Le 28 juin 1994, Oleg Salenko est sur le toit du monde. Il vient d’inscrire un quintuplé face au Cameroun. Personne n’avait autant marqué dans un match de Coupe du Monde. La carrière du Russe est alors toute tracée mais la paresse, l’alcool et les kilos en trop vont avoir raison de ce nouveau génie. Retour sur la carrière déroutante du Tsar d’un soir.
Oleg Anatoliévitch Salenko naît le 25 octobre 1969 à Léningrad. Il apprend à jouer au football au Smena, qu’il quitte pour signer son premier contrat au Zénith Leningrad à l’âge de 16 ans. Lors de son premier match, il devient le plus jeune buteur du championnat soviétique en offrant la victoire à son équipe contre le Dynamo Moscou, tout un symbole. L’équipe adverse, aux onze titres de champion, terminera la saison sur la deuxième marche du podium, à seulement un petit point du Dynamo Kiev.
Un peu plus tard, en 1988, le natif de Léningrad remporte la Coupe d’Europe des moins de 18 ans avec sa sélection nationale. De plus en plus remarqué et apprécié par les supporters, le jeune buteur a le vent en poupe. Le Zénith espère bien compter sur lui lors des prochaines saisons mais le jeune homme n’est pas de cet avis et signe au Dynamo Kiev trois ans après trois ans à Saint-Pétersbourg. Ce transfert est vécu comme une trahison par les supporters et le club, qui voyaient en lui un grand espoir : « Le Zénith a essayé de me garder de toutes ses forces. Ils ont menacé de saisir la commission de discipline pour interdire le transfert. Ensuite, ils ont demandé un million de roubles au Dynamo Kiev, une somme impensable à l’époque. Ça s’est finalement réglé par 36 000 mais oui, ça a fait beaucoup de bruit ». Ce transfert cause effectivement quelques vagues et le buteur devient le premier joueur soviétique à être échangé contre une somme d’argent. Oleg Salenko débarque donc dans un nouvel effectif plus compétitif. Le Russe peine à s’imposer mais inscrit tout de même 28 buts en l’espace des trois saisons.
En décembre 1991, l’URSS s’effondre. Le Dynamo Kiev doit donc intégrer un tout nouveau championnat ukrainien dont le niveau laisse à désirer. Les équipes adverses manquent de professionnalisme et la majorité des joueurs de la capitale ukrainienne veulent plier bagage. Oleg Salenko en fait partie. Tottenham lui fait les yeux doux mais l’attaquant n’obtient pas de permis de travail, ce qui l’empêche de rejoindre les Spurs.
Caves à vin et viande rouge
C’est le championnat espagnol qui va sourire au Russe. Le Deportivo Logroñés, club de milieu de tableau, enrôle l’attaquant. Salenko y découvre la vie espagnole et ses excès : « A Logroñés, on se retrouvait les jours de match dans les caves à vin. On buvait pas mal, et on mangeait de la viande rouge ». Malgré tout, il marque sept buts en 16 matchs, des débuts plutôt prometteurs… Lors de sa deuxième saison sous la tunique blanche et rouge, Salenko met tout le monde d’accord. Il inscrit 16 buts et facilite le maintien du club de la Rioja. C’est la meilleure saison de sa carrière.
Ses performances ne passent pas inaperçues et le président du Valence CF, Fransisco Roig, décide de l’intégrer dans son équipe pour concurrencer le Barça et le Real, rien que ça.
Toujours est-il qu’à l’été 1994, Oleg Salenko est appelé en équipe nationale par Pavel Sadryin, son ancien coach de Léningrad, pour participer à la 15ème édition de la Coupe du Monde, aux Etats-Unis. L’occasion pour lui de se montrer de nouveau aux yeux du monde après avoir brillé lors du Mondial U20 1989 en Arabie Saoudite, où il avait terminé meilleur buteur, malgré une élimination en quarts de finale.
