Maradona avant Maradona », sofoot.com
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