Un quintuplé synonyme de record du monde
Tombée dans le groupe de la mort, la Sbornaya perd contre le Brésil 2-0 et essuie une nouvelle défaite contre la Suède 3-1 malgré un but d’Oleg Salenko. Les chances de finir meilleur troisième du groupe sont donc infimes. D’autant plus que le Cameroun devance la Russie d’un point avant le dernier match de groupe. Cependant, l’équipe à l’aigle bicéphale va être auteure d’une véritable démonstration, notamment grâce à son numéro 9 : un certain Oleg Salenko. Dès la 16ème minute, il marque d’une frappe imparable du droit. La Sbornaya vire déjà en tête. Un peu plus tard, à la 41ème minute, Oleg Salenko gagne son duel face au gardien camerounais et double la mise. Le Russe n’en finit pas d’épater le Stanford Stadium et convertit un penalty plein de sang-froid trois minutes plus tard, ce qui porte le score à 3-0 à la mi-temps. Après la pause, c’est Roger Milla, tout juste entré en jeu, qui réduit la marque et devient le plus vieux buteur de la compétition à l’âge de 42 ans. Mais pas question que Milla ne vole la vedette à Salenko. A la 72ème minute, l’attaquant creuse l’écart sur un centre d’Omari Tetradze. Peu après, le buteur rentre dans l’histoire en inscrivant son cinquième but d’un tir en finesse. Quand le panneau affiche « A World Cup Record », tout le stade ne peut qu’acclamer son nouveau champion. Salenko se permet même de délivrer une passe décisive à son ancien coéquipier de Léningard, Dmitri Radchenko, pour clôturer le match le plus remarquable de cette Coupe du Monde. Pour autant, la veille de la rencontre, Salenko s’attendait à ce scénario : « Je me suis vu marquer beaucoup de buts le lendemain […] Là, nous n’avions rien à perdre et pour croire à une qualification improbable il fallait s’imposer avec la plus grande marge possible. C’est ce que j’ai vu dans mon rêve et c’est ce que nous avons fait ». A la suite de cette rencontre d’exception, la note de 10/10 attribuée par l’Equipe bonifie la cote du Russe, déjà star de ce mondial.
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Ce chef d’œuvre ne permettra pas à la Sbornaya de se qualifier. L’aventure s’arrête donc ici mais grâce à ses 6 réalisations, Salenko gagnera tout de même le Soulier d’Or de co-meilleur buteur de l’édition aux cotés de Hristo Stoitchkov, excusez du peu.
En arrivant au Valence CF, la popularité du Tsar de 25 ans est à son paroxysme mais rien ne va se passer comme prévu. Le buteur n’arrive pas à endosser le statut qu’il a pu avoir pendant 90 minutes aux Etats-Unis… Un brin fainéant, Oleg prend du poids en raison de son goût pour les gambas et enchaîne les pépins physiques.
Par ailleurs, l’entraîneur Carlos Alberto Parreira se querelle avec Salenko. Le Russe, contrarié par son manque de temps de jeu, déclarera avec franchise : « Parreira est un incompétent. C’est une malédiction pour Valence ». Après cette déclaration fracassante, la place d’Oleg n’est plus sur le rectangle vert mais sur le banc. A la fin de la saison, les blanquinegros, censés faire concurrence aux deux mastodontes espagnols, font pâle figure avec une 10ème place en championnat. Du côté du club de la Rioja, direction la Segunda División. Le CD Logroñés, privé de son buteur, termine bon dernier.
Bières écossaises et Paul Gascoigne
Concernant Salenko, la décision de quitter la côte espagnole apparaît comme une évidence. C’est en Ecosse, aux Glasgow Rangers, que le buteur décide de se relancer. Malheureusement, ce transfert symbolise le début de la fin. Les barmans de Glasgow découvrent en lui un client fidèle plutôt qu’un joueur de qualité, surtout lorsqu’il est accompagné de son ami Paul Gascoigne. Les nombreuses tournées de bars n’améliorent pas sa condition physique. Il doit batailler contre sa lésion au ménisque mais aussi ses bourrelets qui le caractérisent désormais. Ses souvenirs en équipe nationale lui paraissent bien lointains. Le joueur ne portera plus le maillot de la Sbornaya.
A l’issue de sa première saison du coté de Glasgow, le buteur veut échapper à la grisaille écossaise pour découvrir le soleil turc à Istanbulspor. C’est malheureusement la dégringolade. Ses lacunes sont criantes. Après deux saisons en Anatolie, il revient en Espagne mais cette fois ci à Córdoba en Segunda División pour deux saisons sans importance avant de se faire licencier par le club andalou.
C’est dans l’anonymat total, après un match seulement au Pogon Szczecin, que le prodige du Mondial 1994 va mettre un terme à sa déliquescente carrière à l’âge de 32 ans. Son entraîneur de l’époque, Mariusz Kuras, n’aura pas été impressionné par l’arrivée du buteur, rongé par ses excès : « Lorsqu’il est arrivé à l’entraînement, on a tous été étonnés, évidemment… Rien qu’à l’œil nu, on a rapidement perçu qu’il n’était pas dans une forme physique optimale ».
Naufragé d’une carrière en perdition, Oleg Salenko réfléchira à vendre son précieux Soulier d’Or pour rembourser ses dettes. Finalement, le Russe refusera la proposition des Emirats Arabes Unis et l’exposera au restaurant du stade Olimpiyskiy de Kiev. Ses 90 minutes à effleurer les sommets n’ont été qu’une simple fulgurance mais, par-dessus tout, un clap de fin. Il restera cependant la star du 28 Juin 1994, et ça personne ne le lui enlèvera.
Sources :
- L’Histoire officielle de la Coupe du Monde de la FIFA, Marabout
- Alexandre Doskov et Maxime Brigand, « Salenko, Soviet Supreme », So Foot
- Joffrey Pointlane, « Oleg Salenko, nos 100 joueurs qui ont marqué l’histoire de la coupe du monde », France Football